Louis Aragon |
L'INSTITUTRICE On cherche vainement à se souvenir des visages nus des enfants de l'école, ils ont passé comme les calendriers d'auberge où les faneuses ont des gestes éternels et plus incompréhensibles que les ondulations stupides des dentelles du vide-poche On apprend plus volontiers l'algèbre noire des plumiers qurregardent avec une méchanceté contenue les jambes rouges des filles et les cheveux embroussaillés des gamins plus tendres que les bancs ou les lunettes de la femme Je veux parler de cette machine à battre le blé qui frappe dans ses mains suivant les attitudes de l'horloge pensive et muette et qui distribue an dessus des têtes les instants dorés de la paresse échappés par miracle à la grande roue des punitions Juillet 1919, Caji La Source, boulevard Saint-Germain. L'ODEUR D'AUCUN HERBIER L'échelle des sentiments naïfs n'est pas la même pour tout le monde et voilà bien le point de départ d'un malentendu qui ne risque plus guère de s'aggraver du train dont va la vie en ce prêche pervers et assez mal renseigné. Les souvenirs que les gens qui furent jeunes rassemblent avec application gardent de ces époques jaunes et un peu poussiéreuses nous ne savons pourquoi l'odeur d'aucun herbier A la mort de l'un des compagnons que deviendront ses biens iadivis que les notaires considèrent avec un petit air sceptique comme le chien de la gâchette d'une arme automatique servant l'homme à se cacher des pires desseins Juillet 1919, Café La Source boulevard Saint-Germain, écrit sur la même feuille que L'Institutrice. ICI PALAIS DES DÉLICES Les images nues m'ont fait tellement horreur quand j'allais au lycée la serviette autour du cou que je ne puis sans frémir songer au jeune Anaximandre de Léon On m'a dit qu'un seul serpent Python mangeait deux fois son poids d'aiguilles de pin pour se perforer le cour Quelle supposition Or au milieu des phares tournants je demeure muet de surprise en constatant la présence d'un petit cercueil confortable où dansent des poissons rouges Quand la lumière porte la main sur mon sein je bondis d'indignation vers un hémisphère plus serein Joli domaine 0 le dentiste il y a des rois qui descendent en riant Ici Palais des Délices On n'admettra pas les enfants au dessous de trente ans car le poker de l'amour engage très loin les patrimoines les vertus domestiques et les pures révélations de l'innocence Tant que vous me regarderez ainsi je ne lèverai pas un oil et encore moins l'autre de la plante dont le nom fait crier et mourir Elle pousse dans le dos et les chirurgiens la nomment poignard vous n'imaginez rien de plus insinuant que le regard des blondes sauf l'oiseau-à-pleurer qui vole avec des gémissements plaintifs et l'expression du désespoir le plus vif morne tourment de la tempête les astres rient aux éclats On se fait des politesses ce n'est vraiment pas le moment car le seul nom du nautonier arrache des grandes lamentations Café La Source, boulevard Saint-Germain, 1919. LA VILLE ASSISE DANS LES PAVÉS Au grand saisissement des nuages la main blanche s'était arrêtée au dessus des boulevards extérieurs faisant de grands gestes de ses articulations claquantes qui emportaient l'esprit vers une région d'épidémies et de drapeaux Par l'intervalle des phalanges un rayonnement violet s'abattait comme une trombe en mer sur la ville assise dans des amoncellements de pavés et les pancartes de sens unique renversées les cadavres d'agent pourrissants aux carrefours depuis les jours déjà lointains du premier sursaut quand il y avait des anémones à tous les coins de rue et des oillets sauvages aux fenêtres convulsées des maisons Alors on vit sortir d'une venelle noire et tout lépreux de rancours et de désastres un fantôme habillé en fantôme avec ses grandes dents sonores ses façons de hocher la tête et la grande faux maçonnique qui signifie l'égalité des hommes et des femmes Le spectre en passant dans les premiers cafés encombrés d'ouvriers et de bouquetières décoiffa les hommes de leurs casquettes symboliques et fit tomber les bas des femmes Café La Source, boulevard Saint-Germain, 1919. L'ÉPINGLE STÉRILISÉE Ne faites pas allusion aux oiseaux des régions antarctiques j'y vois plusieurs inconvénients Les feuillages viennent heureusement cacher tout ce qui s'agite plus doucement que les cocktails dans les plis profonds et poussiéreux de mon cerveau Je vous en prie n'approchez pas la lampe à huile de cade ni les pinces à disséquer les cours Où fuir les regards méchants des passants qui tracent un tissu serré de pas Tissu qu'on ne peut comparer pour la finesse à la toile d'araignée et encore moins à l'émoi d'une jeune fille qui vient de rencontrer pour la première fois les yeux d'un homme étranger mais de bonne mine La terrible aventure se poursuit à une vitesse folle et quand le film permet de voir les visages des acteurs on n'a plus envie de regarder tant leur expression est intime Sans autre parti pris que de garder l'équilibre de mes facultés je me dérobe aux démons persuasifs de l'investigation Es portent les mains sur ma personne dans cet endroit du cervelet qui produit la mort aux yeux blancs sous l'influence bienfaisante de l'épingle stérilisée Non non c'est-à-dire laissez-moi croire que je suis seul sous un arbre à lait dans le pays où les hommes sont si noirs qu'on ne songerait pas à leur ouvrir la poitrine pour en faire sortir du lait Café La Source, boulevard Saint-Germain, 1919. AU CAFÉ DU COMMERCE La beauté de la femme m'émeut davantage que le loup garou l'explosion de grisou le chant du coucou hibou pou genou Je regrette de ne trouver d'autre point de contact avec la réalité ou plutôt des points de comparaison si médiocres Les larmes coulent dans tous les sens sur les joues des dialecticiens les plus éclairés Je ne crois pas que cette forme liquide de la douleur ait une grande valeur aux yeux de la divinité Elle en a assez des Jérémies des Brunetières et de tous les danseurs de corde La corde de pendu dit-on préserve de la petite vérole On ne supprimera jamais la peine de mort Présage sombre Demain je ferai mon marché moi-même et je rapporterai la laitue-à-chanter Le plus beau de l'affaire le crime de la rue Balzac-Demeure encore un instant Marie - et l'on ne sait plus que devenir Vous avez raison pour demain on fera des merveilles et les petits enfants danseront sur la plaine des sentiments naïfs Entre deux portes le géant Peut-être rit avec ses cuisses et chante un air langoureux où il est question de moi Je n'ai pourtant jamais révélé le secret de la violette La dame du comptoir sourit molle à Arthur et relève ses bas J'ai vu ses genoux hiboux poux Les crânes recommencent Assez vite Désormais Maritime Chanson gaie ou triste Quel insupportable mouvement des ailes Le meilleur de moi-même est une histoire ancienne reliée veau et cuir Je ne comprends pas très bien Dormez Madame et ne m'importunez de vos réflexions idiotes Les souples rient très fort Le comique tient à la culotte On reconnaît l'assassin à ses dents H a huit ans Il va gagner le Grand Prix du Fossé carré à moins que Mais ma reine rit Encore Tout le monde est fou ma parole Image Monstre Rêve souterrain des banquets mortels au pays de3 Calabrais de contrebande - Que! va-et-vient incessant d'anges bleus Paris - Je veux te regarder en face tu te détournes - Milice gardienne de la vertu de la famille le foyer Ennuyeux traits de plume Sans doute on dort quand on voit les gardiens de la paix lever un bâton blanc les voitures s'arrêtent c'est donc une imagination sans fondement Quand la maison est finie on met un joli petit drapeau en liant de l'échafaudage les maçons ouvrent leurs ailes et descendent en voletant dans la rue C'est un métier dangereux Monstre chimérique homme aux cheveux longs quand tu auras fini de faire la moue avec tes mamelles tu me préviendras sage précaution Martyre Babel des corps Un beau jour toutes les caresses se sont confondues et les compagnons ne se sont plus compris Danseuse cambodgienne Comment dit-on la bouche en langue barbare Les abîmes poussent toujours entre les glaciers Ce sont des sortes d'edelweiss Un autre edelweiss c'est le baiser dans l'oreille J'ai un petit enfant dans mon sein gauche Écoute-le Commercy, 1919. UNE LEÇON DE DANSE La maîtrise de soi-même est une martre qui suit lentement les cours d'eau Nous la prévenons avec de grands Hue Dia mais personne ne sait où s'arrêtent les chaleurs de cette année Les haltères lumineuses du lustre dominent ma vie Je ne sais comment me retourner ni pourquoi l'équinoxe se tient debout au milieu de l'été C'e3t une femme entre deux âges un peu laide ça ne fait rien J'aurai beau donner ma langue aux chiens les mots prendront une inflexion troublante pour les assistants stupides Huîtres du Bengale Vilains oiseaux-mouches dont cet aquarium se meut en danses spéciales Leçon des mardis et jeudis (inclusivemenT) J'entends bien La clef La clef Une sorte de sardine vraiment chic qui rappelle le Musée de Cluny le Bal Tabarin C'est une belle jeunesse Mes malheurs je les raconterais bien si vous me prêtiez une oreille attentive Sur les bancs de Marenne asseyez-vous un peu Un vers Notez que rien n'est plus à propos que la saison dite d'été qui s'ouvre avec des divertissements nouveaux et se ferme avec des étoffes claires Ce verrou m'attire Hameçon de douairière un peu trop parfumée Face-à-main Bonbonnière à violettes de Parme Je no sais quel compromis arrêtera la course du martyr à deux doigts de la mort Au dos de ces lignes un texte d'André Breton écrit le mène jour dans un café où on se montrait chiche de papier. Ces écritures doivent être de 1919 pendant l'aulomne. UNE NOTION EXACTE DE LA VOLUPTÉ Le pirate entre avec des airs à lui dans la jolie grotte aux coquillages et je tourne mes mains comme des folles ou des horloges le long des lèvres de Madame ma jonquille Nous ne sentons plus rien que la glace qui vient de fondre entre nous Les belles déclarations des corps pressés s'expriment d'une façon si soudaine que la danseuse des ténèbres me repousse vers le mur et cherche quelque répit à l'air libre On ne trouve que des linceuls pour faire nager les beaux sous-marins rapides qui courent la poste maintenant Vers quel lointain paysage se tourne brusquement quelque chose de blond qui saute en moi et cherche à ne plus voir le petit rameau de buis béni au dessus du portrait de famille Laisse avec abandon ce morceau de toi-même entre mes dents de loup La faim de mes entrailles est aussi la hâte d'arriver à temps dans la forêt de tes jolies régions Tu ne reconnaîtras plus ma voix et je m'enivre d'être l'étranger que tu rebutes et déçois Mais rien ne pourra faire oublier le havre si amer où les vents salés des mouvements faisaient prendre les bras pour des voiles Oh quel contre-temps vaudra notre émoi subit sous l'arche au moment où nous n'avons plus tenu compte de l'anatomie Gentil amour du clown disloqué qui s'enroule en spirale comme tu fais rire aux larmes les petites filles ingénues qui ne savent plus résister à ce besoin de trouver un point d'appui pour leur cour Ici diverses explications sont fournies par les sciences coupables mais je ne puis me résoudre à en préférer une Le charme le plus lourd à soulever n'est pas celui de l'équinoxe quand toutes les parties du monde sont également baignées de cheveux huileux et douloureux On n'échappe plus à l'étreinte renversée des compas qui baillent ha qui baillent des mots sans suite sous les retombées des glycines hygiéniques et des sueurs plus douces que les mers du sud Le même va-et-vient des épaules qui signifie l'impatience veut dire le contentement des cours H n'y a rien qui fasse image comme un certain baiser doux aspiratif et qui se propage vers l'aisselle Les ébats des troupeaux les fenaisons des sentiments toute la culture raisonnée des caresses rendent à la longue le corps de l'homme plus poli et plus doux que celui de l'enfant On aimerait sans doute se découvrir un sens brutal des réalités mais ce qui domine c'est une notion exacte de la volupté Elle naît d'un rien d'une quenouille qu'on laisse chez la Belle au bois dormant Des tables de boucher D'un cillement imprévu de la coque dorée du faisan des rêves 1920 avant le printemps. |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de Louis Aragon |
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