Louis Aragon |
Un poème écrit à la troisième personne N'est jamais ce cri des entrailles que l'on croit Et parler de l'amour exige que je donne A l'impudeur du jour mon propre cour en proie Nous ne comprenons plus le temps de ma jeunesse Après trente ans vécus nos plus hauts songes sont Les vulgaires quinquets fumeux d'une kermesse J'ai peine à retrouver les mots de la chanson C'était un temps pareil à ce temps où nous sommes C'était un temps pareil à ce temps après tout Où le feu mal éteint sous les bottes des hommes Dans les foins de la paix reprenait n'importe où Un beau désordre suit les guerres qui s'achèvent Les négociateurs y pratiquent le tri Des peuples des espoirs des terres et des rêves Et les aventuriers jonglent de la patrie On voyait le mensonge à travers les paroles Les concepts maniés prenaient un air douteux Des Messieurs solennels signés les protocoles Par des trains spéciaux s'en retournaient chez eux Il y avait bien par-ci par-là des révoltes Qu'on étouffait bon an mal an comme on pouvait C'est qu'il fallait faire régner la loi du coït Pour que le Plan Hoover pût avoir son effet Quel principe tenait mieux que l'épouvantail A ce bout de terrain pour lequel on mourut Nos idées ressemblaient à des champs de bataille Où les os des soldats crissent sous ls charrue Lorsque j'avais vingt ans pour moi la grande affaire Était de désapprendre et non d'avoir appris Il me semblait rouvrir les portes de l'enfer Par le simple refus du cour et de l'esprit Don-Quichottes nouveaux qui tournaient leur colère Contre les dieux de plâtre et l'ombre des statues Nous étions quelques-uns que ces jours assemblèrent A mettre dans l'injure une étrange vertu Rendant les maîtres-mots du malheur responsables Nous menions à tous crins notre guerre aux buées Et nous nous adonnions à des sortes de fables Sans morale ni but qu'un concert de huées Nous avions instauré la grève imprécatoire Sur notre propre chant jetant notre interdit Je pourrais raconter le détail de l'histoire Et Saint-Julien-le-Pauvre et cette comédie Ah ne les jugez pas de façon trop 6évère Pathétiques enfants si tôt déchus des cieux Il en fut au printemps qui brisèrent leur verre Certains avaient de la lumière au fond des yeux Je ne demande pas le pardon des outrages La pitié d'une enfance ou Dieu sait quel oubli Les longs labeurs m'ont fait un homme d'un autre âge Et j'ai bu le vin noir et j'ai laissé la lie Mais j'aurai beau savoir comme on dit à merveille Quelles gens mes amis d'alors sont devenus Rien ne fera jamais que je prête l'oreille A ce que dira d'eux qui ne les a connus Je jure qu'au départ c'était comme une eau pure L'avril escompte-t-il les récoltes d'été Et nous n'attendions pas du monde je le jure Plus que la salamandre aux flammes n'eût prêté Je me souviens Pour moi la vie est un théâtre Où dans la fosse alors que prélude l'alto L'acteur n'entend plus rien que son cour à lui battre Et rouge et or soudain se lève le rideau Il palpite dans l'ombre une blancheur d'épaules Les manteaux ont glissé pour montrer les bijoux Insensé que dis-tu qui ne sais plus ton rôle Tu ne sais plus tu ne sais plus ce que tu joues Taisez-vous Ces balcons ces loges de velours Oui j'allais oublier pour leur soleil de nuit Le grand air du dehors et la couleur du jour Les choses pour les mots les lèvres pour le bruit Or j'ai beau détourner mes yeux de ce vertige Et nier qu'il m'entraîne et chanter ma prison Mes pas et mes regards ensemble 6e dirigent Vers la tentation de l'aube à l'horizon Il m'eût fallu vraiment une âme bien mesquine Pour ne pas me sentir cet hiver-là saisi Quant au Congrès de Tours parut Clara Zetkin D'un frisson que je crus être la poésie Ah cela me brûlait et je n'entendais guère Tout ce sang Allemagne Allemagne entre nous Que le défi lancé d'une femme à la guerre Tout ce sang qui montait encore à nos genoux Cet après-midi-là je fus rue de Bretagne Oui je ne savais rien je comprenais bien peu Un mot de vous un mot et je vous accompagne Mes frères mes pareils mon amour malheureux Quelque chose vers vous me conduit et m'attire Je ne suis pas vraiment communiste je crois Je l'avoue et je dois honnêtement vous dire Qu'à lire vos journaux je m'irrite parfois Sans doute sont-ce là de très pauvres détails N'importe qui pourtant Un mot qui n'est pas dit Et c'est tout le destin d'un homme qui déraille J'ai repensé souvent à cet après-midi Le ciel gris de Paris au sortir du local J'errais II y avait par là dans ce quartier Le siège de la Première Internationale On vient de loin disait Paul Vaillant-Couturier |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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