Louis Aragon |
Parlé O flamme obscure Flamme fraîche - Une dernière fois pour éclairer l'immobilité d'une image Avez-vous jamais vu comment meurt un oiseau Ce qui n'avait tantôt que le poids de l'âme Mais les poètes de notre âge Durent moins que paille brûlée J'en ai tant vu tournons la page Aussitôt venus qu'en allés Semblant ici-bas en voyage Avez-vous jamais vu comment meurt un oiseau Une pierre soudain qui tombe dans la cage Cela ne chantera plus n'ébouriffera plus Son plumage Cela meurt droit devenu plomb Cela meurt on dirait un meuble tombé dans ma tête Une marche manquée Un mot pour l'autre Un oiseau que c'est triste un oiseau qui meurt Une phrase inachevée un vers qui ne trouvera plus d'écho Tiens Encore un poète mort dans le journal La Seine-et-Oise ne te verra pas te promener avec moi dans la forêt aux rhododendrons Je ne te croiserai plus par hasard dans les aérodromes Vitezslav Nezval Tu avais les yeux couleur d'une lessive céleste Et maintenant que te voilà blanc comme un alexandrin sans rime Tu es un carreau de Delf t sur le linge du lit Où l'on voit un pastoureau jouant de la flûte Devant une petite haie Ou qui sait un chevalier armé pour un tournoi On va te regarder différemment désormais que tu as pour moi Ce visage de roi de cour de l'éternité J'essayerai de parler de toi Nezval J'essayerai Ma gorge racle des mots noirs Épines noires dans la gorge Le deuil Prague le deuil baroque Et le deuil tourmenté des draperies de pierre J'essayerai qu'un cri s'élève de la pierre La radio ce soir a parlé de Nezval Pour dire qu'il est mort c'est plus que pour Rimbaud Je vois Prague et la lune dans Prague Les pas de lune dans Prague où passa mon Apollinaire La pluie à Prague dans ta Prague aux doigts de pluie Pianote aux vitres s'y essuie Une musique y balbutie J'essayerai qu'un cri de pierre sous la scie Qu'un cric soulève la pierre des rimes J'essayerai ma gorge le criquet l'escrime De ma gorge Dans le Hradschin désert la lune est sans rivale Elle peint sur le pont le deuil blanc des statues La radio ce soir a parlé de Nezval Pour dire qu'il s'est tu Strophe que la main ponctue ô strophe au-delà De quoi commence le voile funèbre au-dessus du Pont Charles Nuage qui passe par le vent emporté J'éclaircirai ma gorge comme le ciel Ainsi Prague a perdu son âme et son poète Lorsque j'irai tantôt je ne l'y verrai pas Et son cour s'est brisé comme un verre qu'on jette À la fin du repas Lorca Maïakovski Desnos Apollinaire Leurs ombres longuement parfument nos matins Le ciel roule toujours les feux imaginaires De leurs astres éteints Contre le chant majeur la balle que peut-elle Sauf contre le chanteur que peuvent les fusils La terre ne reprend que cette chair mortelle Mais non la poésie Ce siècle est au-delà du minuit de son âge Ses poètes n'ont plus besoin d'être achevés Ils ont usé leur vie au danger des images Et croient avoir rêvé Il se fit dans Paris un silence de neige Un réveil de novembre à neuf heures battant Quand Éluard partit rejoindre le cortège Nezval meurt au printemps C'est de sa belle mort comme disent les hommes Qu'il meurt Nezval et tout par conséquent est bien Il ne faut pas pleurer dans ce siècle où nous sommes Cela ne sert à rien Il meurt l'enfant terrible aux jours des primevères Pâques éperdument auront sonné pour lui Ses paupières fermées ses doigts se sont rouverts Ses derniers vers ont lui Dans le monde en gésine inhumain pathétique Il tourne au firmament à jamais ses yeux bleus Visage émerveillé des peintures gothiques Soleil de quand il pleut Il est entré vivant dans les deux du folk-lore Y chantant sa mère et la paix pareillement Il nous montre demain comme une bague d'or Dans la main d'un amant Nezval de qui le nom notre lèvre façonne Nezval attends un peu j'arrive à tes côtés Du jour qui fut si beau déjà le soir frissonne Et d'autres vont chanter |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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