Louis Aragon |
I Rien n'est pareil à soi tout a d'autres limites Aujourd'hui nous avons passé comme des taupes de feu par un tunnel de miroirs sous la Croix-Rousse Suivi le cercle des hauts pylônes qui font le tour de Lyon derrière des quartiers de couleur Où l'air bourdonne du croisement des coléoptères bleus On voit lo jour sous les maisons peintes comme si la mode pour elles était aux robes courtes Et les chemins de fer s'en vont vers l'est avec leurs wagons de métal Clinquants et claquant sur le ballast et le cri d'égorgé des michelines Un crime à chaque passage à niveau C'est ici le pays de mon père avec ses eaux partout captées Rien n'est pareil à soi J'imagine Là-haut dans le coude levé du Rhône Mandrin Trompant la gabelle avec sa troupe aux doigts de poudre qui ne reonnaît plus les confins de La Balme Et d'ailleurs il n'y a plus à tricher de douane à Chambéry Plus de frontière À Chambéry pour le verre de Venise et le poivre des tapis de Perse Déjà mon enfance est déconcertée au-dessus d'Ambérieu Dans ces grandes odes claudéliennes qu'effarouchent des téléphériques Ces chemins abrupts douchés sous les cascades tout un jour Qu'on remontait en tapissières Royaume ancien des scieries où les chevaux tiraient les billes de bois Rien n'est pareil à soi dans ces architectures blafardes Ces ponts d'audace et ces cuvettes d'apocalypse Danger de mort les courants à haute tension passent de montagne en montagne Sur leurs échasses de sept lieues montant des épines de fer Villages noyés à main d'homme et les machines sur la digue Dans leur petit appartement moderne où l'on n'a presque plus rien à faire Qu'à regarder le serpentin pierreux des routes Comme une cigarette par le nez fumée Par-ci par-là des wagons abandonnés où des hommes usés noirs et frisés boivent la bière chaude Comptent les jours de l'été maussade Et tout ce trimbalemcnt fait que les moutons en transhumance Changent d'itinéraire en raison des travaux La nature est pleine de camions avec des belles filles de papier découpé sur le mufle Où la radio chante pour les gaillards de nuit Dépassés de bizarres escarbilles devant Ces chapelles d'un culte baroque avec leurs colonnes blanches leurs écritcaux verts Ponctuant tout au long ce pèlerinage nouveau de l'homme dans le paysage altéré Et des incisions chirurgicales mettent à jour Un saignement de glaise aux tournants coupés Voilà soudain que je m'arrête où longtemps fut tracé Le départ d'entre nous et la Terre d'Empire Et que je regarde en arrière ainsi Qu'un soldat hésitant sans ordre à franchir ce pas de l'Italie Je porte mes yeux gris à l'inverse du temps Comme une pluie oblique oblitérant la nouvelle image Je porte mes yeux gris comme un couteau traçant à rebours sa férocité Je porte mes yeux gris à rebrousse-poil du soleil et de l'histoire Je porte mes yeux gris vers cette patache à quatre chevaux de halte en halte Avec son chargement de voyageurs vannés venant à petites journées D'auberge en auberge les uns sur le toit do poussièie Les autres dans le caisson noir étouffant tassé de la voiture Je porte mes yeux gris sur cette cargaison de mil huit cent trente-huit Un assourdissant mois do juillet traversé par la malle-poste Et l'on met pied à terre dans les montées Il y a des jeunes gens gainés de noir et serrés jusqu'au menton d'une cravate claire Des rouliers même qui ne montreraient pas l'aisance de leur cou Les dames dans la superposition d'étoffe des volants et des bordures Un cahotement de destins habillés jusqu'au bout des doigts dans la sueur de messidor Des messieurs d'âge soigneusement qui replient les pans de leur redingote Et les malles à courroies poilues comme des poitrines de bandits Le postillon sur le premier canasson de droite A des rêves de fouet qui siffle un air à danser On s'arrête parfois pour un troupeau comme une marée au bêlement des brebis Ou dans l'ombre d'une place à fontaine une oasis de maisons aveugles Sous la bénédiction fraîche et pâle des platanes Parmi les grands pendards paresseux qui font la sieste le chapeau Eamené sur les yeux et la bouche ouverte au sommeil Tout cela pour nulle autre raison que cette femme ni jeune ni belle Qui ne descend pas de la diligence avec ses filles et son mari Assise au fond dans ses vêtements et sa modestie Les yeux perdus écrivant sur ses genoux de temps à autre Une ligne au crayon dansante et mal formée Et comme elle ne voit qu'un rêve et ses raisons d'y rattacher Des phrases de verveine avec le velours du souvenir Je ne vois ni le marché de cruches et de maïs Croulant de melons et d'aubergines aux rampes des églises Ni les jambes qui se délassent ni les chevaux qui s'abreuvent Ni les bras nus des filles curieuses derrière les jalousies Ni le montreur de marmotte avec son orgue à manivelle Mais seulement cette femme d'alpaga qu'habite Un chant de source amer et doux silencieuse et ridée Tandis que les siens s'achètent des fruits inconnus frais de leur eau profonde Et parlent de Milan qui les attend où se forme La troupe itinérante des comédiens car le père Va jouer les jeunes premiers comme il y a vingt-deux ans Quand l'Empereur Ferdinand au Dôme sur sa tête Enfoncera la couronne lombarde Je ne vois que ce dialogue entre cette femme et se3 abîmes Ce colloque secret de parfums dans une armoire Ce long choix des mots cachant une blessure Les mots de son royaume à sa musique patiemment ajustés Ce vocabulaire d'une vie où tout n'est que violettes noires Paupières sur l'éclair baissées Regrets d'un ruban qu'on donna Par imprudence Je ne vois que cette femme apparemment Sèche et sans charme dans la voiture publique Comme un signet de hasard mis entre les pages d'un livre interrompu dans sa lecture Elle a dû réparer le linge de Prospcr avant le départ Piquer ses doigts vieillis laisser Tomber écarlate l'ouf à repriser de son tablier noir Parce qu'elle avait senti soudain l'odeur ancienne des tilleuls Un soir de l'Autre alors que sa taille pliait sa prière dans l'attente Je ne vois qu'elle triste et troublante Dans un carnet à l'italienne une fleur anonyme entre les feuillets séchée Je ne vois plus qu'elle plus que celle qu'on n'appelle Plus sous la fenêtre du jardin d'une voix nocturne et chantante Qu'on n'attend plus dans l'herbe bleue ou les cristaux brillants d'un bal Je ne vois plus que ce doigt qui pense au passé passant sur une lèvre à jamais déserte Je ne vois plus que ce foyer dispersé qui souffre encore dans ses cendres 0 braises braises déjà sous les cheveux gris Je ne vois plus que cette injustice longuement de survivre Cette éternité d'abandon cette apparence machinale Qui tressaille à son nom toujours quand quelqu'un lui dit Marceline Comme une privauté volée une caresse d'inconnu À jamais subie emportée au fond de sa jeunesse Et l'épouvante de trahir le vertige alors que ce fut Je ne vois plus que cette femme et cette algèbre de son âme Et sa parole écrite est le rouge à sa bouche sans fard Chaque syllabe est une abeille en chassant l'autre avant d'avoir butiné Et leur bouquet soudain tombe à terre comme un don d'infidèle Elle n'en a jamais pris l'habitude après tant et tant d'années Qu'invisiblement cela saigne et soupire et pleure au fond d'elle Je ne vois plus que cette femme éperdument Pour dire sa vérité qui mentira toute sa vie Tout cela qui fut sa romance et qu'on trouvera ridicule Car on a très vite cessé d'aimer ce qui fait sujet de pendule Et puis nous avons maintenant le goût d'une autre poésie Je ne vois plus que cette femme je n'entends Que le frôlement de sa robe au mur des chambres muettes Que ses vers à mi-voix ses prétextes perdus qu'on pourra comme un théâtre Avec indifférence lire où c'est convention que l'amour Je n'entends plus que cette femme vieille et laide et ce pas Furtif Je n'entends plus Entre les murs égaux des vers où la rime soupire Que ce halètement ce battement de sarabande Cette contrebande du cour Voilà qu'il s'est mis à pleuvoir une tiède pluie estivale Qui ne mouille pas la poussière et semble ajouter à la sueur Les haleines du jour en ont très vite fini de cette tentative Les chevaux ont repris le trot sur cette passagère hypocrisie du ciel Il y aura sans doute encore une halte vers lo soir On loge à pied et à cheval chandelles de parcimonie La nuit sera longue dans le merisier des lits sous l'édre-don cramoisi Laissant d'interminables heures à des conversations étouffées Et le lendemain tout à coup ce n'est plus seulement la Savoie Les chutes d'eau les uniformes des carabiniers les lacs Les villes thermales avec des Anglais en voyage L'AIpe âpre et haute et ses cloîtres ses petits murs de soutènement Une fois Modane passée avec ce beau nom de basse qui roule dans la gorge Les enfants courant dans la roue offrir leurs bouquets d'edelweiss Maintenant comme Lyon c'est tes entrailles qu'on traverse Mont-Cenis et non plus par où Napoléon passa Entre Lanslebourg et Suse Avec ce grand cri quand devant soi la voilà qui dévale Par ces carrefours verts où la Madone brille Tout à coup l'adorable et riante Italie Le soleil dans la brume et les genévriers Les petits oliviers piqués dans les champs roses Déjà ce parler du Piémont fait de pépiements et de groseilles Êtes-vous aveugles que vos yeux ne sont point éblouis Et la lumière tramontane se répand sur toute chose Mais tombez tombez donc à genoux à cette jetée extrême de vous-mêmes M'entendez-vous réveillez-vous cette fois C'est bien elle à vous qui s'ouvre entendez-vous Découvrez votre front buté je vous dis A genoux C'est elle cette fois ses yeux noirs et ses rangs de corail Ses violons ses palais son vin gardé dans la paille Je te salue Italie ô terre mystérieuse à force de lumière Je t'amène mes voyageurs et l'homme qui porte un bonnet grec brodé de perles A gardé je ne sais quel éclat de la scène aux yeux du parterre Les filles encore pourraient passer à cause du jeune âge Mais celle que je te confie incompréhensiblement sans moi Comment la reconnaîtrais-tu dans le carillon de tes cloches Falote fanée effacée Comment la reconnaîtrais-tu sans moi sur tes terrasses Comment la devinerais-tu dans l'ombre entre les cyprès de tes jardins Comment deviherais-tu ce qu'elle cherche ici comme un loup dans la forêt Si faible et si folle au milieu de tes statues Où se dissimule une ombre qui la fuit Une absence Et personne à qui parler de lui ni lui-même Te souviens-tu de lui seulement Italie Écoute cette femme qui te parcourt d'un silencieux concert Cette femme de murmures divins dans une chambre d'hôtel Qui s'en revient d'avoir erré dans une ville de marbre et de mascarades Où le soleil est du vin renversé l'ombre sent l'ambre du figuier Lasse à mourir de la beauté des pierres Les yeux -pleins d'églises dit-elle On dirait un grillon perdu dans une maison sans cheminées Partagée entre cet homme en elle ce ravage d'elle-même Ce chant qui ne veut pas mourir Et les soucis mesquins l'argent qui manque et les vêtements usés Les mécomptes de la troupe et les cris des comédiens Écoute cette femme Italie Italie Comme une chevelure défaite sur tes pavés Une écharpe à tes grilles Un mouchoir froissé sous le pas indifférent des chevaux Et tes beaux garçons nonchalants dans la rue aux arcades N'ont pas même songé la suivre de leurs yeux allongés distraitement Car on ne peut de toute évidence tirer ni de l'argent ni du plaisir de cette étrangère Qui va peut-être dans les hôtels offrir des dentelles de son pays natal Duègne à cette heure sans emploi moins qu'une maque-relle Allons il est temps de rentrer dans la trattoria fraîche et sombre Où la charcuterie au plafond se balance avec accompagnement de guitare II Celui-là qui dort à mon côté dans la chaleur et l'accoutumance N'est un homme pour moi que par la configuration de son corps Ce n'est que pitié si j'ai de lui ces enfants mes douces chaînes Et même la beauté qu'il eut n'était pour moi qu'une diversion dérisoire Je n'ai jamais pu dans la nuit il n'en sait rien m'habituer à sa respiration Pauvre être faible et fat que depuis tant d'années Je m'astreins à flatter comme un cheval couronné Compagnon du mensonge à son cou portant le collior de mes paroles Et quand j'ouvre mon âme à ces mots qui sont à mes sentiers Le secret des mûres d'automne Quand l'Autre m'envahit et se fait mon langage Quand il revient s'asseoir sur le pied de mon lit Et que l'arbre et le vent le jardin la fontaine Ne parlent que de lui Ah déjà ma pensée épouse les cadences Dont je suis l'Andromède hélas et non Persée Cet homme le seul homme à mon âme bercée Déjà mon âme danse Et je disais j'étais à dire Que tout cela pour celui dans la chaleur et l'accoutumance à mon côté qui dort Cela ne sera jamais que vers à mettre en musique D'une châtelaine à l'ogive et d'un beau troubadour Il regardera mon cour à la lorgnette il est toujours à l'Opéra Il dit bonjour à des gens qu'il connaît dans la salle Il est là surtout pour se montrer Et s'il mentait et s'il savait sans en rien dire Le regarder parfois de haut en bas me déchire Je suis auprès de lui de la charpie Pour quelqu'un qui ne sait pas saigner sans blessure Sans d'abord se savoir blessé Mon Dieu vous me voyez Je ne suis qu'une femme Vous me voyez mon Dieu je n'étais qu'une enfant L'amour a fait de moi ce passage de flammes Défendez-moi de lui qui si mal m'en défends La prière à ma lèvre est toujours un blasphème Je no dis votre nom que pour me protéger Je ne dis votre nom que pour dire que j'aime Sous mes cheveux neiges Je me souviens Je regardais innocemment par la fenêtre En ce temps-là n'étais-je pas libre de donner mon cour à ce passant Il l'a pris sans rien me demander laissant Dans ma poitrine ce grand vide Non je ne maudirai pas le soir de sa venue Je ne maudirai pas sa lèvre Ni ses bras Ô mon Dieu vous qui savez tout savez-vous bien Ses bras sa force et son étreinte Vous a-t-il tenu contre son ventre ô mon Dieu dans ses jambes dures L'homme l'homme pour la première fois tout au long de vous Son souffle a-t-il fait plus légers vos cheveux Ne détournez pas de moi ce regard irrité de mes paroles Le trouble de ma chair en rien n'est différent de cet élan vers les cieux Le cantique est le même et l'encens qu'on respire Et l'approche de l'Homme et votre approche à Vous Et ses yeux les avez-vous jamais vus mon Dieu qui s'allument Doucement Qui se posent sur vous comme une valse de lueurs Alors en vain vous lui parlez en vain vous faites des phrases Il se tait comme il se tait avec ces yeux-là Et plus profondément il se tait dans les buissons de sa malice Plus vous parlez plus vous parlez pour conjurer cela qui va venu-Plus vous parlez comme une fleur s'effeuille Plus vous parlez comme le rempart inutile d'une main qui supplie Plus vous parlez ah plus vous Et lui l'oil L'oil parfait l'oil peint comme aux dents le rire Le poids de l'oil sur vous mon Dieu le poids de l'oil Parfois même aujourd'hui dans cette chambre il entre Et me prend par la main Je suis une ceinture à jamais dénouée Il fait de moi tout ce qu'il veut Il m'abandonne Je l'entends longuement marcher dans le jardin Il a des pas de primevères Et ses épaules sont le parfum de la nuit Jusqu'au matin qui tarde à la tempe des vitres C'est son haleine son haleine que je vois Il arrive mon Dieu qu'à vous je le préfère Pardonnez-moi cela Comme il sait dans ses doigts courber briser les branches Et l'arbre qu'il meurtrit à ses doigts n'en veut pas Son pied qui la foule est une confidence à la terre Pourquoi faut-il qu'il y ait une porte à l'enclos Là-bas la tentation des sentes Des vallons pour sa course ailleurs et son sommeil Temps heureux je n'étais jalouse que des saules Et comme il vint un soir un soir il est parti Combien cela fait-il de jours que je l'attends Combien d'hivers et de printemps cela fait-il Qui peut compter sur les doigts de l'âme une éternité d'absence Et ce que jo n'ai pas eu de lui comme un vent dispersé Je demeure dans ma vie avec devant moi ce bonheur renversé U me semble parfois pourtant le voir et qu'il me touche Il me semble et je sens quelque chose de pâle sur ma bouche Une ombre dans mon ombre un écho dans ma voix Ne t'en va pas méchant ne t'en va pas fantôme Mon cour après vingt ans et plus est toujours une porte qui bat Sur ton départ J'ai beau dire de la fermer aux servantef Les rideaux frémissent encore où tu les as froissés Je n'ai jamais jeté ces roses qui périrent Dans le fauteuil élimé par d'autres c'est toujours Toi qui t'assieds C'est toi seul qui baisses les lampes J'ai vieilli moi dans les miroirs Mais toi toi qu'ils n'ont point noyé dans leurs eaux noires Invisiblement tu demeures le même Jeune homme blond front pur ô corps doré Et je n'écoute pas ceux qui me consolent à dire Combien les saisons t'ont changé Tu es toujours cette nappe avec orgueil qu'on met sur la table Mon ami beau comme la mémoire et comme elle sans un pli Ah viens que je t'arrache encore à tes habits adverses Impatiemment nu pour toujours devant moi Couleur de sable odeur de pêche Ô par mégarde de retour Amant d'un geste amant d'un jour Dans l'ombre au loin bat le bruit lourd Du balancier qui se dépêche Laisse en moi durer le gémir Que je me grise et je mo grise Laisse en moi mourir la surprise Écoute mon cour qui se brise Prends un peu le temps de dormir Ne t'en va pas III Il pleut La pluie italienne de septembre N'est ni jaune ni bleue il pleut sans éclipse il pleut plein les épaules pliées Il pleut Ni perles ni paroles ni paraphes d'épées Ni poussières ni claques ni paniques d'eau Ni passages de pétrels pétrole d'air Désespoir de nuées Il pleut tout simplement il pleut sans un pli sans une plaie Sans gifles aux palais plaquant Sans plomb de grêle Sans trombes de sel sur les places D pleut sans plus Avec une persévérance égale et jamais lasse Et la paupière pâle et pauvre du ciel ne se relève nulle part sur ses pleurs Perpétuels on ne voit plus l'oil pur de l'été sur la vie On ne voit plus rien que la pluie Une pluie éparse ou épaisse Sur le piano plat des toits de par ici Un plasma tournoyant au platine des platanes Un plâtrage d'air une polarisation de poudre une précipitation De neigo ou de plume un instant par l'espace perdue Une possession parallèle une obstination pathétique Il pleut pleut pleut sur la pensée il pleut Quand on te connaît mieux pays de salpêtre et de pourriture Pays pénétré de vents implacables Empli de parfums spectraux et de plaintes soufflées Pays qui dépéris comme la paille et sécrètes Une puanteur d'ombre moisie à tes portes béantes 0 cruelle putain déjà cadavre et toujours reine Quand on en vient Italie à te haïr de tant t'aimer Quand on a reconnu dans tes yeux l'abîme des aveugles Dans tes paumes le prix cynique du plaisir Dans tes ruisseaux le bran Quand on sait enfin qu'à ton seuil Il n'y a place que pour la cendre et la boue Et que ton chant n'est que misère et tromperie Alors on se soulève comme on peut des poignets sur ton corps de pierre Epave (qui se traîne à peine à tes pavés On approche son front des fenêtres obscures On regarde au-dedans l'extinction des lampes On regarde au-dehors la longue peur des murs On écoute les pas lointains les voix plagales On voit qu'il pleut qu'il pleut qu'il pleut Nulle part je n'ai senti la présence de la mort ses parages proches Comme à Milan tout entière pareille au lendemain d'un lupanar Ce Campo-Santo déchirant sans parler ses suaires de marbre Et nulle part comme à Milan je n'ai touché du doigt le sépulcre Je n'ai par lambeaux senti de moi ma peau partir épouse pervertie Nulle part je n'ai si profondément compris la décomposition de la chair Le froid qui s'empare de l'homme et le fait la proie affreuse du fer D'un crocheteur distrait paresseux et pressé Nulle part comme à Milan quand il pleut Quand il pleut Et Marceline a renoncé par force à voir Rome et Naples Il n'y aura pas de sacre au Dôme On ne fera pas un Roi de l'empereur L'imprésario n'a plus d'argent il n'y aura pas de tournée On ne peut même pas partir II faut rester dans cette pluie Oubliant peu à peu tout ce qui n'est pas la pitié des vêtements et du ventre Oubliant la peinture et la Romance du Saule à la Scala Oubliant le sommeil et le soleil des rêves Oubliant jusqu'au cri terrible de l'amour Parce qu'il pleut Marceline parce qu'il Pleut Et qu'il faut compter les mailles de la pluie Assise sur une malle attendre et coudre entendre Sourdre dans les tiens ce désespoir à demeurer Là quand il pleut Attendre et coudre coudre coudre quand il pleut Quand il pleut et que la pluie chante Sur les toits un air d'opéra Ma mère avait une servante Qui s'appelait Barbara |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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