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Julien Green

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Débuts : un jeune catholique en colère et un romancier venu du froid


Poésie / Poémes d'Julien Green





Au fils qui n'éprouve de vocation pour aucun métier, les parents français demandent sans cesse : « Mais que vas-tu donc faire pour gagner ta vie ?» M. Green, lui, n'abordait jamais ce sujet avec son fils. Cependant les Anglo-Saxons savent faire parler le silence, et une question qui n'a pas été formulée ne s'en trouve pas moins posée par eux. Julien Green laissait comprendre que le problème ne l'inquiétait point, bien qu'aucune aide ne pût lui venir de sa famille après la ruine de son père, datant d'avant sa naissance. Revenu à Paris, il va s'inscrire à la Grande Chaumière, après avoir décidé : Je serai peintre. Cette vocation, il croit sincèrement l'avoir - mais son illusion sera de courte durée. M. Green emmène un jour son fils chez Mike Stein, l'un des deux frères de Gertrude Stein et célèbre collectionneur. Là, le jeune visiteur se trouve face à face avec quelques Matisse des plus fameux, et le portrait d'une dame, surtout, l'étonné : une femme avec des yeux charbonneux et la moitié du visage vert pomme. "C'est Mme Matisse», dit M. Stein... Il me raconta qu'un monsieur, ayant vu ce portrait dans l'atelier du peintre, avait demandé a Matisse pourquoi il avait peint le visage en vert. Sur quoi, Matisse avait jeté au curieux un sale regard et avait répondu d'un ton glacial : «Monsieur, ce visage n'est pas vert. »



A Julien Green qui la regarde alors avec perplexité, la Dame verte parle : Regarde-moi, semble-t-elle dire. Mon visage est de tra-Vers et à moitié vert, et mon nez se retrousse d'un côté comme si je reniflais... Je suis hystérique. Je suis la dame qui enfonce une longue épingle à chapeau dans son chapeau, zzzz, à travers la cervelle ! Je suis moderne, mon garçon, je suis l'art moderne, et tu viendras à moi, un jour.

Le jeune homme renonce à la peinture après cette entrevue, car il sent qu'il ne pourra et ne voudra pas peindre comme ça.



« Pamphlet contre les catholiques de France »



Le hasard le met alors en rapport avec un jeune intellectuel qui brûle de devenir chef d'école, Pierre Morhange. Visage étroit et, dans le regard, une étincelle qu'on n'oublie pas. Révolutionnaire, ce petit prophète consumé de ferveur nihiliste veut faire table rase avant d'imposer à la société un nouvel ordre fondé sur la justice. « N'as-tu pas remarqué, demande-t-il à Green, que Shakespeare et Lénine ont le même front ? »

L'homme prépare deux machines de guerre : la revue Philoso-phies, arme stratégique, et la Revue des pamphlétaires, arme tactique. Rédigé par un seul écrivain, chaque numéro de cette dernière publication prendra pour cible une puissance du jour. Au cours d'une promenade au Bois, Morhange demande à son compagnon de lui révéler ce qui l'intéresse le plus dans la vie :

- La religion.

- Tu es catholique?

- Oui, catholique romain...

Et Green de dénoncer l'embourgeoisement du clergé et des fidèles. Morhange pense au spectacle inouï d'un « pur » attaquant les bien-pensants, et son parti est aussitôt pris : Green montera le premier à l'assaut, versera l'huile bouillante, publiera le premier pamphlet : Tu sais, c'est très important, tu les extermines au nom de la foi, dit-il à Green, tu vas peut-être déchaîner une guerre religieuse.

- Combien de pages?

- Cinquante.

Rentré dans sa chambre silencieuse, Green couvre de grands feuillets d'une écriture claire et soigneuse. Il se délivre de toute une masse de pensées qui pesait sur lui depuis longtemps et, s'il s'en prend avec tant d'ardeur à ses coreligionnaires, c'est qu'il en veut d'abord à lui-même. Si jamais une autobiographie est sortie de mes mains, c'est bien ce petit livre. J'étais furieux de découvrir que je n'étais pas un saint. Trop de choses bouillonnaient en moi, trop de désirs dont la violence m'alarmait. Je ne me croyais pas perdu, certes, mais je croyais perdu le catholique incertain que j'accablais de mes reproches et qui me ressemblait comme un frèrt. Je lui parlais de l'enfer pour le ramener dans la voie étroite. Cependant, le lendemain du jour où il a commence à rédiger, ou plutôt à transcrire un texte déjà imprimé en lui, le jeune catholique en colère tombe malade. Peu importe. Il continuera d'écrire dans son lit, où il a posé une planche à dessin en guise de pupitre. Cinquante grandes pages sont achevées en trois jours. Sur l'insistance des siens, Green choisit un pseudonyme et signe l'ouvre Théophile Delaporte. L'ouvrage paraît le 15 octobre 1924. Sur la bande rouge ce défi, suggéré par l'éditeur : « Dédié aux six cardinaux français. »

Peu d'articles parurent sur l'ouvrage, mais plusieurs écrivains furent intrigués par ce bûcher de l'Inquisition allumé tout à coup, au XXe siècle, par un inconnu sur la place publique, et ils écrivirent à l'auteur, Max Jacob, le premier, puis Stanislas Fumet, filleul de Bloy. Enfin, Jacques Maritain voulut connaître Julien Green, et cette première rencontre, suivie de beaucoup d'autres, ouvrit la voie à l'une de ces amitiés que le temps devait fortifier et de plus en plus. Après la première conversation avec le philosophe, Green s'était senti, dit-il, lourd et terrestre. Jacques Maritain, dans la préface qu'il écrivit, beaucoup plus tard, pour la réédition du Pamphlet (en 1963) analyse les conditions dans lesquelles parut le petit livre, exprime son admiration d'écrivain pour « la dureté de ces beaux contours pascaliens enfermant je ne sais quel tremblement de détresse », et dit la joie qu'il avait eue de pressentir dans le signataire de l'ouvre « une âme exceptionnellement profonde ». Il voit dans ces pages, qui furent peu remarquées du grand nombre, le début d'une longue carrière, et devine que sur « les chemins du monde et de la gloire littéraire» le jeune auteur inconnu avancera «avec crainte et une espèce de désespoir attentif».

Dans les fragments qui suivent on percevra aisément, sous la forme objective de l'ouvrage, la vibration toute personnelle d'un catholique avide d'absolu :



L'esprit se lasse à poursuivre cette pensée. Nous sommes l'objet d'un amour sans nom (§ 30).

Ce monstrueux amour ne nous laisse aucun répit; il nous guette, et pour peu que nous cessions un instant de le combattre (c'est la principale occupation du chrétieN), il se précipite en nous, s'installe dans notre cour qui ne comprend pas, bouleverse notre vie et nous rend odieux à nous-mêmes et au monde entier (§ 31).

// se met devant elle comme un serviteur, il lui parle doucement, et pour qu 'elle l'entende il fait la solitude autour d'elle et le silence en elle, il l'attire en un lieu désert et secret; et cette âme se laisse prendre, car elle est malhabile à se défendre (§ 33).

Visitée par l'amour, elle en conservera un souvenir cruel qui la hantera jusqu'au jour de la mort; elle en aura pris le goût et c'est ce qui finira par tuer sa chair. Tous les plaisirs du monde n'effaceront pas le souvenir de l'amour étrange qu'elle n'a pu accepter et qu'elle désire, maintenant, en une passion de remords et de désespoir (§ 35).

Le clergé vous parle peu de l'enfer parce que cela n'est pas dans l'esprit de notre temps; il parle aux hommes comme il leur "convient qu'on leur parle, et il oublie que les choses éternelles ne sont point régies par les modes du siècle et qu'elles existent indépendamment de ce que le siècle pense d'elles. Il se tait sur l'enfer, mais il ne fera pas que l'enfer n'existe point (§ 134).

Tout catholicisme est suspect s'il ne dérange pas la vie de celui qui le pratique, s'il ne le marque pas aux yeux du monde, s'il ne l'accable pas, s'il ne fait de sa vie une passion renouvelée chaque jour, s'il n'est pas difficile et odieux à la chair, s'il n'est pas insupportable (§ 183).

Ils ont leur catholicisme comme j'ai le mien. Le mien est étrange par ce qu'il a de monstrueux, le leur est encore plus étrange par ce qu'il a de commun (§ 185).

Ce pamphlet fut traduit de nombreuses fois, et dès sa parution - en tchèque par Josef Florian, traducteur et ami de Léon Bloy, en Angleterre par T.S. Eliot, par Papini à Rome.



« Mont-Cinère »



« Courage, Green ! Votre ouvre est bonne. Le romantique accusait l'univers pour justifier l'homme. Mais c'est l'homme, c'est l'homme qui est déchu ! » Ainsi Georges Bernanos salue-t-il, en ce mois d'août 1926, Mont-Cinère, premier roman d'un inconnu. Quelques semaines plus tôt Edmond Jaloux s'était prononcé, lui aussi. Son feuilleton des Nouvelles littéraires impose les nouveaux noms. Il situe Julien Green dans la famille des Brontë et de Haw-thorne, avec une très belle perspicacité. D'un autre juge Green gagne un surnom, « le quatrième Brontë » - car on parlait alors beaucoup de Charlotte, de Branwell, et surtout d'Emily. Un Brontë en France, parmi les auteurs de 1926? Autant dire un martien. Et pourtant l'appellation peut se défendre, et l'écrivain tombe bien d'une autre planète. Dans Mont-Cinère, cet aéroli-the, l'analyse ne décèle aucun des éléments dont la littérature compose ses derniers étalages explosifs. Le roman de Green ne va pas au contraire de la mode, il se tient en dehors de toute mode. En général, un débutant bouscule ses aînés pour s'ouvrir un chemin, et leur passe, s'il peut, sur le corps. Or, ce nouveau venu ne s'attaque à personne, et ne se rattache à personne. Le surréalisme n'a pas déteint sur lui, et moins encore, et même pas du tout, les snobs du Bouf sur le toit où il ira comme tout le monde, les Noailles, Mauriac, Cocteau et tous les étrangers de la dolce vita.

Détail curieux : deux ans avant la publication de Mont-Cinère, Green avait écrit deux articles sur un grand écrivain étranger dont on commençait à parler à l'époque, James Joyce. L'un sur Ulysses (Philosophies, 15 mai 1924), l'autre sur Dedalus, dans la NRF d'août. Le romancier irlandais intéresse énormément Green, qui par la suite aura une affectueuse admiration pour lui, mais la découverte d'Ulysses, événement considérable du moment, n'exerce aucune influence directe sur le débutant. La rencontre, à Paris, de poètes et d'auteurs d'avant-garde n'agit pas davantage sur l'écrivain et sur son ouvre en formation. Et pourtant... Et pourtant un livre digne de ce nom est toujours de son époque par l'esprit qui l'anime. Les jeunes gens d'alors, comme ceux qui les ont précédés, dénoncent le mal du siècle - il y en a toujours un - et le leur se nomme Inquiétude, avec un I majuscule. Ils sont tous inquiets, et leur rêglFmâjeure tient en trois mots : Sincérité avant tout. Grâce à quoi, annonce la NRF, l'âge d'or est proche qui va nous dire bientôt, peut-être, tout ce qu'on a tu jusqu'ici. Qui nierait que l'inquiétude se trouve dans Mont-Cinère comme le ver dans le fruit ? Certes, le « Je » n'y règne pas comme dans les confessions publiées couramment sous le nom de roman, mais, en revanche, des êtres humains à trois dimensions (on pourrait dire à quatre dimensions, car ici il y a celle de l'âme, qu'avait vue MaritaiN) vivent sous nos yeux. Enfin un roman objectif! déclare François Mauriac. Oui, si l'on entend par là une ouvre où des personnages en relief occupent la scène... Mais l'auteur est derrière eux. Lisant de nouveau, en 1954, la première version de Mont-Cinère, Green notera dans son Journal : Tout était donné, tout s'y trouvait en substance, ma faim, mes inquiétudes, l'effroi de vivre. )

Tel quel, avec son style clos si contraire aux brillantes nervosités des autres romans à la mode, Mont-Cinère plaît. La critique ne cache pas sa surprise - et des Parisiens se montrent intrigués : comment peut-on être américain et écrire en français ? Le contraste du nom anglais et de la langue choisie comme moyen d'expression alimente dans plus d'un cercle de lecteurs parisiens ce que Voltaire appelle «les conversations de Babylone».

L'auteur a pris pour sujet le vice le plus ingrat à décrire, l'ava-___ riçe, et choisi comme lieu de l'intrigue un pays lointain autant que glacial. D'où sortent ces arpents de neige, ces haines familiales implacables, ces sévères portiques, ces femmes grelottant sous leur châle devant l'âtre vide et, pour finir, ce feu rédempteur, cette maison qui flambe jusqu'à l'aube ? Ce romancier qui vient du froid, qui porte un nom anglais, que va-t-il écrire après ce livre insolite?

Viennent alors, l'un après l'autre, sagement, de sombres livres à l'écart des modes, brûlants et étouffants, descendant l'un après l'autre les cercles de l'enfer de notre société, dans l'analyse d'âmes à la recherche d'un paradis muré. Doués d'un pouvoir d'évocation hors du commun, les romans greeniens de cette période brillent comme des diamants noirs, visions nocturnes d'un monde qui a l'air abandonné de Dieu, et qui le cherche dans ses ténèbres, sans s'en douter parfois.



« Le Voyageur sur la terre »



Cette nouvelle de 1926 nous expose un_cas_de dédoublement de la personnalité.^Green n'approche jamais d'aussi près sa vérité que lorsqu'il s'abandonne à son imagination. Le romancier, cette fois encore, avance sans avoir tracé aucun chemin devant lui sur la carte. Le lecteur comprendra telle page, tel chapitre, souvent mieux et plus vite que l'auteur, phénomène possible en Angleterre ou aux Etats-Unis, et aussi en Russie (cf. Dostoïevski et son publiC), mais assez rare en France, où l'écrivain, comme on sait, se veut malin.

J'ai ignoré pendant un long moment, tandis que j'écrivais, avoue Green, que Paul était le double de Daniel O'Donovan...



Les faits singuliers que l'histoire révèle peu à peu sont contés dans des phrases de couleur volontairement neutre. Aucun effet, jamais de feu d'artifice. Rien ne nous met sur nos gardes, nous sommes pris dans les rets de l'action et, lorsque le lecteur s'en aperçoit, il est trop tard, il est déjà prisonnier. Madame Simone disait : « La prose de Green, c'est comme la marée du Mont-Saint-Michel : on ne se méfie pas, et le flot vous entoure sans que vous vous en aperceviez. » Jean Cassou devait analyser plus tard, non seulement la bizarrerie des personnages et de leur aventure, mais la nature étrange de l'air ou plutôt de Vabsence d'air qui les entoure. « Chacun, observe-t-il, demeure enfermé dans son existence comme dans une manie. C'est que chacun a peur. Peur de lui-même et peur du monde.»



On lit dans le Voyageur l'un des premiers rêves transcrits par Green, et celui-ci précède le nombreux cortège de songes qui traversera les autres livres. Autre début de série : une gifle que le narrateur voudrait administrer à un personnage - mais, au dernier moment, il se domine ! Les héros des romans ultérieurs ne montreront pas autant de retenue... Lorsque Daniel O'Dono-van nous apprend que le porte-plume, entre ses doigts, devient tout à coup d'une légèreté magique, il décrit là une manifestation de cette écriture automatique que les surréalistes cherchaient tant à retrouver.

Lors de sa prépublication dans la NRF, durant l'été de 1926, le texte avait causé une grande surprise, car le débutant s'exprimait dans un langage d'une nudité inattendue. Sans perdre une minute, André Gide écrivit à Jean Paulhan pour lui dire son «extrême contentement». Il fit, peu après, la connaissance de ' auteur, et Le Voyageur sur la terre marqua, pour les deux écrivains si largement séparés par l'âge et les opinions, le début de conversations qui s'échelonnèrent durant un quart de siècle et d'une amitié qui ne ressembla à aucune autre.



« Les Clefs de la mort »



L'auteur commença à travailler à cette nouvelle peu de temps après la mort de son père, survenue le 1er juillet 1927, et cet événement explique, en partie, la couleur générale du récit ainsi que le titre primitivement choisi, Azraël (l'ange de la mort chez les musulmanS), auquel devait se substituer finalement Les Clefs de la mort (tiré de l'Apocalypse, I, 18).

L'action se déroule en France, où Jean, jeune homme ardent aux désirs exaspérés autant qu'irréalisables, exprime sa nature profonde dans un cri que pourraient lui emprunter tous les personnages greeniens : Je suis pareil à une prison trop étroite habitée par un prisonnier monstrueux qui en ébranle les murs de son épaule. Dans la maison où vivent Jean, sa mère et Odile, petite fille d'une vague cousine disparue, s'introduit un maître chanteur, Jalon. Il n'a pour but que de régner en maître. Jean décide de le tuer. Et dès lors il est possédé par son crime. Son double l'habite, c'est le criminel en puissance qui lui suggère tout ce qu'il faut faire pour réussir son meurtre. Envers Jalon, dont il a décidé la mort, il n'éprouve plus de haine, mais de la curiosité et même une sorte de complicité. Cependant, Odile a toutes les presciences d'une petite visionnaire et fait échouer l'assassinat, mais elle en meurt, comme si son cour ne pouvait supporter les injustices de la vie autour d'elle.

Christine, est une histoire très courte. Un jeune garçon s'éprend d'une cousine qu'on lui cache. Elle est la beauté, mais son intelligence est en retard, et sa mère la surveille et l'enferme. Alors il veut essayer de l'approcher et, profitant qu'ils sont seuls dans la maison, essaie de lui faire ouvrir sa porte, mais elle ne comprend rien. Il lui glisse une bague, un saphir. Elle la mettra à un doigt et, ne pouvant plus la retirer, aura une crise. Le lendemain elle s'en ira. Puis, un an plus tard, la mère de Christine, sa tante, viendra leur rendre visite. Elle est en deuil et le saphir brille à son doigt.

Il y a beaucoup de petites filles dans les romans de Julien Green, mais ce sont des fillettes mystérieuses et parfois sinistres, aussi dangereuses que les Lolitas.



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Julien Green
(1900 - 1998)
 
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