Louis Aragon |
La scène représente un jeune homme vers 1890 Prométhée ô consonnes de printemps promesses de printemps ' Promission plutôt promontoire de promission Il y a do Prométhée à promettre cette légère feuille de thé Perdue au profit de quel maître Ce thé des lettres imprononcées ce thym ce parfum d'h Et la muette étrange à la fin d'un nom d'homme Mise il semble uniquement pour limite en poésie à l'emploi de ce nom Forçant la main qu'on ne l'écrive sinon Pour le choc du rocher cloué sur la voyelle qui suit Nom qui ne peut redoubler en vers par l'effet de sa désinence Sans l'ô vocatif qui de lui-même le sépare Propos de chambre d'hôtel au Quartier latin par un soir d'hiver à grands pas entre les cloisons proches Une petite moustache brune et des yeux brillants Faute de comparaison sous le plafond bas on pourrait croire qu'il s'agit mais non c'est un félin de taille fort médiocre L'édredon rouge a versé du lit tandis que dans la glace de la cheminée le locataire a mis une image de Félicien Rops II parle ou pense c'est là simple question de degré à grands pas dans la pièce étroite où brûle pour tout potage une lampe pigeon Prométhée 6 voleur du feu Non non je ne commencerai point par l'invocation de l'octosyllabe Et ce n'est pas moi dès le début qui vais le traiter de voleur Qui me sers si communément de l'allumette Cette plaisanterie a le don de lui faire montrer ses canines Il se fouille à cette idée et de sa poche sort une petite boite légère et un paquet de cigarettes Il fume la tête ailleurs disperse quelque cendre sur le lapis usé Sa main s'agite comme pour mieux suivre ses yeux vagues Ce qui fait que Von comprend comment il pourrait plaire aux femmes tout de même Provincial en diable avec tout ça De si loin que je me souvienne comme dit l'autre je revois Sous le pupitre du collège ou dans les champs torrides par l'août qui sent la paille Cette persécution de l'image en moi de Prométhée Et j'ai beau me démener je n'en trouve pas le commencement Et me voilà joli garçon comme pris à ce papier à mouches Ce mythe à force d'en ruminer un tant soit peu mangé des mites D'évidence si Prométhée A peine d'entrer pour sa muette ainsi qu'un domino dana le corps du vers D a plus aisément place en son extrémité Il a un geste pour s'excuser auprès d'un interlocuteur invisible de cette involontaire et fortuite apparemment copulation des sonorités terminales fautive fautive Même le Léthé n'a point pour finir cette voyelle affaiblie Et je vous demande un peu ce que pourrait avoir à faire avec le fils de Thémis et de Japet ' Cette sale petite chèvre Amalthée avec ses mamelles pendantes Et il n'y a pas mèche seulement de faire aboutir le vers sur la voie Lactée au sacrifice même de cette herbe des hauteurs Donc ce Titan Héphaïstos que nous appelons Vulcain après tout Va le clouer aux prémisses du vers comme primevère avant le printemps Pour jamais privé d'écho Exilé d'où se fait l'amour sonore des paroles Il regarde le lit défait les draps froissés l'oreiller sali ce cour de plume en berne et tout à coup ce n'est plus qu'un enfant triste et solitaire Le Caucase aussi bien pourrait être une chambre d'hôtel L'ébranlement du pavé par une voiture à cheval égarée à la nuit dans les tonnerres Eschyle ne dit pas à la fin du mois si tu avais de quoi te nourrir Malheureux malheureux malheureux Prométhée Le rythme alexandrin l'arrête Il s'étonne et reprend où il peut sa pensée Une autre cigarette Nu comme unxen chair sur le front de l'Elbrouz Rien de cela n'est possible ni cet ixc du Faubourg Saint-Antoine Pour villa de banlieue Ni ce zede sans féminité qui peut tout au plus faire du zèle sur la pelouse Mais qu'écarte du doigt ta xénophobie ô vers français Nu comme le hibou sur la porte des granges Ah seulement si nous avions les ailes du hibou sur nos secrets Qu'est-ce qui est désespérément nu qui no soit ni la main ni le ver Par où prendre cet écartèlement de l'homme Cette exposition de son corps à la face de l'aigle Et l'Elbrouz porte-t-il des mouches à son front Il baisse un peu la lampe pigeon qui filait il la règle et le voilà roulant dans ses dents ses cailloux L'avoine en ses bras bleus des longues veines vertes Et comme un violon violemment ouvertes Ses jambes de nageur Images à vendre où m'as-tu décroché cette avoine vitrier Et ce stradivarius obscène d'où vient-il acheté d'occaso Avec son comme en parfait état chez le même brocanteur Est-ce qu'il s'agit à la fin d'un acrobate ou de Prométhée Tour rallumer le mégot à sa lèvre il a par trois fois brisé l'allumette si bien que la boîte est vide qu'il jette énervé furieux ratant la corbeille et dans ses doigts regardant celte chose blanche et grise à demi consumée Qu'est Prométhée Une croix hétérodoxe en proie au vautour Un éclatement de cordes à la colophane des souffrances Un tambour de douleur à la plus haute dent du monde Un athlète de carrefour qui n'attend plus qu'an sou pour eommencer ses tours Et cette plaie à son côté comme on en voit à l'hôpital Ce spectacle à lever le cour n'écarte pourtant pas les chimères Car croyez-moi ce n'est pas tous les jours qu'on leur jette en pâture Un esclave de sexe mâle avec cette musculature Un silence et puis tout bien réfléchi Le difficile est de trouver des mots à la taille de cette anatomie Comment éviter après cela que Mme Y... Ne se livre à d'obscures comparaisons La poésie est-elle faite pour montrer la nature ou la déguiser J'hésite entre le pôle obscur et le pôle clair de l'art Au commencement était le langage il me semble Ou suis-je sur la pente de l'oublier Dans la nuit Von entend des gens monter l'escalier probablement un couple et les voilà sur le palier qui piétinent le temps de trouver la clé le trou de la serrure une infinité de détails rapides qui dit la hâte dans la chambre d'à côté tant qu'enfin le lit en gémisse et tout l'habirtuel murmure qu'on ne peut se retenir d'écouter Mais lui se fâche et ricane et poursuit son histoire Il faut reprendre les choses par leur parfum Se plonger dans le bain phosphorescent des paroles Extraire le nard des mots Éveiller séparément les lettres à la vie Que la sonnaille des syllabes comme un lépreux précède le poète Et non l'inverse II est très content de lui se rappelle qu'au-dessus de la cuvette il pend un miroir s'en approche et s'y regarde et passant dans ses cheveux la superbe de sa main répète Et non l'inverse Il ramasse l'édredon rouge et s'assied sur le pied du lit les mains jointes entre ses cuisses écartées ballant d'un pied de l'autre et sur le visage l'expression de quelqu'un qui sait de quoi il retourne Et non l'inverse je vous dis Le sens est second aux paroles On dit et cela signifie Et non l'inverse Très content de lui Mais soudain perplexe il détruit l'entrelacement de ses doigts dresse l'oreille Non pas comme vous croyez À quelque chose qui lui traverse la tète Une biche pas ordinaire Le doitte la sueur du doute Et si cela ne se mettait pas à signifier Connue la tapisserie à petit point toujours défaite D'une inutile Pénélope Où tu ne vois que l'herbe la couleur et pas le verger Pas les amants cachés derrière les branches Les animaux entre les fleurs Rien de la passion naturelle Et qu'est-ce que c'est que cette musique sans le chant Que cette musique de muets dans un sérail sans amour Où les signes de l'alphabet cessent de caresser l'oreille Un cimetière de consonances tues Des caractères sans bruit que le froissement du papier domine Tout en parlant il a retiré l'un de ses souliers qui tombe sur le plancher avec un chahut indescriptible Aussi le considère-t-il un peu de temps avant de se mettre à délacer Vautre L'anecdote l'anecdote c'est L'anecdote qui nous tue Le Caucase avec ses nuages bleus cette statue À la cime Et le défilé de ceux qui lui viennent tenir compagnie Mais l'orthographe môme de Promethée à tout prendre Est anecdote l'anecdote du th Du théâtre et l'orchestre inventé de théorbes Le thème d'un threne se traîne à l'entrée Anecdote l'e muet qui se trouve dans la plaie Où furieusement fouille l'oiseau payé par les dieux Du pied en chaussette il a rejeté le second soulier mollement qui tombe et sans doute tout ceci doit l'avoir épuisé qu'il demeure en silence ouvre d'une lente main son faux col car n'avais-je pas dit tout à l'heure à l'idée de Mme Y... qu'il avait dénoué sa cravate eh bien donc il l'avait dénouée il se balance il se balance un instant pique du nez se reprend se balance et voilà comme un bébé bateau qu'il bascule dans l'eau du sommeil et s'endort |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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