Louis Aragon |
Toi dont nos peupliers rêvent dans leur exil Plainte que j'ai portée en moi toute la vie Imaginaire azur je te demande asile Terre du long désir Italie Italie ... J'irai je marcherai la nuit dans tes collines Je m'assiérai dans l'ombre où les vents dormiront L'aube m'y trouvera prêt à sa discipline Et ta lumière peinte où me brûler le front Je t'apporte mon cour c'est un enfant prodigue Pardonne-lui d'avoir si longuement tardé Dans ces pays fanés que les hivers fatiguent Et galvaudé ses chants pour des cieux galvaudés L'insensé qui suivit là-bas des saltimbanques À la table des rois barbares qui s'assit Ne lui demande pas Mère ce qui lui manque C'est bien pour l'oublier qu'il s'agenouille ici Car tu sais ce que c'est D'abord les gens s'amusent D'un jeune homme inconnu dont les mots sont de feu Et lui ne comprend pas qu'un baiser vous abuse Que c'était pour un soir et qu'on change de jeu On l'aura trimbalé disons quelques semaines Avec les fournisseurs et les valets des chiens Il aura pour cela gagé son âme humaine Cette musique en lui dont il ne reste rien II erre On l'a pourtant gardé dans les bagages On s'informe parfois encore s'il est là Mais c'est comme un bleuet qu'on se mit au corsage À terre pour un geste au tournant qui roula Il traînera des jours entiers par les tavernes Il jouera les couleurs des appareils à sous On le verra frayer les porteurs de lanternes Les filles les voleurs et les maquereaux saouls Va cours éloigne-toi des palais et des torches Où ce monde paré parade insolemment Crains si tu paraissais d'entendre dès le porche À son rire mêlé le rire d'un amant À supposer pourtant que les laquais te laissent Traverser les yeux fous les salles mon ami Écoute-les se taire et comprends ta faiblesse Aux flambeaux ta pâleur et comment tu es mis Où suis-je Allons faisons trois pas sur la terrasse Quels sont ces jardins d'ombre où rôdent les parfums Et Vérone ou Vicence où je cherche la trace Des amours éternels et d'un amour défunt Il régnait un clair d'anémone Qui donnait la pâleur du plomb A ces vieux palais noirs et blonds Dont les courbes de violon Disaient qu'on était à Crémone La nuit semblait le bouclier D'un ange mort à la renverse Et la lune levait les herses Pour chasser par les places perses On ne sait trop quels sangliers Qui fuyaient sous les colonnades J'avais sur moi le jour de feu Et je cherchais sous les toits bleus Un tiède abri miraculeux Dans la dentelle des arcades Amati Guarneri luthiers O grand Stradivarius tendre Seul votre pas pouvait descendre Le silence de palissandre Dans la rue où vous habitiez J'avais traversé les villages Qui brûlent sous le soleil blanc Depuis les faubourgs de Milan Gomme des bêtes dont les flancs Halètent dans leur attelage Où tout un peuple souffle et sue Et murmure dans sa saumure Par trente degrés Réaumur Derrière le pisé des murs Qu'on renverse en soufflant dessus Et puis le soir Et la misère Sur ces pavés s'évanouit Au pavois d'un ciel inouï Dont les pavots épanouis De leur lait l'idéalisèrent Il était tard II faisait beau J'allais j'allais à l'aventure Par cette ombre sans créature Au hasard des architectures Dans le doux sommeil des tombeaux Quand j'arrivai devant l'église À peine un oiseau s'envola Comme une pierre et me sembla Une âme hésitante qui là-Haut tournait aussitôt rassise J'étais ivre de la beauté Et lentement je fis le tour De ce bâtiment vaste et sourd Dans la ruelle basse pour En fuir la façade sculptée D'ici je ne voyais qu'un môle Une jetée énorme un dos De puissance un long mur vide aux Proportions de rideau Comme une nudité d'épaule Longtemps je restai regarder Cet espace sans meurtrières Cette limite des prières Quand près de moi des yeux brillèrent Avec des menaces grondées Le jour comme un hyposulfite Lave la ville et le cliché À chaque bain d'aube ébauché Éclaircit autour des clochers Une blancheur de néophyte Du rideau qu'un bras nu drapa Sort le premier chant de la ruche Des cris d'enfant Des heurts de cruches Un jacassement de perruches Un bruit de portes et de pas Tous les escaliers tambourinent Le linge à des ficelles pend Une marmaille se répand Par les pentes s'en vont rampant Mariner des serpents d'urine Une paresse d'apprenti Traîne encore un brouillard de somme Les songes lentement se gomment Dans le cheminement des hommes Où tintent les boîtes d'outils Le matin poussant sa varlope Fait choir la brume par copeaux Chaussures Vins Viandes Chapeaux Négociants de cuirs et peaux S'ouvre un moyen âge d'échoppes Des tonneaux sortent d'un hangar Les cercles peints de vermillon Le conducteur du camion Sa femme attend un mômillon Un train s'essouffle dans la gare L'été brûlant se lève tôt Pour mettre l'ombre au blanchissage Et dans les quartiers du passage Il se fait un grand rebrassage D'étrangers d'hôtels et d'autos |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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