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Jean-Jacques Viton



Le ressac - Poéme


Poéme / Poémes d'Jean-Jacques Viton





le ressac

c'est le retour des vagues

sur elles-mêmes

lorsqu'elles rencontrent un obstacle

à
Barcelone

ceux qui la nuit se mélangent

se rejoignent s'embrassent se croisent

autour des tables de salons et de bars

actionnent leurs verres comme des sémaphores

ceux-là se téléphonent le lendemain

dans leurs maisons encalminées

comment va ton ressac disent-ils

ils ne demandent jamais comment va ton ouragan comment va ton calme plat dont l'apparence étale peut cacher des tempêtes



comment va ton ressac ils posent cette question car il s'agit du ressac ordinaire un peu brillant un peu crissant qui dans son mouvement régulier charrie bien plus de choses que les rouleaux déferlants des choses hétéroclites comme les épaves ramassées par les naufrageurs

ce que transporte le ressac

tiendrait dans une bouche

il suffit d'observer

la tête des dîneurs

pour découvrir la cache

de l'écrivain-de-bord

qui consigne dans son registre

les épisodes de la traversée

chaque voyageur de
Barcelone tient son registre prêt pour la question du lendemain ensuite s'organise le trafic des récits dont les transbordements bruyants peuvent durer des heures

comment va ton ressac

de bouche à oreille s'accomplissent

de multiples plongées

tous les ressacs s'additionnent



dans des films mal synchronisés

faits de chutes de quiproquos de feintes

parfois des échangeurs se retrouvent

et s'enfoncent à trois

dans un même labyrinthe

le ressac alors ressemble à un lasso

comment va ton ressac

six cent quarante kilos octets

de mémoire disponible

pas mémoire morte et sans accès

mémoire globale

alimentée par les débris

un tramway immobile à
Hanoï

une voiture carrée toute blanche

l'insistante description d'un bouquet de fleurs

odorantes comme les fuchsias et les lys

un lavoir en pierre devant un mas

une jeune femme en pantalons noirs

les marronniers verts d'un domaine

des patineurs ivres sur l'esplanade d'un opéra

trois vies qui tiennent comme une grille

et des voix qui affirment

notre cause sera toujours juste

comment va ton ressac

alors apparaissent épinglées sur des caisses des photos d'inconnus



je creuse dans une accumulation ces foules qui échappent en secret j'y reconnaîtrai des visages et au verso la même petite inscription qui part vers nous à toute allure sans jamais nous rejoindre

parce qu'il n'y a pas de lieu

parce que nous avançons et reculons

et il n'y a pas de lieu

le ressac appartient à la déambulation dernier recoin de l'incertain il fait comprendre que les rêves sont des chasseurs de têtes

le ressac est une amarre libre

ancre flottante ou corps-mort

à l'usage de ceux dont le temps

n'a pas encore chaviré

dans le côté horrible

ou le côté délicieux de la vie

comment va le ressac

le ressac doit s'écouter comme un tango argentin

los muchachos de antes no usaban la gomina



méthode du théâtre

partition dans la partition

série de neutre sans tonalité dominante

circulant au deçà et au dedans et

au-dessous et au-dessus et

au-delà et au-devant

de l'invention du mouvement

pour être cette arme légère le poème

doit fabriquer une charge

projetant son écart vif

au plein milieu de l'écriture

voici une matinée d'été dans un village

dominant un verger une terrasse fait face

à des montagnes que l'on devine

de part et d'autre de la terrasse

des arbres non taillés figurent

une végétation d'encerclement

le soleil est violent et continu

une cloche sonne la demie

une femme et un homme sont assis



à une table noire sur tréteaux

on entend une musique violon et piano

qui vient de l'intérieur de la maison

située derrière eux et dont la fenêtre ouverte

ne laisse rien voir que la pénombre

nous passons le plus clair du temps

sur cette terrasse là nous parlons

nous lisons nous ne faisons rien

ce matin en buvant un café elle

termine un yaourt glacé

qui dépose sur ses lèvres

de petits embruns blancs

je lui demande si je dois arrêter

la musique qui vient d'une radio

derrière nous à l'intérieur

c'est une indication inlocalisable

elle répond que cette matinée

est si calme est si complète

qu'il vaut mieux l'arrêter

aussitôt l'impression que la terrasse

devient la plage arrière

d'un vaisseau désarmé

cette impression très forte

d'un vaisseau échoué

sur les rives d'une montagne

et autour duquel peu à peu la mer

aurait imperceptiblement disparu

comme d'année en année s'épuisent

les sables d'Oranjemund

et cette impression encore

que derrière nous dans l'épave



s'ouvre une dernière chambre celle de l'équipage anéanti dans un paysage avalé par d'interminables prairies

nous parlons du sentiment d'éloignement

de l'organisation fragile des présences

de la douleur sans nom qui enveloppe ceux

qui ne savent jamais au réveil

commment retenir leurs rêves

et pendant que nous parlons

cette absolue certitude

que l'embarcation sans modèle

qui ferme derrière nous ses nervures

possède plus que nous le croyons de cales

de mâts de cartes de passerelles

de voiles de roues de machines

de chargements de jours empaquetés

de ponts condamnés de postes murés

de coursives bourrées d'archives

où espérer revenir chercher la trace

de quelque chose de perdu

est impossible

pendant que nous parlons apparaissent

dans le ciel des hirondelles

ce qui est une situation grotesque

d'abord parce que ça donne à ce poème

un sale genre comme

« il veut me mettre de la chair entre les mains

alors que c'est l'insaisissable qui m'importe »

ensuite parce qu'à dix heures du matin en août



il y a très peu d'hirondelles dans le ciel et pourtant elles sont là explosant en multitude au-dessus de la terrasse jaillissant voltigeant criant aigu et si magnifiquement heureuses et tellement jeunes et adroites nous ne regardions plus qu'elles nous attendant à les voir se réunir composer un radeau volant franchir la barre des montagnes et abandonner le navire comme on dit que font les rats mais personne n'a quitté le navire et une cloche a sonné la demie d'une autre heure inattendue ainsi aurait pu faire un timonier distrait

elle a terminé son yaourt tiède

allumé une gitane légère

et mis des lunettes noires et rondes

tout ce que nous avions décidé de faire

nous l'avons annulé

nous sommes restés sur la terrasse

incertains ensemble comme une balle de fusil

encore arrivée nulle part

et qui s'en fout

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Jean-Jacques Viton
(1933 - 1620)
 
  Jean-Jacques Viton - Portrait  
 
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