Louis Aragon |
I Souviens-toi La senteur des magnolias blancs Te parlait le langage amoureux des Tropiques Dans le chemin de la Photographie-Hippique Le soir se faisait tendre à la Croix-Catelan Ce n'est qu'un lieu de valse où l'été s'abandonne Mais qu'une ombrelle donne à l'ombre ses bras nus C'est assez d'un soupir ouvert sur l'inconnu Et la Madone noire un autre chant fredonne Dans la chaleur tombée avec le jour défunt Les bouches ont toujours un air de la blessure Leur morsure a le goût de sang des pommes sures Un songe de la mort tourne au cour des partums Il meurt d'avoir vanté ces parfums qu'il apporte Celui dont le fantôme erre au fond de la nuit Et Philippe-le-Bel regarde avec ennui Arnauld de Catelan tué par son escorte Comme elle va pleurer Madame de Savoie Odorant messager qui venait de Provence J'avais tremblé pour toi comme si par avance Je savais que jamais je n'entendrais ta voix On disait qu'elle était si belle et déchirante Qu'une fois qu'on l'avait par malheur entendue On en oubliait Dieu le temps et l'étendue Les reines l'écoutaient aux rois indifférentes Beaux assassins vous avez fait là du joli Fallait-il qu'un de vous de lui-même vous vende Qui lut au bal danser ruisselant de lavande Et laissa dans son lit l'odeur du néroli Ignorant aujourd'hui N'était cette croix blanche Qui saurait maintenant où ce poète gît Que le roi fut ému que l'herbe fut rcugie Et le doux rossignol mis entre quatre planches Ce n'est pas qu'un chanteur que Paris oublia Les drames plus récents 1 embaument d'autre essence Ces morts-là voyez-vous ressemblent aux naissances Et parfument la nuit d'autres magnolias II Dans l'étrange Paris de Philippe-le-Bel Le Roi même faisait de la fausse monnaie On entendait les loups près du Louvre et ce n'est Qu'au galop qu'on fuyait les hommes de gabelle Il me semble parfois qu'il n'est rien de changé On se découvre encore au passage des reines Quand les seigneurs s'en vont chasser dans la varenne Autre est l'émerillon comme autre est le danger Mais le peuple ressemble au peuple Ses haillons Ressemblent aux haillons de la vieille misère Comme au désert ressemble toujours le désert Et la bouche a toujours la forme du bâillon Le siècle a son éclat qui se lit aux dorures Le nom des rois s'écrit au pli de leur manteau Pour le cour poignardé qu'importe le couteau Le linceul est le même à tous ceux qui moururent L'éternité renaît aux yeux agonisants Les arbres foudroyés qui peut en dire l'âge Qui peut dire la date atroce de l'orage Sur la fosse commune il n'est pas de gisants La mort et non l'amour est l'unique domaine Où l'homme se démasque et se découvre enfin Les traits décomposés d'un enfant qui a faim La mort et non l'amour nous rend la face humaine Regarde-toi mon frère anonyme et sanglant La mort et non l'amour soit notre Véronique Son linge gardera notre image panique À ce portrait divin nous voici ressemblants Les beaux invariants des passions vulgaires Marquent notre visage à l'instant du trépas Regarde-toi mon frère et ne sanglote pas C'est toi pourtant c'est toi qui péris à la guerre Et toi qui disparus Le ciel sait où tu es Un autre encore un autre Écartez ce calice Mes amis mes amis tombés dans les supplices Vous avez fatigué le bourreau de tuer Il avait conservé le geste séculaire Qui fait choir une tête et trembler l'échafaud Les condamnés pliaient la nuque comme il faut Cétait un bon bourreau qui tuait sans colère C'était un bon bourreau qui perdit son latin Vous proclamiez tout haut le grand espoir du monde Confessez-le mon fils la terre n'est pas ronde Mais votre chant montait dans le petit matin Votre Dies irae semblait incendiaire C'est vers l'an treize cent que ceci se passait Au psaume très ancien s'ajoutent des versets Sur les lèvres de feu de nos héros d'hier On entendait les loups près du Louvre et ce n'est Qu'au galop qu'on fuyait les hommes de gabelle Dans l'étrange Paris de Philippe-Ie-Bel Le Roi même faisait de la fausse monnaie III Ce n'est qu'un lieu de valse où la lumière tente Les papillons de nuit couleur de nos regrets Et le Pré-Catelan nous verse feu secret Ce faux jour de Champagne aux épaules chantantes Orchestre où Vienne meurt dans le vent d'Hawaï Un ciel napolitain s'éteint aux airs des ranchs Les grands yeux du passé qui brillent sous les branches Bleuissent de porter ce loup de Chantilly La musique se tait quand faiblissent les rimes Dans l'ombre les bijoux font chuchoter les fées Et le Bois de Boulogne à leur sein dégrafé Laisse errer les doigt longs des tziganes du crime La lune éveille au loin les hautes cheminées La ville dort tout près lassée énorme et noire Et la Seine au tournant de son lent promenoir Reçoit l'aveu des eaux que l'homme a machinées Brindilles Souvenirs Ah tout ce qui s'accroche A la traîne qui suit nos pas dans les allées J'écoute dans mon cour les gouttes étoilées Des cascades qui sont la mémoire des roches Rien qui ne se prolonge en moi comme un sanglot Un dimanche à bécane ivre de grenadine Les fleurs d'acacia les boîtes de sardines Le long de la promenade du Bord de l'Eau Au-dessus de Saint-Cloud les lumières ont-elles Cette légèreté que leur donnaient vingt ans On n'imagine pas comme il faisait beau temps Poussières du passé Roses de Bagatelle On voudrait que la vie ait la douceur d'un chant La douceur d'un amour la douceur d'un visage Ou la blancheur au moins que font au paysage Les tribunes du champ de courses de Longchamp La vie Elle aura pris des routes singulières On dirait une noce avec des mirlitons Mais le cocher se penche et demande Où va-t-on Qui répondrait Chacun songe à sa cavalière La vie est après tout une longue agonie Qu'importe qu'on rumine aux ruelles du sort L'essentiel c'est qu'au bout du compte on s'endort Lorsque le jour déjà jaunit Gethsémani Si tu pleures Jésus est-ce de ton calvaire Ne sais-tu pas que comme toi tous nous mourrons La passion la pire est celle des larrons Jamais ressuscites à ce triste univers Au pays du soupir peut-être songeais-tu A ceux qui sans pleurer ont connu la torture Et qui n'ont pas mêlé le ciel à l'aventure Qui n'auront ni vitrail ni palme ni statue Les morts qu'on ne distingue pas des autres gens Les morts de tous les jours dont nul ne sait le nom Ceux qui sont morts un jour d'avoir répondu non Les morts qu'on ne fait pas entrer dans la légende Au pays du soupir où parmi les buissons A la fin fatigués s'endormaient les Apôtres Qui ne furent que des hommes comme les autres Et vous savez mon Dieu ce que les autres sont IV Arnauld de Catelan tué par votre escorte Vous ne reverrez plus ce pays d'oliviers Et vous n'avez pas vu Paris dont vous rêviez Je me lamente ici mais c'est d'une autre sorte Vous dormez dans la terre où veille mon tourment Quand la nouvelle vint frapper au cour la France Vous ne pouvez savoir quelle fut ma souffrance Dans l'école déserte au soir d'un bourg normand Ô douleur qu'une larme à la fin ne délivre Je criai tous les mots que le délire crée Comme Jésus pleura j'aurais voulu pleurer Paris humilié j'enviais ne plus vivre J'eus beau la supplier la mort n'a pas faibli Dans la forêt du Maine où je cherchais les chars Les chênes me voyant croyaient voir le Roi Charles Regrettait-il le Louvre au noir de sa folie Son cheval a pris peur disaient les gens de cour Le Roi de France est fou disaient les médecins Et les poignards luisaient aux yeux des assassins Où court-il Où court-il On ne sait pas II court Il court pour oublier le deuil et l'impuissance Isabeau qu'il aima que le peuple haït Les princes conspirant et ses rêves trahis Mais si loin qu'il courût il retrouva l'absence L'absence Elle est pareille aux passages d'oiseaux Qui nous parlent au ciel d'une terre lointaine Le Roi fou se mirant au bassin des fontaines L'ombre d'un vol y vint décoiffer les roseaux L'absence Elle est aux yeux cernés des courtisanes Et qui rêvent d'un autre en vous parlant tout bas Elle est dans les chansons Elle est dans le tabac Elle est dans le vieillard au bain guettant Suzanne L'absence Elle est partout présente dans les rues L'absence Elle est dans ce bouquet de violettes Elle est au fond du verre et le vin la reflète Ô diane au matin des nouvelles recrues On s'arrache à la nuit comme un corps à l'armure On retrouve la vie encore enténébrée Quand on n'est pas chez soi c'est toujours la chambrée Je rêve à toi ma ville entre ces quatre murs Qui me redonnera le pavé de Paris Et le Palais-Royal et la rue Bonaparte Odette imagina pour vous les jeux de cartes Sire et-vous retourniez toujours le mistigri Odette autour des yeux si j'avais moins de rides Je croirais voir vraiment mon double en ce valet N'était-ce pas lui qui surgit de la tremblaie Et prit dépenaillé mon cheval à la bride Je l'ai vu dans la glace au soir de l'incendie Lorsque l'Hôtel Saint-Paul brûlait avec son bal Il était habillé comme un roi cannibale Et le feu de l'enfer entourait le Maudit Que me veux-tu jeune homme à la figure impaire Toi qui t'en vas sans cour sans femme et sans ami N'as-tu jamais gémi N'as-tu jamais frémi Quand j'ai le plus beau jeu tu parais et je perds Dis-moi qui est ton maître est-ce mon oncle Jean Qui t'a payé dis-moi pour faire mon malheur D'où viens-tu chien de pique Où vas-tu bateleur J'ai joué ma couronne et j'ai joué mes gens Et le Chevalier Noir de Paris-près-Gonesse Souriant comme le font les anges des tableaux Je suis murmura-t-il l'âme de ce complot Que tout homme à mi-voix appelle sa jeunesse Je te ressemble ô Roi qui perdis la raison Je suis le pain rompu dont ta vie est la Cène Tu gardes dans tes yeux les couleurs de la Seine Tu peux fuir Je serai toujours ton horizon Je berce ta folie et je suis ta défense Ô monarque dément qu'on a dépossédé Qu'importe d'avoir brisé le fil de tes idées Si tu portes en toi le ciel de ton enfance V Mais il n'est pas le mien ce ciel et pas le mien Ce pays d'oliviers qui fleure les fenouils l Où ce n'est pas un dieu l'homme qui s'agenouille Et tu n'es pas mon Dieu Dieu jérusalémien Tout ce bleu me paraît un beau temps de louage Et ma mélancolie est ceile du marin Sur un coup de cafard qui voit avec chagrin Son corps à tout jamais couvert de tatouages Ô cactus de l'exil Parfum des orangers Pour un peu de vin blanc je donnerais ces palmes Ce soleil sans pardon cette mer toujours calme Où le nuage et moi nous sentons étrangers Les fleurs offrent aux yeux leur débauche adorable Les amours odorants des oillets se marient À la rue où respire un air de griserie Nulle part je n'éprouve être autant misérable Nulle part comme ici tous les jours le tantôt Dans ce marché bruyant devant la Préfecture La rose ne paraît masquer des sépultures Les lilas y sont lourds comme au campo-santo Ces rêves embaumés vainement s'harmonisent Mimosa primevère iris ou giroflée Ils ont les coloris des bulles mal soufflées Et la fragilité du verre de Venise Pourquoi me souvient-il avec mélancolie À cet instant du monde et de ma propre histoire D'un vers de Dante au chant treize du Purgatoire Une âme qui vécut aubaine en Italie (1) Comme cette âme-là nous vivons dans l'exil D'un paradis terrestre auquel secrètement Nous préférons l'enfer Paris et ses tourments Grand merci pour l'aubaine et l'azur et l'asile Et Charles renversant la table et les tarots A ses fantômes cire Ô Maillotins courage Nous voici maintenant réunis par l'orage Chassez l'Anglais de France et rouez les bourreaux Rendez-moi mon Paris le Louvre et les Tournelles Moi je vous donnerai mes bijoux Citadins Aux cartes s'asseyant sur les bancs des jardins Nous jouerons vous et moi les choses éternelles La Gabelle perdue en cinq points d'écarté Montfaucon soit l'enjeu de la seconde manche Vous gagnez À tout coup je tombe sur un manche Quitte ou double Au tapis jetons ma royauté Peuple je n'aurai plus bientôt que ma chemise Veux-tu mon droit d'aînesse contre un cerf-volant Quelle guigne Un carré quand j'avais un brelan Où prends-tu tous ces rois pour me rafler mes mises Quel gage acceptes-tu si nous recommençons Mêle Je couperai Tu tournes la manille Je parierai ma liberté pour tes guenilles La liberté Paris vaut plus qu'une chanson Les gestes du dément comme un vol de cigognes Engendraient sur le mur de noirs chasses-croisés Odette l'épiait craignant de se blouser Pour faire son rapport à Jean Duc de Bourgogne Le geôlier s'étonne au judas Qu'est-ce qu'il fout . La chandelle illumine à demi la cellule Les chauves-souris s'y changent en libellules Une paillette d'or brille aux yeux du Roi Fou VI Poésie ô danger des mots à la dérive Dans la limaille d'ombre il faudrait un aimant Et la forêt s'étoile et devient firmament Dans la vigne des nuits il monte un chant de grive Fleurs de Provence fleurs de la sorcellerie Je vous retrouve au vent voluptueux des valses Arnauld de Catelan fût-il mort à cheval S'il n'eût dans ses flacons respiré sa patrie Et s'il n'avait formé de vos parfums trop lourds Pour les hommes du roi de si belles chansons Que songeurs s'appuyant dressés à leurs arçons Le meurtre à la prunelle allumant son phosphore Ils crurent qu'un trésor de Golconde dormait Dans les caisses de bois de cyprès sur les mules Poésie ô danger dont les flammes simulent Les bijoux qu'en mourant Cléôpâtre se met Fleurs de Provence fleurs entre toutes les fleurs J'ai trop médit de vous II faut me pardonner Vous qui sentez le ciel étoiles incarnées Et qui faites les yeux de toutes les couleurs Vous chassez de Paris la nuit qui l'endeuillait Du côté de Montrouge une voix vous appelle On demande l'azur à la Sainte-Chapelle A la place Dauphine on a besoin d'ceillets On demande l'espoir du côté de Vincennes Et je veux que l'espoir ait l'accent du midi Les chants désespérés Niez ce qu'on en dit N'ont que faire aujourd'hui sur les bords de la Seine Ceux qui portent des fleurs ont de la France aux bras Et mettent du soleil dans notre nuit frugale Non Sous les oliviers où chantent les cigales Je ne veux pas pleurer comme Jésus pleura Je ne veux plus pleurer car pleurer nous désarme Et c'est bon pour un Dieu de plier le genou De Provence ou d'Artois les hommes de chez nous Sachant vivre debout savent mourir sans larmes Comme les fleurs de Nice et les rimes choisies Si du Nord au Midi notre cour en forme une Que tout serve à chanter notre chanson commune Et Paris mon Paris soit notre poésie |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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