Jean-Jacques Rousseau |
Qu'à m'égarer dans ces bocages Mon coeur goûte de voluptés ! Que je me plais sous ces ombrages ! Que j'aime ces flots argentés! Douce et charmante rêverie, Solitude aimable et chérie, Puissiez-vous toujours me charmer! De ma triste et lente carrière Rien n'adoucirait la misère. Si je cessais de vous aimer. Fuyez de cet heureux asile. Fuyez de mon âme tranquille. Vains et tumultueux projets ; Vous pouvez promettre sans cesse Et le bonheur et la sagesse. Mais vous ne les donnez jamais. Quoi ! L'homme ne pourra-t-il vivre, À moins que son cour ne se livre Aux soins d'un douteux avenir? Et si le temps coule si vite, Au lieu de retarder sa fuite, Faut-il encor la prévenir ? Oh ! qu'avec moins de prévoyance, La vertu, la simple innocence, Font des heureux à peu de frais ! Si peu de bien suffit au sage Qu'avec le plus léger partage Tous ses désirs sont satisfaits. Tant de soins, tant de prévoyance. Sont moins des fruits de la prudence Que des fruits de l'ambition : L'homme, content du nécessaire, Craint peu la fortune contraire. Quand son cour est sans passion. Passions, sources de délices, Passions, sources de supplices, Cruels tyrans, doux séducteurs, Sans vos fureurs impétueuses, Sans vos amorces dangereuses, La paix serait dans tous les cours. Malheur au mortel méprisable, Qui dans son âme insatiable. Nourrit l'ardente soif de l'or! Que du vil penchant qui l'entraîne. Chaque instant, il trouve la peine Au fond même de son trésor. Malheur à l'âme ambitieuse. De qui l'insolence odieuse Veut asservir tous les humains ! Qu'à ses rivaux toujours en bute, L'abîme apprêté pour sa chute Soit creusé de ses propres mains. Malheur à tout homme farouche, À tout mortel que rien ne touche Que sa propre félicité ! Qu'il éprouve dans sa misère, De la parc de son propre frère, La même insensibilité. Sans doute un cour né pour le crime Est fait pour être la victime De ces affreuses passions ; Mais jamais du Ciel condamnée. On ne vit une âme bien née Céder à leurs séductions. Il en est de plus dangereuses. De qui les amorces flatteuses Déguisent bien mieux le poison, Et qui toujours dans un cceur tendre Commencent à se faire entendre En faisant taire la raison ; Mais du moins leurs leçons charmantes N'imposent que d'aimables lois : La haine et ses fureurs sanglantes S'endorment à leur douce voix. Des sentiments si légitimes Seront-ils toujours combattus ? Nous les mettons au rang des crimes, Ils devraient être des vertus. Pourquoi de ces penchants aimables Le Ciel nous fait-il un tourment? II en est tant de plus coupables. Qu'il traite moins sévèrement. Ô discours trop remplis de charmes ! Est-ce à moi de vous écouter ? Je fais avec mes propres armes Les maux que je veux éviter. Une langueur enchanteresse Me poursuit jusqu'en ce séjour ; J'y veux moraliser sans cesse, Et toujours j'y songe à l'amour. Je sens qu'une âme plus tranquille. Plus exempte de tendres soins, Plus libre en ce charmant asile, Philosopherait beaucoup moins. Ainsi du feu qui me dévore Tout sert à fomenter l'ardeur : Hélas ! n'est-il pas temps encore Que la paix règne dans mon cour ? Déjà de mon septième lustre Je vois le terme s'avancer ; Déjà la jeunesse et son lustre Chez moi commence à s'effacer. La triste et sévère sagesse Fera bientôt fuir les amours : Bientôt la pesante vieillesse Va succéder à mes beaux jours. Alors les ennuis de la vie Chassant l'aimable volupté. On verra la philosophie Naître de la nécessité ; On me verra, par jalousie. Prêcher mes caduques vertus, Et souvent blâmer par envie Les plaisirs que je n'aurai plus. Mais malgré les glaces de l'âge, Raison, malgré ton vain effort. Le sage a souvent fait naufrage Quand il croyait toucher au port. O sagesse ! aimable chimère ! Douce illusion de nos cours ! C'est sous ton divin caractère Que nous encensons nos erreurs. Chaque homme t'habille à sa mode; Sous le masque le plus commode À leur propre félicité. Ils déguisent tous leur faiblesse, Et donnent le nom de sagesse Au penchant qu'ils ont adopté. Tel, chez la jeunesse étourdie. Le vice instruit par la folie. Et d'un faux titre revêtu. Sous le nom de philosophie, Tend des pièges à la vertu. Tel, dans une route contraire. On voit le fanatique austère En guerre avec tous ses désirs. Peignant Dieu toujours en colère, Et ne s'attachant, pour lui plaire, Qu'à fuir la joie et les plaisirs. Ah.' s'il existait un vrai sage, Que, différent en son langage, Et plus différent en ses mours, Ennemi des vils séducteurs, D'une sagesse plus aimable. D'une vertu plus sociable, Il joindrait le juste milieu À cet hommage pur et tendre, Que tous les cours auraient dû rendre Aux grandeurs, aux bienfaits de Dieu ! |
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Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778) |
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