Louis Aragon |
Il ne reste à ma lèvre enfin que cette injure L'âge et la sécheresse à parler d'autrefois Il ne reste à mon cour qu'à tenir sa gageure Et laissant l'univers m'envahir de ses voix Être encore une fois sa lumière évidente Pour dire ce qui fut avec ce que je vois Te tresserai l'enfer avec le vers du Dante Je tresserai la soie ancienne des tercets Et reprenant son pas et sa marche ascendante Que brûle ce qui fut avec ce que je sais Je,tresserai ma vie et ma mort paille à paille Je tresserai le ciel avec le vers français Je suis ce Téméraire au soir de la bataille Qui respire peut-être encore sur le pré Mais l'air et les oiseaux voient déjà ses entrailles Pour m'ouïr il n'est plus que soldats éventrés Déjà mes yeux sont pleins de vermine et de mouches La nuit emplit déjà mon corps défiguré Lentement les fourmis ont habité ma bouche De mon armure noire envahi par le froid Pourrai-je murmurer mon histoire farouche À qui les mots derniers où mon souffle décroît Et de tout ce que j'ai vécu joui souffert Que vais-je alors choisir que la douleur me broie Qu'est-ce qui vaut la peine alors qu'on le profère Du profond de soi-même Enfin que signifie Ce râle prolongé qu'à tout chant je préfère À ma prunelle obscure une image suffit À ma gorge un sanglot une ombre à ma mémoire Pour tous mes souvenirs cette photographie Elle est jaune elle est pâle elle a comme des moires Ma mère y est assise un enfant à ses pieds Quelqu'un qu'on ne voit pas est trahi par l'armoire Le flacon sur la table et le presse-papier Personne ne sait plus aujourd'hui ce qu'ils furent Ni qu'était ce roman Maman que vous coupiez Vous veniez de changer tout juste de coiffure Je vous trouvais jolie et d'autres le disaient On n'en voit rien Le jour a viré les sulfures Cette épreuve est mauvaise et l'on vous jalousait Pour une ombre d'épaule au biseau de la glace Vous aviez ce regard triste qui me plaisait Je me souviens Je n'allais pas encore en classe Vous vous faisiez de la peinture et sagement Je restais près de vous à lire mon atlas Et je vous voyais peindre et le voyais Maman Vous n'aviez pas l'esprit à ce bouquet de fleurs J'aurais voulu le dire et ne savais comment À présent qui se rappellerait la couleur De votre robe ce dimanche à Saint-Germain Pas même vous à qui j'ai murmuré Tu pleures Bah laisse donc Je n'y penserai plus demain Les larmes qu'on retient sont lourdes et petites Elles tombaient l'une après l'autre sur mes mains Je n'oublierai jamais les mots que vous me dîtes Plus tard avec un sourire dans le tramway Ce sont des diamants que personne n'imite C'était votre manière à vous de m'avouer Tous les secrets d'un jeu que les enfants ignorent Et plus tard à mon tour à pleurer j'ai joué Mais que sont devenus les diamants d'alors Les gens qu'on connaissait que sont-ils devenus Tu n'as plus prononcé le nom de Monsieur Jorre Nous l'avons rencontré J'ai vu que tu l'as vu Dans le métro C'était la station Dauphine On a laissé partir la rame et jamais plus J'aurai caché toute ma vie en ma poitrine Ce diamant des pleurs que l'on n'imite pas Quand mon sang aura plu sa dernière églantine Que le cri des corbeaux ouvrira le repas Les maraudeurs viendront le chercher dans ma chair J'entends leurs jurons sourds leurs colloques leur pas Allez ne craignez rien d'autres doigts me touchèrent Et quand on me fait mal je sais ne pas crier Arrachez dispersez tout ce qui me fut cher Disputez entre vous mes yeux dépariés J'ai des sanglots En voulez-vous On se demande Vous à ma place est-ce que vous les prendriez Ces bijoux-là cela ne sent pas la lavande Et vos nuits sans sommeil vos rangements de poings Vos cris de bête à qui croyez-vous qu'on les vende Les laver ça donne salement du tintouin Encore si vos trucs étaient mis en musique Le client ça ne répond pas à ses besoins Ça ne peut pas lui tenir lieu d'analgésiques Gémir c'est démodé comme les loups-garous Il nous faut de l'abstrait et du métaphysique Le siècle veut dormir et rêver à sa roue Donnez-lui le concert atonal de l'oubli Mettez vos souvenirs à pourrir dans un trou Je retourne ma face au cri bleu des courlis Ah laissez-moi goûter la saveur de la terre Et que mon âme en soit à tout jamais emplie Je suis le gisant noir que rien ne désaltère Détrousseurs laissez-moi mes ruisseaux ténébreux Pour m'abreuver encore une fois et me taire Pour encore une fois revoir les jours nombreux Pour encore une fois à des bonheurs infimes Donner cet écho mort qui reparle pour eux Suivre le mouvement que les rimes impriment Et qui ressemble à l'ahan dernier sur la croix Comme l'aveu ressemble au crime L'homme à sa proie Marguerite Marie et Madeleine Il faut bien que les sours aillent par trois Aux vitres j'écris quand il fait bien froid Avec un doigt leur nom dans mon haleine Pour le bal de Saint-Cyr elles ont mis Trois des plus belles robes de Peau d'Ane Celle couleur de la route océane Celle de vent celle d'astronomie Comment dormir à moins qu'elles ne viennent Me faire voir leurs souliers de satin Qjii vont danser danser jusqu'au matin Pas des patineurs et valses de Vienne Marguerite Madeleine et Marie La première est triste à quoi songe-t-elle La seconde est belle avec ses dentelles A tout ce qu'on dit la troisième rit Je ferme les yeux je les accompagne Que les Saint-Cyriens se montrent galants Ils offriront aux dames du Champagne Chacune est un peu pour eux Cendrillon Tous ces fils de roi d'elles s'amourachent Si jeunes qu'ils n'ont barbe ni moustache Mais tout finira par un cotillon La vie et le bal ont passé trop vite La nuit n'a jamais la longueur qu'on a Et dans le matin défont leurs cheveux Madeleine Marie et Marguerite |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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