Louis Aragon |
A ce point de mon rêve à ce point de vertige Ce fut comme une fleur dont on brisa la tige Elle est dans la poussière et qu'est-ce que j'en tiens Mes yeux se sont rouverts au monde quotidien C'est une ville d'eaux où je suis par hasard Les coblas des ruisseaux bruissent de toute part L'air couronné d'oiseaux de feuilles murmurant Respire la douceur des tilleuls odorants Et sortant de la gorge où tourne une eau profonde Il monte une rumeur des viscères du monde Je vois de la terrasse où j'écris sur un banc Dans les marronniers verts l'ormeau doublé de blanc Une légende traîne ici son ombre injuste Aux dentelles de bois du pavillon vétusté Aux accoudoirs de ce balustre abandonné Comme si fugitifs après quarante années Un Francisco Ferrer regardait la cascade Et toujours à son bras songeait sa Soledad Les verdures déjà de la tapisserie Leur dérobaient le ciel leur sort et leur patrie Déjà le jeune été brûlait 6ur les platanes Le vent de la vallée y dansait la sardane Déjà sous le torrent comme un voleur surpris Ils voyaient un poisson fuir dans les galets gris Et par le chèvrefeuille au cri sec des cigales La roche était partout proche à leur pas égal Dans le sentier qui grimpe et dit en catalan L'éléphant de Carthage et le pied de Roland Ah c'est par cette entaille au cour de la montagne Que je l'entends comme eux venir ce chant d'Espagne Flamenco douloureux roulant avec l'écho Qui depuis dix-huit ans pleure Federico Et le lys orangé qui pousse au creux d'un mur N'est que l'or pâlissant de l'ancienne blessure O prochaine et lointaine Espagne mon souci Je suis donc revenu pour t'écouter d'ici N'es-tu pas ma limite et ma leçon première Avons-nous deux amours avons-nous deux lumières N'es-tu pas le miroir torride et le matin Où mon peuple aperçoit le soir et son destin Tu nous appris la mort et ses étranges modes Et nous pensions à toi sur les routes d'exode Et nous pensions à toi quand on mangeait si peu O pays des yeux noirs et des ouvriers bleus Et nous pensions à toi quand il fallut apprendre A ranimer les feux en soufflant sur les cendres Et nous pensions à toi quand saignait la patrie Et nous pensions à vous mineurs des Asturies Quand aux soldats tués on reprenait les armes Et vous étiez présents pour la joie et les larmes Et dans ceux qui tombaient frappés par trahison Et le jour tout d'un coup qu'on ouvrit les prisons Musique déchirante Espagne sour du Sud Fille de longue attente et chère inquiétude Ma captive sans qui sont tristes les étés Et les amours amers sombre la liberté Je 6uis comme un parent qui te crie au parloir Par les grilles des mots insensés sans savoir Si l'entendre aujourd'hui te peut être donné A travers les barreaux que sont les Pyrénées Vois Je suis revenu comme les hirondelles Le croyais-tu vraiment que j'étais infidèle Tu chantes et ta voix s'égare en me cherchant Que ne puis-je passer vers toi ce mur du chant Que tu saches enfin quelle moisson se lève Combien de jeunes gens au bout du monde rêvent Entre eux parlant de toi comme font les amants Qui portent des rubans au lieu de diamants Mais dans la maison tiède et douce Où sous le toit de tuiles rousses Un enfant nu dort sur son lit Le petit poste en galalithe Dit soudain des mots insolites Qu'on croyait tombés dans l'oubli La fenêtre obscure est ouverte Au contre-jour de vigne verte Où le vent pousse le rideau Ses contrevents pâles s'accrochent Au mur qui s'appuie à la roche Avec un figuier dans son dos On entend marcher sur la sente Sans doute la mère est absente Qui laissa son fils endormi Et c'est comme un essaim de mouches Ces vocables d'aucune bouche L'enfant se retourne et gémit Sans oreilles à ses paroles L'ombre fait le maître d'école Devant la cuvette et le broc Et leur dit comme un fait vulgaire Qu'à l'aurore aujourd'hui la guerre A levé son front de taureau Il faut recommencer qu'on meure Des gens dormaient dans leur Comme ici dort cet enfant-là L'armoire se tait mais la porte Proteste Après tout peu m'importe Ça se passe au Guatemala Je saisis mal toutes ces choses Notre voisine est peinte en rose Il faisait si beau ce matin Sur la terrasse on pouvait voir Sécher du linge et des bas noirs Devant les volets bleus déteints Fermez les journaux et les livres Ah laissez laissez les gens vivre Indifférents indifférents A tout ce qui n'est pas leur pierre Comme le lézard et le lierre Dans le grand soleil ignorant Hélas tu te souviens de ces heures maudites O mon Espagne es liens et des propos tenus Quand tes enfants faisaient avec la dynamite Sauter les chars d'Allemagne venus Ainsi tout recommence et les gens vont nous dire Qu'il était dangereux cet homme mis en croix Et que n'y est pour rien le Proconsul d'Empire Et Cabot Lodge aura pour lui le droit On annonce déjà que tes aérodromes Mettront l'aigle à pied d'ouvre au milieu des requins Dans la mer antillaise où va battre l'atome Désormais pavillon américain Vous pouvez bien masquer ce meurtrier habile Qui dès le premier pas fait un mort d'un enfant Lui donner le laurier de la guerre civile Libertador sûr d'être triomphant Vous pouvez mobiliser sur toutes les routes Les chenils tropicaux que vous avez gammés Le sang et l'or auront odeur d'United Fruit Ces armées Yankees ce sont vos armées C'est à l'heure où mourut sur la chaise électrique Le couple Rosenberg ça fait tout juste un an Que vous avez crié Rapporte Et de la trique Frappé vos chiens sur les deux flancs Ah craignez qu'un beau jour dans une chambre ardente Pour le sang de Corée et pour ce crime après Les peuples souverains ne s'inspirent de Dante Au Nuremberg où c'est vous qui paierez Et que vous soit bien lourd jeté sur leur balance Comme à Franco ce grain de grenade Lorca O villes que les feux tirèrent du silence L'enfant guatémaltèque avec ses yeux muscats |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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