Louis Aragon |
Où faut-il qu'on aille Pour changer de paille Si l'on est le feu À moins qu'il ne faille Si l'on est la paille Fuir avec le feu La paille est si tendre Mais vouloir l'étendre Étendra le feu Qu'on tente d'étreindre Or il faut l'éteindre Le long pour l'un pour l'autre est court II y a deux sortes de gens L'une est pour l'eau comme un barrage et l'autre fuit comme l'argent Le mot-à-mot du mot amour à quoi bon courir à sa suite Il est resté dans la Dordogne avec le bruit prompt de la truite Au détour des arbres profonds devant une maison perchée Nous avions rêvé tout un jour d'une vie au bord d'un rocher La barque à l'amarre Dort au mort des mares Dans l'ombre qui mue Feuillards et ramures La fraîcheur murmure Et rien ne remue Sauf qu'une main lasse Un instant déplace Un instant pas plus La rame qui glisse Sur les cailloux lisses Comme un roman lu Si jamais plus tard tu reviens par ce pays jonché de pierres Si jamais tu revois un soir les îles que fait la rivière Si tu retrouves dans l'été les bras noirs qu'ont ici les nuits Et si tu n'es pas seule alors dis-lui de s'écarter dis-lui De s'é-car-ter le temps de renouer ce vieux songe illusoire Puis fais porter le mot amour et le reste au brisoir On a beau changer d'horizon Le cour garde ses désaccords Des gens des gens des gens encore De toute cette déraison Il n'est resté que les décors Elle amenait à la maison Des paltoquets et des pécores Je feignais lire YInprekor Comme un jour fuit une saison Il n'est resté que les décors On a beau changer de poison Tous les breuvages s'édulcorent Toutes les larmes s'évaporent Des fièvres et des guérisons Il n'est resté que les décors On a beau changer de prison On traîne son âme et son corps Les mois passent marquant le score De tant d'atroces trahisons II n'est resté que les décors Le cour ce pain que nous brisons Que les sansonnets le picorent J'aurais dû partir j'avais tort Aux lueurs des derniers tisons Il n'est resté que les décors À chaque gare de poussière les buffles de cuir bouilli Les gardes qui font un remuement d'armes et bottes noires Devant les buffets de piments et d'orgeat Des femmes sur leurs ballots sombres Yeux d'olive visages d'huile Quel est donc ce pays de soif et de bucrânes Nous roulons sur la terre cuite. Où sommes-nous Il n'y a sur la toile énorme qu'un âne et qu'un homme Une cruche d'ombre un pain bis un oignon Et le vallonnement uniforme où nous nous éloignons Le train s'en va comme un caniche Sous le couchant drapeau de Catalogne Primo de Rivera En ce temps-là dans les hôtels les domestiques Surveillaient les voyageurs par le trou de la serrure Afin que tout fût bien selon l'Église Dans les premiers froids de Madrid J'habitais la Puerta del Sol Cette place comme un grand vide Attendait quelque nouveau Cid Dont le manteau jonchât le sol Et recouvrît ces gueux sordides Qu'on jette aux mendiants l'obole Montrez-moi le peuple espagnol Primo de Rivera Il y avait au Prado ce qui ne se montrait pas dans J'ai reconnu le garçon d'hôtel espionnant à la porte Dans un dessin de Goya Ce peintre apprend mieux que personne L'Espagne et son colin-maillard Mais par-dessus tout il m'étonne Me serre le cour et lui donne Le secret de ce cauchemar Par cette épouvante d'automne Dans un tableau fait sur le tard Le grand goudron de Gibraltar Primo de Rivera J'ai parcouru les sierras Où la procession des villes se lamente Tolède Ségovie Avila Salamanque Alcala de Henarès Passant les bourgs de terre cuite Les labours perchés dans les airs Sur un chemin qui fait des huit Comme aux doigts maigres des jésuites Leur interminable rosaire Le vent qui met les rois en fuite Fouette un bourricot de misère Vers l'Escorial-au-Désert Primo de Rivera Une halte de chemin de fer à mi-route entre l'hiver et l'été Entre la Castille et l'Andalousie À l'échiné des monts à la charnière sarrasine Un jeune aveugle a chanté D'où se peut-il qu'un enfant tire Ce terrible et long crescendo C'est la plainte qu'on ne peut dire Qui des entrailles doit sortir La nuit arrachant son bandeau C'est le cri du peuple martyr Qui vous enfonce dans le dos Le poignard du cante jondo Primo de Rivera Primo de Rivera Primo de Rivera ô bruit des wagons dans la montagne bruit des roues Et tout à coup c'est le mois d'août Un souffle sort on ne sait d'où L'odeur douce des fleurs d'orange Le grand soir maure de Cordoue Qu'au son des guitares nomades La gitane mime l'amour Les cheveux bleuis de pommade L'oil fendu de Schéhérazade Et le pied de Boudroulboudour Il se fait soudain dans Grenade Que saoule une nuit de vin lourd Un silence profond et sourd Primo de Rivera Le verre est par terre Un sang coule coule Dommage le vin Du bon vin Lorca Lorquito Lorca c'était du vin rouge Du bon vin gitan Qui vivra verra le temps roule roule Qui vivra verra quel sang coulera Quand il sera temps Sans parler du verre Qui vivra verra Il se fait soudain dans Grenade Que saoule une nuit de sang lourd Une terrible promenade Il se fait soudain dans Grenade Un grand silence de tambours |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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