Louis Aragon |
Je demeurai longtemps derrière un Vittel-menthe L'histoire quelque part poursuivait sa tourmente Ceux qui n'ont pas d'amour habitent les cafés La boule de nickel est leur conte de fées Si pauvre que l'on soit il y fait bon l'hiver On y traîne sans fin par la vertu d'un verre Moi j'aimais au Rocher boulevard Saint-Germain Trouver le noir et or usagé des sous-mains Garçon de quoi écrire Et sur la molesquine J'oubliais l'hôpital les démarches mesquines A raturer des vers sur papier quadrillé Tant que le réverbère au-dehors vint briller Jaune et lilas de pluie au cour du macadam J'épongeais à mon tour sur le buvard-réclame Mon rêve où l'encre des passants abandonna Les secrets de leur âme entre deux quinquinas J'aimais à Saint-Michel le Cluny pour l'équerre Qu'il offre ombre et rayons à nos matins précaires Sur le coin de la rue Bonaparte et du quai J'aimais ce haut Tabac où le soleil manquait Il y eut la saison de la Rotonde et celle D'un quelconque bistro du côté de Courcelles Il y eut ce café du passage Jouffroy L'Excelsior Porte-Maillot Ce bar étroit Rue du Faubourg-Saint-Honoré mais bien plus tard J'entends siffler le percolateur dans un Biard C'est un lieu trop bruyant et nous nous en allons Place du Théâtre-Français dans ce salon Au fond d'un lac d'où l'on voit passer par les glaces Entre les poissons-chats les voitures de place Or d'autres profondeurs étaient notre souci Nous étions trois ou quatre au bout du jour assis À marier les sons pour rebâtir les choses Sans cesse procédant à des métamorphoses Et nous faisions surgir d'étranges animaux Car l'un de nous avait inventé pour les mots Le piège à loup de la vitesse Garçon de quoi écrire Et naissaient à nos pas L'antilope-plaisir les mouettes compas Les tamanoirs de la tristesse Images à l'envers comme on peint les plafonds Hybrides du sommeil inconnus à Buffon Etres de déraison Chimères Vaste alphabet d'oiseaux tracé sur l'horizon De coraux sur le fond des mers Hiéroglyphes aux murs cyniques des prisons N'attendez pas de moi que je les énumère Chasse à courre aux taillis épais Ténèbre-mère Cargaison de rébus devant les victimaires Louves de la rosée Élans des lunaisons Floraisons à rebours où Mesmer mime Homère Sur le marbre où les mots entre nos mains s'aimèrent Voici le gibier mort voici la cargaison Voici le bestiaire et voici le blason Au soir on compte les têtes de venaison Nous nous grisons d'alcools amers Ô saisons Du langage ô conjugaison des éphémères Nous traversons la toile et le toit des maisons Serait-ce la fin de ce vieux monde brumaire Les prodiges sont là qui frappent la cloison Et déjà nos cahiers s'en firent le sommaire Couverture illustrée où l'on voit Barbizon La mort du Grand Ferré Jason et la Toison Déjà le papier manque au temps mort du délire Garçon de quoi écrire Ici commence la grande nuit des mots Ici le nom se détache de ce qu'il nomme Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture Un monde où le mur n'est mur qu'autant Que la tache de soleil s'y attache Que le miroir lunaire a capté l'homme passant Ici commence la jungle des jongleries Et celui qui parle est dans la persuasion que sa parole Est genèse et le premier jour N'était qu'une bille de verre où les couleurs tordaient leur spirale Mais au second jour il a dit Que les ténèbres soient Pour y faire monter l'éclat des feux d'artifice Au troisième jour il s'est reconnu dans les nuages Au quatrième il s'est reconnu dans les eaux L'écho de sa voix lui est revenu dans la cinquième nuit Un bouquet d'aubes a suffi pour que la parole de l'homme Passe à ses propres yeux pour le principe de toute création Et le samedi Celui qui parle a créé les poissons et les oiseaux À sa scmblance Et le dimanche il est sorti dans la rue avec ses beaux habits Étonné des rires qui l'accompagnent des haussements d'épaules Ici commence la grande nuit des mots Ici le nom se détache de ce qu'il nomme Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture Un monde où le mur n'est mur qu'autant Que la tache de soleil s'y attache Que le miroir lunaire a capté l'homme passant Ici commence la jungle des jongleries Et celui qui parle est dans la persuasion que sa parole Est genèse et le premier jour N'était qu'une bille de verre où les couleurs tordaient leur spirale Mais au second jour il a dit Que les ténèbres soient Pour y faire monter l'éclat des feux d'artifice Au troisième jour il s'est reconnu dans les nuages Au quatrième il s'est reconnu dans les eaux L'écho de sa voix lui est revenu dans la cinquième nuit Un bouquet d'aubes a suffi pour que la parole de l'homme Passe à ses propres yeux pour le principe de toute création Et le samedi Celui qui parle a créé les poissons et les oiseaux À sa scmblance Et le dimanche il est sorti dans la rue avec ses beaux habits Étonné des rires qui l'accompagnent des haussements d'épaules On ne veut pas de vous Romanichels Qui payez votre part en marchant sur la tête Les mots m'ont pris par la main Où suis-je À quel petit matin d'égarement Et qu'est-ce qu'il y a dans toutes ces voitures qui passent Il faut les jurons des charretiers pour arriver aux Halles On suit une idée on s'emballe on ne sait plus ce qu'on dit Voilà Cela commence comme cela les mots vous mènent On perd de vue les toits on perd de vue la terre On suit Inexplicablement le chemin des oiseaux J'aurais voulu parler de cela sans image Des amis des amours de ce qu'il en advint Montrer ce monde et ses visages Dans la couleur des années vingt Et j'aurais retracé le vieil itinéraire Refait patiemment dans le passé décrit Les pas réels qui nous menèrent D'un bout à l'autre de Paris D'un bout à l'autre de la nuit et de nous-mêmes Les yeux perdus le cour battant la tête en feu Pris à notre propre système Battus à notre propre jeu Nous qui disions tout haut ce que les autres turent L'outrage pour soleil et pour loi le défi Opposant l'injure à l'injure Et le rêve aux philosophies Univers furieux de paille et de paroles J'ai peine à démêler le délire et la vie Il n'y a que des herbes folles Sur le chemin que j'ai suivi Je revois ce temps-là sans y plus rien comprendre Pour qui ne brûle plus la flamme est sans objet Le souvenir n'est qu'une cendre Une ombre au mur qui me singeait Si je tourne mes yeux vers ces heures premières Je ne reconnais plus à leurs gestes déments Dans l'affolement des lumières Ceux que nous fûmes un moment Malgré tout ce qui vint nous séparer ensemble Ô mes amis d'alors c'est vous que je revois Et dans ma mémoire qui tremble Vous gardez vos yeux d'autrefois Nous avons comme un pain partagé notre aurore Ce fut au bout du compte un merveilleux printemps Toutes les raisons tous les torts N'y font rien mes amis d'antan Il faut bien accepter ce qui nous transfigure Tout orage a son temps toute haine s'éteint Le ciel toujours redevient pur Toute nuit fait place au matin Même si tout cela nous paraît dérisoire Un avenir naissant nous unit à jamais Où l'on raconte des histoires Pleines de notre mois de mai |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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