Jules Verne |
J'aime d'un amour saint l'immense cathédrale Qui porte fièrement sa tête colossale, Lève sa tour altière où la cloche se plaint, Et fait frissonner l'air sous son marteau d'airain. Surtout au crépuscule, à ces heures funèbres, Lorsque le Jeudi saint nous appelle à Ténèbres, Où la nuit veut en vain, en doublant ses vapeurs, Enchaîner en son sein le grand jour des douleurs, Où l'âme plus chagrine, et plus mélancolique, Pressent dans la nature un spectacle tragique, J'aime à venir entendre au temple triste et noir Les chants, les cris, les pleurs de l'office du soir. Tout est regret ! la lune à peine entrouvre l'ombre, Jetant un vain regard sur la terre trop sombre ; Elle en comprend le crime et se revêt de deuil ; Puis un instant, du ciel demeurant sur le seuil, Craignant d'en dissiper la ténébreuse teinte, Elle fuit ; pâlit ; meurt, comme une lampe éteinte ! Dans ces nuits de douleur, la tristesse est au ciel, Le remords sur la terre, et dans l'âme le fiel : Tout gémit, et tout pleure ; en l'univers fixée, La mort entoure tout de sa froide pensée ! Implorant le Seigneur de ses géantes tours, Elevant jusqu'à lui ses bras larges et lourds, Le temple se demande, enfin, si le silence Des jours longs, éternels, pour la terre commence, S'il lui faut abaisser devant Dieu qui punit Sa fierté de marbre, et son orgueil * de granit ! A la voir, en la nuit, indécise et sans forme, De loin, on la prendrait pour un nuage énorme Qui des pieds, de la tête, à la fois arrêté Vient confondre la terre avec l'immensité ! On ne distingue plus ces guirlandes de lierre Qu'une savante main a brodées sur la pierre, Ces bas-reliefs fouillés avec science et goût Dans ce roc entassé qui se tient tout debout ! Ces fleurs, et ces festons, ces crosses naturelles Qui semblent recouvrir le temple de dentelles, Et ces monstres empreints de rude cruauté Se penchant sur l'abyme en toute sûreté. Non ; pour les admirer alors l'heure est trop brune, A peine par instants en saisit-on quelqu'une, Quand parfois, scintillant sous un pâle reflet, Elles vacillent comme une flamme au soufflet. Pour le jour de douleur que la tardive aurore Du matin souffreteux avec peine évapore, Qui du Sauveur a vu clouer le Saint cercueil, Le ciel veut mettre un crêpe à la nature en deuil. Cependant l'aigre son de la grêle crécelle , Au temple noir le soir de son cri nous appelle ; La cloche ne peut plus soupirer dans les tours De crainte de troubler la brume de ces jours ; A ses bruits les plus sourds, à ses glas les plus sombres, Répondant dans la nuit, tressailliraient les ombres. Triste, vide, en son sein, pour quelque temps encore Sur le morne battant le temps fuit et s'endort. La foule en noirs manteaux, en brune houppelande, Que le zèle divin à Ténèbres demande, Sur les pavés brumeux que lustre le verglas, S'avance en appuyant soigneusement son pas ; A la voir se roulant en silence en la rue, Au moment où la nuit sur elle est suspendue, Où l'oil ne peut plus voir que contours indécis Qui se fondent ensemble en la nuit obscurcis, Vous diriez dans son lit un fleuve qui déroule Sans bruit les noirs replis de sa lugubre houle, Ou bien dans le brouillard un immense serpent Qui traîne ses anneaux et s'avance en rampant ! De moments en moments, la stridente crécelle, Dans le silence élève un cri lugubre et grêle ; Comme un vaste troupeau qu'on renferme au bercail, La foule disparaît sous le vaste portail. Quels murs tout délabrés ! quel autel sans dorure, Dépouillé d'ornements, chandeliers, garniture ! On reconnaît en lui la forme du tombeau ! Mais la tombe elle aussi représente un berceau ! Triste rapprochement ! le sacré tabernacle Eternellement où vit l'Eternel miracle, Vide comme un ciboire en entier consommé, Laisse sa porte ouverte ; à l'entrée, incliné, Le crucifix s'abaisse, étonné ! cherche encore La relique sacrée où le Christ s'incorpore ! Oui, oui, le Christ est mort, et ce solennel jour N'est pas de ses douleurs seulement le retour ! Le divin tabernacle où sa vertu réside Pour toute âme Chrétienne en ce moment est vide ! Il est mort, il est mon, et de sa passion Le crime rejaillit sur la communion ! Pleurez, pleurez, Chrétiens ; en votre âme fidèle, L'hostie est morte, hélas ! Le Christ fut mort comme elle ! Cependant, de l'office on entonne les chants, Tantôt pleins de reproche l, ou bien tristes, touchants ! Un office des morts ! - avec la fin du Psaume Comme au souffle mortel d'un magique fantôme, Sur le chandelier jaune, aux quinze feux, s'éteint Un cierge, de la mort symbole trop certain ! L'obscurité s'accroît s'accumule en l'Eglise " ; Parfois entre deux chants, la sibilante bise S'engouffre, siffle et gronde à travers les vitraux, Les fait trembler, grincer. Des frêles chapiteaux L'acanthe si mobile, agitée et tremblante, Semble animer sa pierre, et feuille renaissante, Fait entendre parfois l'osseux bruissement Du cyprès et de l'if sous le souffle du vent, Et vient accompagner de ses accord funèbres, Les pleurs, les grincements, les plaintes de Ténèbres. Le cour se sent tout froid, la bise du dehors u Le serre et le contraint, comme en de longs remords. Et puis l'orgue reprend, et son bruit qui résonne, Sous les arceaux brunis s'engouffre, éclate et tonne ; Les efforts haletants repoussent de son sein, Poitrine de géant, son haleine d'airain. L'Eglise s'en emplit, répète son tonnerre ; On dirait par instants un tremblement de terre : Le pilier a gémi, l'ogive en a sauté, La voûte a retenti dans son obscurité ; Dans le haut de la tour où l'écho le répète, Le saisit, le quintuple, en fait une tempête, Redoublant son effort, le géant tourmenté Jette la note énorme, et l'accord indompté, Puis s'arrête. Le son quelques moments encore Se roule, se resserre en la voûte sonore ; Ce n'est plus ce tonnerre, excitant les échos, C'est un bruit plus posé, qui résonne en repos ! En diminuant, il s'enfuit doux et tranquille, Plane un instant encor sur la foule servile, Rampe autour de l'autel, et se refoule au Chour... Le silence reprend, et le dernier bruit meurt. L'antienne se dit ; le triangle de flamme Qui monte, et qui s'éteint, comme s'éteint une âme, Resserre les anneaux de son serpent de feux, Et les psaumes sacrés se resserrent comme eux. Entendez ! Entendez ! la chapelle gothique, Ecoute en frémissant comme une autre musique. Les accords en sont doux ; bien loin de ces accents Qui naguère versaient leurs épouvantements ; Le son mélancolique a des notes moins graves, L'orgue semble pleurer sur les tristes octaves. Tout pénètre dans l'âme et la rend toute en pleurs ! Fidèles, écoutez ! c'est le chant des douleurs. On croit voir entonnant la sombre Litanie Aux portes de Sion l'inspiré Jérémie ; Il pleure sur sa ville, et sa dolente voix Ne fut comprise ni des peuples, ni des rois ! Non ! Non ! Jérusalem était fière et damnée ; Elle ne pouvait plus saintement ramenée, Rendre grâce à son Dieu, propice, patient, Qui l'attendait encor ! pleurait en l'attendant ! Tu ris, Jérusalem ! Ah ! pleure sur toi-même, Ta bouche impure, hélas ! un nom sacré blasphème ! Change, Jérusalem, l'heure de la douleur Arrive ! Tourne-toi, Sion, vers ton Seigneur ! Et le peuple priait, et sa tête courbée Demandait grâce encor ! La note dérobée S'envolait emportant la prière en les Cieux ; L'octave gémissait, pleurait d'un oil pieux ; L'orgue le renvoyait à la voûte hautaine, La voûte le disait à la tour plus prochaine De Dieu, la tour à l'ombre, et l'ombre dans le ciel, Et le ciel la versait au sein de l'Eternel ! Ces cathédrales qui soulèvent les nuages, Entassements créés à vaste renfort d'âges, Ces temples si massifs aux prodigieuses tours, A la tête effrayante, aux pieds larges et lourds, Aux niches , cavités, réceptacles sans nombre, A l'ogive légère, en dentelle, sans ombre ! Cette masse multiple arrachée aux grands monts Qui pourrait écraser des villes dans ses bonds, Ce grandiose d'art qu'on ne retrouve guère Que pour Dieu, n'est pourtant qu'abri de prière ; Mais la voix du mortel qui supplie et gémit A pour monter au ciel une échelle en granit ! Le saint office du soir se poursuit et s'avance : Le peuple de sa tête, en faisant pénitence, A frappé quatre fois I du temple le pavé, Et quatre fois en pleurs s'est aussi relevé ! Le chandelier s'éteint, sa branche supérieure Seule a gardé son cierge ; en la sainte demeure, Sa clarté vacillante apparaît comme un ouil Lumineux qui regarde, hélas ! lueur de deuil ; Puis derrière l'autel, cachant sa solitude, Le cierge disparaît ; dans une humble attitude, Le peuple neuf fois chante un Kyrie eleison ; Puis du Miserere s'entend le triste son Comme un chuchotement de sépulcre et de tombe ; Tout se tait et tout meurt ! le silence retombe ! Tout à coup au milieu de la glaciale nuit Bourdonne et retentit un remuement, un bruit ! Le cierge a rapporté sa lugubre lumière ; Il s'éteint ! de l'office il finit la prière ! Le peuple disparaît dans le linceul du soir ; Le temple s'est fermé !... plus rien ! rien !... tout est noir ! |
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Jules Verne (1828 - 1905) |
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Portrait de Jules Verne | |||||||||
Biographie / OuvresJules Verne naquit à Nantes le 8 février 1828. Son père, Pierre Verne, fils d'un magistrat de Provins, s'était rendu acquéreur en 1825 d'une étude d'avoué et avait épousé en 1827 Sophie Allotte de la Füye, d'une famille nantaise aisée qui comptait des navigateurs et des armateurs. Jules Verne eut un frère : Paul (1829 - 1897) et trois soeurs : Anna, Mathilde et Marie. À six ans, il prend ses premi ChronologieLA VIE ET L'OEUVRE DE JULES VERNE |
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