Louis Aragon |
On a des phrases qui vous hantent Machinales Et que l'on dit à tout bout de champ n'importe où On vieillit C'est un peu comme un tic une toux On dit Comment ça va Pas mal et vous Pas mal On dit Mon Dieu Ça ne veut rien dire du tout Mon Dieu faites mon Dieu que je meure en silence Je ne crois pas en vous Pourtant si vous étiez Et de qui donc prier au plus cette pitié Qu'on se taise sur moi quand l'ombre à ma semblance Aura vu se fermer les branches du sentier J'écoutais à l'instant parler pour une morte On l'aimait Elle était touchante comme un chant Et ceux-là qui tâchaient aussi d'être touchants Faisaient à cette tombe ouverte un bruit de porte Importun et pourtant tellement pas méchant Ah j'imagine comme à l'entendre confuse Ou le feignant peut-être elle leur eût paru L'écolière qu'effarouchait un mot trop cru Refusant de l'épaule un compliment par ruse Pour fuir la fausseté des hommes par les rues Vous avez bien souffert Madame mais personne Aujourd'hui n'aura dit ce lent apaisement Et que vos yeux ont vu tomber tout doucement Le voile du bonheur muet enfin que donne Cette nuit éternelle où personne ne ment Quand c'était trop affreux vous regardiez les arbres Ils ont aussi des nouds à leur tronc comme nous Nous parfois Je soleil s'approche et nous dénoue Tout ce qu'on lui disait la laissait bien de marbre Auprès de la cheville atroce et du genou Elle faisait semblant cette femme sensible On ne sait trop de quoi mais en tout cas semblant J'étais allant la voir toujours Renaud tremblant Aux parterres d'Armide où marcher n'est possible Sans lever à ses pas les passereaux d'antan C'était qu'elle devait plus ou moins se défendre Autour d'elle opposant comme un chat familier Quelque ancien souvenir à ce que vous alliez Dire ou faire peut-être et qu'il faudrait entendre Faute de fuir sur la rampe de l'escalier Armide et son bonheur abandonnant l'Oronte Que les soldats du Christ y meurent donc sans eux Ont gagné ce rivage aussi bleu que les cieux Où les enchantements neige et soleil affrontent Où l'on vit sans armure un printemps merveilleux Armide et son bonheur ignorent la croisade Ignorent l'homme en proie à des difficultés Tout leur art n'est qu'amour à ces bords enchantés Retourne si tu veux par la mer de Grenade A Carthage ou Damiette Eux vont ici rester Armide est ce détour volontaire L'exil En plein cour Une soif ardente au lac lointain Cette consomption des plaisirs mal éteints Cet émerveillement égoïste des îles Dont la mer d'émeraude entoure les matins Cette île Fortunée était bien la dernière Qu'un désir souverain berçât de ses accents Les fleurs et les parfums y paraissaient puissants Comme aux primes lueurs des aubes printanières Quand tout avait le trouble et la chaleur du sang Où le jour de naguère uniquement pénètre Où la pierre et le ciel à ses rêves se plient Armide des douleurs je la vois sur ce lit Magicienne imaginaire à sa fenêtre Mélange singulier de mémoire et d'oubli Elle semblait parmi ses livres couleur Parme Telle qu'elle a voulu que le monde la vît Mettant le nom de la violette à la vie Comme un songe embaumé prisonnière d'un charme Etrangère à l'histoire et par tout asservie Lorsque je l'ai connue elle avait l'air d'un faune Encore il m'en souvient au Boulevard Suchet 11 en restait sa voix de syrinx où perchait Avec toutes les variations d'un Beaune Le roulement des r comme un vin dans le chai L'avenir qu'il y puise Et dans son héritage Décompte les raisins comme il faut grain à grain Décante du tanin ce soleil souterrain Dépouille l'amertume et prenne en son partage Ces doux regards qu'à l'ombre accorde un romarin Elle n'avait choisi ni le temps ni le monde Qui lui furent donnés pour croître et pour aimer Et non plus le rosier le brasier allumé N'ont choisi le bois mort ou cette terre immonde Pour la flamme et la fleur l'épine et la fumée Armide chère Armide Armide trop humaine Les jours d'après la pluie en elle trouveront Le plaisir d'oublier une ride à son front Comme les sous tintant au bout de la semaine À la fin de l'hiver la tiédeur des marrons Ces derniers temps tout n'était plus que silhouette Estompement du mal et que fatigue au fond Je me souviens de cette générale où l'on Montra l'intimité de Madame Colette Sur les petits écrans de la télévision Qu'est-ce que c'est que ces lumières d'acrobates Ces lampes d'Aladin cette sorcellerie D'abord on entendait â peine et puis ça crie Du moins était-il seul au château des Carpathes Cet étrange héros dont Jules Verne écrit Rongeant au creux des rnonts un amour sans pâture Pour une femme absente avec ses bras abstraits Et cette voix trop belle et ce mouvant portrait Du moins était-il seul assis à sa torture Et ce n'était que lui-même qu'il torturait Jeunesse ma jeunesse est-ce donc ton image On survit longuement à l'avril des baisers Déjà midi s'étonne et cherche la rosée Même un beau crépuscule est encore un dommage Le cour qui se souvient n'est jamais apaisé Jeunesse ma jeunesse il n'est plus de dimanches Si tu t'en es allée en changeant mes cheveux Jeunesse ma jeunesse assise à tous les feux Où donc est le tapis vert et bleu des pervenches Où sont les champs fleuris où tu disais je veux Laisse là tes regrets vieil homme et ta jeunesse Dimanche ou pas impatients dès le lundi D'autres adolescents ouvrent le paradis Ils ont cette splendeur des choses qui renaissent Ne reconnais-tu pas ta propre mélodie Laisse laisse la place à ce grand bal physique Ne triomphes-tu pas tant qu'il est des amants Regarde-les danser avec emportement O jeunesse Ancienne et nouvelle musique Colette ('écoutait de son appartement On avait inventé ce spectacle pour elle Elle était sur la scène et les acteurs jouaient Dans ce chez elle où la souffrance la clouait On l'appelait d'ici Son chant de tourterelle Dans les pick-up épars en retour s'enrouait Elle avait Cette idée accepté de le faire Et tandis que la salle où le rideau rougit Dans son Palais-Royal avait soudain surgi La voilà qui s'allume à la rampe d'enfer Comment s'y refuser Et répond à Gigi Cela prenait une atmosphère de collège Elle répondait vite et peut-être à côté Ses yeux avaient gardé leur fard et leur beauté Qui nous donnaient le sentiment d'un sacrilège En raison de cet enjouement prémédité La pudeur du langage est un dernier orgueil Les examinateurs dans le théâtre assis En suivaient le détour et la péripétie Nous étions enfoncés comme eux dans nos fauteuils Qui tentions de comprendre à quoi bon tout ceci Mais pour des papillons dont les gens lui parlèrent Elle eut l'expression de la biche blessée Quelle était cette plaie où saignait sa pensée Quelque chose un moment avait dû lui déplaire Rien qu'un moment Ça c'est tout de suite passé Nous n'entrerons jamais au vrai jardin d'Armide On avait beau l'avoir prise au piège et traînée Dans l'éclat des sunlights comme une fleur fanée C'était nous qui restions pareils au sol aride Au long été de ses quatre-vingt-une années Elle aura trop bien su ce que c'est que mourir Comme aux indifférents la bouche s'y confie On n'a plus le secours des yeux ni leur défi Ni les éclairs furtifs la feinte du sourire Elle n'a pas voulu qu'on la photographie Elle n'a pas permis de fixer à son ombre La narine immobile et la tempe sans bruit Ce traître instantané cet effroi cette nuit Elle n'a pas voulu demeurer ce décombre Le masque abandonné d'où l'âme s'est enfuie Nous ne la suivrons plus par les secrets méandres Où seule et vainement elle eut un long succès L'allée est solitaire où Colette passait Dans le vent retombé toute poussière est cendre Une aile va manquer au murmure français Adieu reine des prés adieu l'enchanteresse Qui fis d'aimer ta loi ton souffle et ton credo À ta fenêtre encore il palpite un rideau La nuit d'août est pleine encore de caresses Claudine vit encore ô fille de Sido Demain dans ses bras prend tes belles créatures Je ne sais pas vraiment pour lui ce qu'elles sont La morsure s'oublie et reste le frisson O folklore des temps ô nouvelle aventure C'est la lèvre qui fait l'eau pure et la chanson Tout meurt et refleurit tout se métamorphose Vois-les vois-les grandir ces enfants de tes mains Aux astres inventés d'un univers humain Ton sauvage églantier va se couvrir de roses Une odeur d'innocence envahit tes chemins Août 1954. |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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