Louis Aragon |
Mais c'est assez parler du ciel des astronomes Qu'on finit par confondre avec le paradis Le ciel mot trompe-l'oil qui cache ce qu'il nomme Le ciel mot transparent opaque à ce qu'il dit Eisa rappelle-moi ce qu'écrivait Pouchkine L'habitude nous vient du ciel Elle nous tient Lieu de bonheur Et moi par contre j'imagine Que l'habitude c'est le malheur quotidien Rien ne nous vient du ciel monopole des anges Nul glaive n'est porté par licence de Dieu La peste ni le feu ni l'atome ne vengent Sur les gens de la terre un idéal des cieux C'est du bagne accepté que surgit l'habitude A la misère faite règle à nos besoins Sceptique aux longs projets de l'homme ce Latude Qui rêve dans la nuit les menottes aux poings Alexandre Serguéiévitch ô pessimiste Rien ne me tienne lieu de bonheur à ce prix Le bonheur d'habitude est un bonheur trop triste Je préfère l'enfer où l'homme brûle et crie Avez-vous déjà vu comme sur les gravures Habituellement est l'enfer figuré Une foule de corps dans toutes les postures Nus et tordant leurs bras hammam désespéré Ce voyage sans fin n'aura jamais de havre La mort n'est pas un port la folie un oubli La promiscuité de ces vivants cadavres N'a rien à voir avec l'emmêlement du lit Vers qui tournent-ils donc leurs prunelles farouches Si ce dais de splendeur est abîme inclément A qui va la clameur douloureuse des bouches Si l'infini des cieux est vide immensément Quel aveu me diront les rebouteux de l'âme De n'avoir plus personne à qui vous adresser Plus cruelle est pour vous la morsure des flammes Dans l'absence des dieux que vous avez chassés Demandez demandez la paix à la prière Elle est Vos à ronger qu'il faut aux chiens battus Qu'importe que demain ressemble à l'autre hier Repeignez les manteaux étoiles des statues N'attendez rien d'un monde où rien n'est que carence Escarbille à votre oil sable fausse monnaie Cendre neige néant poussière d'apparences Dites-vous bien que c'est à la mort que l'on naît Silence à vous marchands de la miséricorde A nos gémissements vous vous étiez mépris C'était que nous tirions ensemble sur la corde Et le mal combiné nous arrachait ce cri Regardez les haleurs que leur effort déchire La sueur les inonde et leurs bras sont gonflés Et quand s'arrache d'eux ce terrible soupir C'est qu'ils sentent venir à eux le poids halé Ils crient sans doute ils crient les damnés de la terre L'enfer existe il est le terrible aujourd'hui Où la loi sociale impose à tous de taire Les prémisses du jour et le bout de la nuit L'enfer existe II est la part du plus grand nombre L'enfer existe II est ce paysage fou La résignation des visages à l'ombre L'espoir tenu pour crime et la vie à genoux Il fut un temps naguère où le bonheur des îles Ouvrant leur équivoque aux poètes croyant Ne plus se rappeler au beau soleil d'exil Leur pays déchiré par delà l'océan Ah partir Le vieux monde est comme une latrine Ah partir où Vatoll rougit sous les embruns Ah partir disaient-ils en ouvrant les narines Au goudron portuaire et fuir le sort commun Beaux enfants au cour sourd qui ne pensiez courir Qu'aux édens de couleur où tanner votre peau Tandis qu'on jetterait votre peuple à mourir Qu'on le tuerait ayant la faim sur son drapeau Quand tout sera fini qu'on écrira l'histoire On relira ces vers que vous avez chantés Je ne sais si des miens on gardera mémoire Mais vous êtes partis et moi je suis resté Oui j'ai choisi l'enfer en pleine conscience Oui j'ai choisi mon peuple et j'ai pris son chemin Et je souffre avec lui sa même patience Et mon souffle se mêle à son souffle germain Le peuple II est des mots comme ça qu'on prononce En passant Qu'on dépasse à peine prononcés Et c'est comme la mûre noire dans les ronces On revient les cueillir au coeur de ses pensées Le matériel roulant peut n'être plus le même Les vêtements venir d'un autre costumier Le peuple c'est toujours le wagon de troisièmes Qui s'en va cahotant tel que l'a vu Daumier Assis ou non chacun dans ses rêves modiques Seul dans ce coude à coude et ne surveillant plus Aujourd'hui comme hier demain même musique Le vague égarement de ses regards perdus Le train s'en va la vie aussi le train trépide De tout un jour usé comme il leur reste peu Les bras plus durs la main calleuse et quelques rides Fumer manger dormir se vêtir comme on peut Les gens rentrent chez eux en accord à l'horaire Aux sursauts du ballast les épaules scandées Ils regardent la nuit de leurs yeux ordinaires Tout ce mal à recoudre ensemble les idées Nous aurons le repos que le travail procure N'en va-t-il pas de tout comme il est attendu Mais la femme est malade à cause des chaussures On s'en sert tous les jours c'est forcé que veux-tu Les chaussures s'en vont comme fait la jeunesse Tu t'en souviens Marie on était au printemps C'était Marie avant que le petit nous naisse On gagnait bien assez puisque l'on s'aimait tant Tout est dans l'ordre allons tout se passe à merveille Le passage à niveau s'ouvre les trains enfuis Le$ signaux lumineux un peu plus loin s'éveillent Un peuple résigné s'en retourne chez lui Un peuple résigné c'est rapidement dire C'est juger le passant à ses pas machinaux C'est ignorer le feu sous la cendre et ne lire Que la lettre oubliant qu'elle forme des mots Muet debout avec dans sa poche un journal Le bras en l'air tenant le cuir de la poignée Celui-là par exemple un employé banal Un cheminot Peut-être un postier Devinez Ce qui couve ce soir au fond de son silence Ce qui mûrit en lui que les hommes feront Quel rêve où la colère avec lui se balance Et se gonfle la veine angulaire à son front Ce que celui-là pense étrangement ressemble Aux confuses lueurs dans la tête des gens Qui tous ne savent pas ensemble marcher l'amble Ni former parmi eux leurs propres dirigeants Mais comme l'eau grandit qui descend des montagnes Le besoin qui les pousse à l'épaule leur dit Les chemins confluents et le refus du bagne Le fleuve en avançant creuse son propre lit Ce sont des cargaisons d'hommes vers leur ouvrage Et les déhanchements cyclistes aux montées Et le moutonnement des têtes au pointage Et la force et le souffle exactement comptés Voyez les saisonniers s'éveiller dans la paille La route où les poids lourds la nuit vont sans arrêt Les arracheurs de betteraves au travail Dans l'odeur écourante et fade à leur jarret Il se fait des chantiers des villes de baraques Y viennent de partout main-d'ouvre à bon marché L'Italien l'Espagnol le Sidi le Polak Les gens on ne sait d'où comme ceux du clocher O pioches et charrois des Mondragon-Donzères Où l'homme de sueur brûle avec les roseaux Catch de la terre et carrousel de bull-dozers Vaste retournement de la terre et des eaux Le labeur continue au soir à la relève Sable des projecteurs sur la chiourme de nuit Une équipe suit l'autre ainsi qu'un mauvais rêve La mer à sa façon fait aussi les trois huit Incroyable grandeur de cette guerre humaine Où le fils de la femme est lancé comme un dé Et quel que soit le point que sa force ramène Il recommencera joueur dépossédé Tu transformes la vie ô peuple pour les autres La tienne comme une eau s'enfuit entre tes doigts Mais tu es à la fois le Christ et les Apôtres Dont les Pâques viendront dire ce qu'on te doit Déjà déjà pointe l'aurore orientale Les soldats endormis mêlés à leurs épées Aux portes du Sépulcre à l'heure froide et pâle Ont vu l'Homme surgir de toile enveloppé Ils ont frémi de peur devant leur propre songe Quoi c'est l'aube déjà déjà la liberté Un bras lourd sur leurs yeux repliera ses mensonges Pour dormir un peu plus du jour épouvantés Mon peuple éveille-les tes frères incrédules Organise conquiers persuade et dis-le Les paysans ont droit au soleil qui les brûle Comme au port les marins les mineurs au ciel bleu Mon peuple prends les mains déformées de ta mère Et mets-y la douceur promise à tes enfants L'avenir t'appartient écris-en le sommaire Que jusque dans les fers tes yeux soient triomphants Les lèvres et les blés d'un même chant vont bruire Oh le piétinement des foules au matin Choisis peuple choisis ceux qui vont te conduire Et la juste parole et le geste certain Tous les Annapurnas peuvent dresser leurs neiges Entendez-vous grandir ce rêve consenti Comme un Parti conduit son peuple vous disais-je Et vous les Conquérants vous dites Mon Parti Il est des mots écrits en lettres capitales Comme un Parti conduit son peuple A peine j'ai Dit ces mots-là que c'est une éclipse totale Et tout autre soleil me devient étranger |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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