Jean-Baptiste Poquelin |
... Ah! que vous savez bien ici contre moi-même, Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême, Et ménager pour vous l'excès prodigieux De ce fatal amour né de vos traîtres yeux! Défendez-vous au moins d'un crime qui m'accable, Et cessez d'affecter d'être envers moi coupable; Rendez-moi, s'il se peut, ce billet innocent : A vous prêter les mains ma tendresse consent; Efforcez-vous ici de paraître fidèle, Et je m'efforcerai, moi, de vous croire telle. Allez, vous êtes fou dans vos transports jaloux, Et ne méritez pas l'amour qu'on a pour vous. Je voudrais bien savoir qui pourrait me contraindre A descendre pour vous aux bassesses de feindre, Et pourquoi, si mon cour penchait d'autre côté, Je ne le dirais pas avec sincérité. Quoi? de mes sentiments l'obligeante assurance Contre tous vos soupçons ne prend pas ma défense? Auprès d'un tel garant sont-ils de quelque poids? N'est-ce pas m'outrager que d'écouter leur voix? Et puisque notre cour fait un effort extrême Lorsqu'il peut se résoudre à confesser qu'il aime, Puisque l'honneur du sexe, ennemi de nos feux, S'oppose fortement à de pareils aveux, L'amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle Doit-il impunément douter de cet oracle? Et n'est-il pas coupable en ne s'assurant pas A ce qu'on ne dit point qu'après de grands combats? Allez, de tels soupçons méritent ma colère, Et vous ne valez pas que l'on vous considère : Je suis sotte, et veux mal à ma simplicité De conserver encor pour vous quelque bonté; Je devrais autre part attacher mon estime, Et vous faire un sujet de plainte légitime. J ALCESTE Ah! traîtresse, mon faible est étrange pour vous! Vous me trompez sans doute avec des mots si doux; Mais il n'importe, il faut suivre ma destinée; A votre foi mon âme est toute abandonnée; Je veux voir jusqu'au bout quel sera votre cour, Et si de me trahir il aura la noirceur. CE LIMÉ NE Non, vous ne m'aimez point comme il faut que l'on [aime. ALCESTE Ah ! rien n'est comparable à mon amour extrême, Et, dans l'ardeur qu'il a de se montrer à tous, Il va jusqu'à former des souhaits contre vous. Oui, je voudrais qu'aucun ne vous trouvât aimable, Que vous fussiez réduite en un sort misérable, Que le Ciel, en naissant, ne vous eût donné rien, Que vous n'eussiez ni rang, ni naissance, ni bien, Afin que de mon cour l'éclatant sacrifice Vous pût d'un pareil sort réparer l'injustice; Et que j'eusse la joie et la gloire, en ce jour, De vous voir tenir tout des mains de mon amour... |
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Jean-Baptiste Poquelin (1622 - 1673) |
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