Louis Aragon |
Ce que je garde en moi je l'étouffé et le tue Et quand je fermerai les yeux à la lumière Nul ne saura de toi ce que j'en aurai tu Douceur des choses coutumières Je n'ai plus très longtemps devant moi désormais Chaque vers que j'écris c'est mon sang que je donne Si je fais le choix d'août sans doute est-il un mai Que ne dira jamais personne Tout soir élu n'a-t-il pour effet un matin Au fond de ma mémoire à jamais qui demeure C'est un triste marché qui me laisse incertain Devant en moi tout ce qui meurt Or notre cour s'éteint peu à peu doucement Avec ceux qui premiers dans l'ombre nous devancent Depuis douze ans déjà tu n'es plus là Maman Pour te rappeler mes enfances Chacun porte à sa lèvre une main dérobée A ses propres baisers chacun se reconnaisse Je n'aime pas marcher sur les roses tombées Pourquoi parler de sa jeunesse Nous avons tous cueilli dans nos jours et nos nuits Ces trèfles que séchés si longtemps nous gardâmes Et la fraîcheur d'une aube en mil neuf cent dix-huit Me ramène au Chemin des Dames Je pourrais en parler mais sauriez-vous pourquoi Le silence soudain m'effraye et tout m'étonne L'absence de canon L'espace devant moi Ce lent cavalier dans l'automne La guerre abandonnait devant nous ses tranchées On voyait au lointain des champs encore verts C'est là que j'ai trouvé ce livre ayant marché Sur un mort qui lisait des vers Je l'ai comme un voleur pour le lire emporté Dehmel Liliencron Wedekind votre lied Cette dernière nuit lequel l'avait chanté A ce pauvre enfant aux yeux vides Klingling, bumbum und tschingdada Zieht im Triumph der Perserschah? Und um die Ecke brausend brichts Wie Tubaton des Weltgerichts, Voran der Schellentrager... Passez mes souvenirs mes ombres mes idées J'ai parlé quelque pari de ces faisans si lourds Qui tombaient fascinés par le Rhin débordé Dans la plaine au nord de Strasbourg Terrasses de parfums ma ville d'épopée Ronda d'Andalousie une nuit de chaleur Que le tage profond coupe comme une épée Ici j'ai connu ma douleur J'en portais avec moi partout la symphonie Londres dont les soleils dans la brume agonisent Paris ses marronniers tout de suite jaunis J'ai voulu mourir à Venise Passez mes souvenirs folie ô mes années Et tu vins en novembre et sur quelques paroles Ma vie a tout d'un coup tout autrement tourné Un soir au bar de la Coupole Avant toi je n'étais qu'une ombre inassouvie L'errement de moi-même aveugle aveugle et sourd Tu m'auras tout appris lumière de ma vie Jusqu'à voir la couleur du jour Toi qui rouvris pour moi le ciel de la bonté En moi qui réveillas les musiques profondes Toi qui m'as fait moi-même et m'as dit de chanter Comme un enfant devant le monde Demeure mon amour heureux et malheureux Demeure mon amour dans mes bras prisonnière Soleil secret du cour qui n'est que pour nous deux Ma chère amour seule et dernière Si de ce que j'écris ne restait que ton nom Je saluerais la gloire éternelle des choses Où ton nom chanterait comme fait le Memnon Au seuil brûlé des sables roses Souviens-toi Trente-six Octobre nébuleux Eisa c'était la nuit La guerre et son silence Pour la première fois prirent la couleur bleue Pour nous dans la rue à Valence Trois ans Ce fut Paris à son tour qu'on vendit Une fenêtre ouverte à Nice sur la mer Choisis le ciel de ton supplice avais-tu dit Nous rendit l'hiver moins amer La vie est ainsi faite et la beauté du chant Fait oublier parfois que triste est le poème Le bouquet d'Éluard comme il était touchant A la gare du P. L. M. Les voilà réunis les frères séparés Si longtemps si longtemps cela fut donc possible Un jour viendra trop tôt nos deux mains desserrer Soyons des amis invincibles Non la nuit ne peut pas durer l'éternité Paul et l'aube viendra du grand amour de France J'ai quitté pour le vrai ce faux nom emprunté Dans l'été de la délivrance Le plus beau jour toujours contient quelque regret Dont on trouve le goût peu de temps après boire Et que la vie est belle après tout le dirait Simplement l'histoire d'un soir Vêpres où l'hirondelle à longs coups de ciseaux Rejoint l'ombre du nid je choisis l'instant calme Où s'apaisent les cris de l'homme et de l'oiseau Dans le crépuscule napalm Avec quel mauvais goût s'achève la journée Les nuages ont pris des teintes de folklore Le couchant martyrise une terre vannée De procédés technicolores L'hiver tiède a l'odeur douce des machmallau C'est l'heure où la lumière apparaît périssable On attend pour rentrer que s'éteigne l'éclat D'une mer mourant sur le sable Une mer qui ressemble aux jardins suspendus Une mer où la nuit en plein jour se devine Et qui pour s'endormir comme un refrain perdu Cherche l'épaule des collines Le vent disperse une lessive de forains Comme une barbe de deux jours bleuit la brume Dans les bas-fonds tandis que les toits riverains Tournent à des couleurs d'agrumes Tendre camélia sur les neiges rosies Le ciel se fane et l'ombre au fur et à mesure Monte de la montagne aux confins de l'Asie Jusqu'aux réserves de l'azur Qu'est-ce que c'est mes yeux que cet égarement Qui fait que vous cédez à ce libertinage On m'accuse déjà je ne sais trop comment De trop aimer les paysages Est-ce un crime vraiment de dire ce qu'on voit Partager son amour chanter chercher des rimes Je ne sais pas vraiment ce que l'on veut de moi Est-ce vraiment vraiment un crime De rêver au bonheur dans la gueule du loup Et de dire à minuit que l'alouette est proche Mes amis mes amis que cela soit de vous Pourtant qu'en vienne le reproche Le paysage Allez je sais ce que l'on dit Il faut peindre l'histoire il faut peindre la lutte Et que nous venez-vous en pleine tragédie Jouer un petit air de flûte C'est la charrue et l'homme ici que je veux voir Connaître exactement la date de vos neiges Qui tient la terre et qui la travaille et savoir Ce que signifie ce manège Le soir le soir Ça va C'est lorsque les fumées Font du charme en montant dans l'air avec lenteur Mais dites-moi par qui le feu fut allumé Pour quel maître est ce bleu menteur Marines de Jongkind et d'Aïvazovski Nymphéas de Monet Ruines de Piranèse Exemples qui ne font que cacher les Yankees Et mettre la bombe à son aise D'où nous revient cette débauche d'horizons Ce retour offensif des vaches dans les mares Ces avalanches de huiliers ce Barbizon Ce coryza de l'art pour l'art Vous allez arrêter ceux que nous entraînons Avec vos prés vos bois vos monts vos maisonnettes Des paysages c'est toujours le Trianon De quelque Marie-Antoinette |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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