Louis Aragon |
Sur le marché des cieux qui jette à la criée Sardines des hauts-fonds étoiles merveilleuses Ce phosphore infini nuitamment marié Aux doigts gercés des mareyeuses Damnez-moi C'est trop beau pour n'être ainsi réduit Qu'à des approximations métaphoriques Il faut à chaque vers découvrir l'Amérique Pour arriver à la cheville de la nuit Notre vocabulaire est de faible encolure Quand il faut allumer l'étoile et non l'idée Et traverser la nébuleuse à toute allure Avec des mots téléguidés La nuit c'est tous les soirs la femme qui chez elle Ramène un inconnu pour la première fois Lui non plus ne sait rien d'elle sinon qu'il voit Qu'elle défait ses longs cheveux et qu'elle est belle La nuit c'est la splendeur féminine surgie Quand elle ouvre à toi seul l'offre de son corsage Et que le ciel devient la gorge et l'élégie Aux mains d'un amant de passage L'homme lève les yeux et c'est ahurissant Ce qu'un pareil décor peut bien lui faire dire Mais peu nous chaut la qualité de son délire Si ce lait de lueurs renouvelle son sang Si le frisson le prend devant ces voûtes blêmes S'il songe regardant ces soleils de série A ce qu'il risque d'arriver cette nuit même A ses amours à sa patrie Car tout ramène l'homme au cour de la bataille Serait-ce le détour de quelque voie lactée Serait-ce le détour de la banalité Et l'histoire nous fait un ciel à notre taille C'est que l'histoire aussi ressemble diablement Au firmament avec ses emprunts à la fable Et temples ou soleil tous ces ensablements Qui lui font sa face ineffable Ma grand-mère disait que le Bon Dieu punit Celui qui veut de l'ombre établir le cadastre Et qu'autant de verrues qu'il a décompté d'astres Poussent à l'imprudent scrutateur d'infini Ourses et chariots malgré tous les repères Les cailloux qu'a semés l'imagination Tant de veilles ne m'ont rien appris Je m'y perds Poucet des constellations Mes frères parlent bas de l'Ogre appelé Guerre Comment de m'écouter garderaient-ils souci Le murmure effaré que font leurs sourds récits Colore l'avenir des horreurs de naguère Mes frères sont assis dans leurs pas égarés N'avions-nous pas déjà franchi ces fondrières Et la piste d'espoir qu'ici vous nous montrez Nous avions cru la prendre hier Mes frères sont assis sur le bord du talus Nous avions balisé de vers luisants la route Hélas les rossignols les ont mangés sans doute La borne est peinte en noir où nos yeux auraient lu Mes frères sont assis dans la raison confuse Ils renoncent au jour à la marche à leur but A la fin le courage et les semelles s'usent L'homme est ivre sans avoir bu Prêts à répudier la lumière des sens Mes frères croient inconnaissable l'inconnu Dans un monde immuable où l'homme revient nu A l'initiale obscurité de sa naissance Dans le premier moment que je les entendis Ça me fit comme une démangeaison d'injures Ils me criaient Le voilà donc ton paradis Chevalier de triste figure Tu es là comme un clown à nous parler progrès Vendanges de Vhiver et printemps sur commande Ah Déroulède du bonheur et tu demandes Naïvement comment sortir de la forêt On n'en finirait plus à répéter leurs phrases Qu'ils aient tort ou raison les mots ça compte-t-il Ce qui pèse sur nous comme moi les écrase Us sont mes pareils ces petits Eux comme moi tristes jouets de la colère Et que ce ne soit plus la comète annoncée Ce qui nous fait tenir nos propos insensés C'est l'an mil revenu c'est la peur séculaire Eux comme moi l'on dirait des Saint-Sébastien Qui liés au poteau se flécheraient l'un l'autre Dans leur fureur à démêler le mien du tien Au rire noir des bons apôtres Eux et moi n'ayant d'yeux que pour nos différends Perdus dans les miroirs truqués du labyrinthe Divisés dans l'espoir divisés dans les craintes A plaisir moi comme eux des mains nous déchirant Divisés divisés le redire et le dire Plus vite que le vent propagateur du feu Matelots divisés nous faisons du navire Le brûlot des meneurs de jeu Divisés comme l'eau des mers dans les salines Comme le grain du son l'âme et l'agonisant Comme un lopin de terre entre les paysans Comme un pain disputé dans les jours de famine Et comme une farine au sortir du bluteau Que la profonde nuit reçoit dans sa corbeille La nuit la belle nuit qui poudre son manteau De ce gaspillage d'abeilles Je songe à l'unité lente que nous gagnons Etoiles Resouder les feux qui se scindèrent Inaugurer enfin le grand jour solidaire Et faire un seul soleil de tous ces lumignons Ah qui m'enseignera la nouvelle science A l'école du soir nous ne sommes allés Que pour apprendre l'aube énorme impatience Qui saisit la foule étoilée Voir ne suffisait plus à l'homme II veut savoir Mais le siècle et le ciel sont noirs jusqu'à demain Le chemin qu'une main m'y tienne par la main Comme un Parti conduit un peuple dans l'histoire Entre Vénus et Bételgeuse Aldébaran Il me faut bien quelqu'un qui me guide et qui m'aide A démêler aux feux glacés du grand écran La chevelure d'Andromède |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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