José-Maria de Heredia |
N'approche pas ! Va-t'en ! Passe au large, Etranger ! Insidieux pillard, tu voudrais, j'imagine, Dérober les raisins, l'olive ou l'aubergine Que le soleil mûrit à l'ombre du verger ? J'y veille. A coups de serpe, autrefois, un berger M'a taillé dans le tronc d'un dur figuier d'Egine ; Ris du sculpteur, Passant, mais songe à l'origine De Priape, et qu'il peut rudement se venger. Jadis, cher aux marins, sur un bec de galère Je me dressais, vermeil, joyeux de la colère Ecumante ou du rire éblouissant des flots ; A présent, vil gardien de fruits et de salades, Contre les maraudeurs je défends cet enclos... Et je ne verrai plus les riantes Cyclades. Respecte, ô Voyageur, si tu crains ma colère, Cet humble toit de joncs tressés et de glaïeul. Là, parmi ses enfants, vit un robuste aïeul ; C'est le maître du clos et de la source claire. Et c'est lui qui planta droit au milieu de l'aire Mon emblème équarri dans un cour de tilleul ; Il n'a point d'autres Dieux, aussi je garde seul Le verger qu'il cultive et fleurit pour me plaire. Ce sont de pauvres gens, rustiques et dévots. Par eux, la violette et les sombres pavots Ornent ma gaine avec les verts épis de l'orge ; Et toujours, deux fois l'an, l'agreste autel a bu, Sous le couteau sacré du colon qui l'égorgé, Le sang d'un jeune bouc impudique et barbu. Holà, maudits enfants ! Gare au piège, à la trappe, Au chien ! Je ne veux plus, moi qui garde ce lieu, Qu'on vienne, sous couleur d'y quérir un caïeu D'ail, piller mes fruitiers et grappiller ma grappe. D'ailleurs, là-bas, du fond des chaumes qu'il étrape Le colon vous épie, et, s'il vient, par mon pieu ! Vos reins sauront alors tout ce que pèse un Dieu De bois dur emmanché d'un bras d'homme qui frappe. Vite, prenez la sente à gauche, suivez-la Jusqu'au bout de la haie où croît ce hêtre, et là Profitez de l'avis qu'on vous glisse à l'oreille : Un négligent Priape habite au clos voisin ; D'ici, vous pouvez voir les piliers de sa treille Où sous l'ombre du pampre a rougi le raisin. Entre donc. Mes piliers sont fraîchement crépis, Et sous ma treille neuve où le soleil se glisse L'ombre est plus douce. L'air embaume la mélisse. Avril jonche la terre en fleur d'un frais tapis. Les saisons tour à tour me parent : blonds épis, Raisins mûrs, verte olive ou printanier calice ; Et le lait du matin caille encor sur redisse, Que la chèvre me tend la mamelle et le pis. Le maître de ce clos m'honore. J'en suis digne. Jamais grive ou larron ne marauda sa vigne Et nul n'est mieux gardé de tout le Champ Romain. Les fils sont beaux, la femme est vertueuse, et [l'homme, Chaque soir de marché, fait tinter dans sa main Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome. Quel froid ! le givre brille aux derniers pampres verts ; Je guette le soleil, car je sais l'heure exacte Où l'aurore rougit les neiges du Soracte. Le sort d'un Dieu champêtre est dur. L'homme est [pervers. Dans ce clos ruiné, seul, depuis vingt hivers Je me morfonds. Ma barbe est hirsute et compacte, Mon vermillon s'écaille et mon bois se rétracte Et se gerce, et j'ai peur d'être piqué des vers. Que ne suis-je un Pénate ou même simple Lare Domestique, repeint, repu, toujours hilare, Gorgé de miel, de fruits ou ceint des fleurs d'avril ! Près des aïeux de cire, au fond du vestibule, Je vieillirais, et les enfants, au jour viril, A mon col vénéré viendraient pendre leur bulle. |
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José-Maria de Heredia (1842 - 1905) |
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Portrait de José-Maria de Heredia | |||||||||
BiographieHérédia, José Maria de (1842-1905), poète français, né à La Fortuna, près de Santiago de Cuba, de père cubain et de mère française, et décédé le 2 octobre 1905 en France au Château de Bourdonné (près de Houdan). Il a été inhumé le 7 octobre 1905 dans le cimetière de Bons secours (près de Rouen) Sur la tombe est écrit: Mon âme vagabonde à travers le feuillage, Frémira...... Dans ce Chronologie josÉ-maria de heredia1842 - 22 novembre : naissance de J.M.H. à La Fortuna, plantation de café appartenant à la famille Heredia et située à l'est de Santiago de Cuba. Ses deux parents, mariés en 1829, descendent de colons émigrés de l'île de Saint-Domingue vers Cuba à la suite du soulèvement de Toussaint Louverture. La famille de Domingo de Heredia, le père, est établie depuis plusieurs siècles aux Caraïbes. L |
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