Jean-Baptiste Poquelin |
Mon Dieu ! des mours du temps mettons-nous moins en peine Et faisons un peu grâce à la nature humaine Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut, parmi le monde, une vertu traitable ; À force de sagesse on peut être blâmable La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages, Elle veut aux mortels trop de perfection. Il faut fléchir au temps, sans obstination ; Et c'est une folie, à nulle autre seconde, De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses, tous les jours, Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ; Mais, quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître. Un courroux, comme vous, on ne me voit point être. Je prends tout doucement les hommes comme ils sont : J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font ; Et je crois qu'à la Cour, de même qu'à la ville, Mon flegme est philosophe autant que votre bile. ALCESTE Mais ce flegme, monsieur, qui raisonne si bien, Ce flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien ? Et s'il faut, par hasard, qu'un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens on dresse un artifice, Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux ? PHILINTE Oui : je vois ces défauts, dont votre âme murmure, Comme vices unis à l'humaine nature ; Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants et des loups pleins de rage. |
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Jean-Baptiste Poquelin (1622 - 1673) |
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