Louis Aragon |
Allez un petit peu plus vite À l'escargot dit le merlan Un marsouin piétine ma queue II proteste qu'on est trop lent Voyez les tortues les homards vivement comme tous avancent Ils attendent sur le plongeoir Voulez-vous entrer dans la danse Voulez-vous ne voulez-vous pas voulez-vous entrer dans la danse Imaginez-vous seulement le plaisir que cela sera Dans la mer avec les homards lorsque tous on nous poussera Mais l'escargot dit C'est trop loin Avec un air de défiance Et mille mercis au merlan mais quant à entrer dans la danse Il ne voulait ne pouvait pas ne voulait entrer dans la danse La belle affaire si c'est loin Disait son écailleux ami La côte de l'autre côté on peut s'y baigner c'est permis Plus on s'éloigne d'Angleterre et plus on approche de France N'ayez pas peur cher escargot mais entrez plutôt dans la danse Voulez-vous ne voulez-vous pas voulez-vous entrer dans la danse Tu me parles de ton enfance et ta tête est sur mes genoux Dans la chambre au premier qui pour nous sera les jardins d'Ar-mide Eiffel Tower As-tu six pence pour le gaz II fait humide Et froid La flamme jaune et bleue à nouveau danse devant nous Raconte-moi ton univers raconte-moi ta solitude Ne sortons pas restons devant les cuivres de la cheminée Ton père te ressemble il est sombre à la fin de la journée Les souliers te font toujours mal la gouvernante a la voix rude Il y a une maison d'ombre et d'ordre avec l'argenterie Des cristaux les glaces qui rêvent d'une robe bruissante Tu n'as pas le droit de courir le parc sur le sable des sentes Et la pelouse est toujours rase au-dessous d'un ciel toujours gris Tout ce long temps tout ce long temps de notre enfance qu'on gaspille Chaque mot que tu dis en moi s'enfonce à la façon d'un clou Chaque mot que tu dis de ton passé me rend triste et jaloux Femme ô femme que ne t'ai-je connue alors petite fille Tes amants n'en souffle pas mot qu'ai-je à faire de tes amants Mais descendons au restaurant Les salles sont déjà désertes Nous ne serons que tous les deux assis parmi les plantes vertes Le patron viendra nous parler avec son accent allemand Le vieux Stulick a l'air d'un phoque II te dira tendant la carte De Qveen ov hearts she mode sortie tarts All on a summer day De Knave ov hearts he stole dose tarts And took dem qvite a-v-way Dame de cour je le sais bien un jour il faudra que tu partes Malles Chambres d'hôtel Ainsi font ainsi font font font Dans les couloirs silencieux les chemins gris bordés de rouge Et l'on met les souliers dehors afin de mieux voir au plafond Le couple des ombres qui bouge Elle n'aimait que ce qui passe et j'étais la couleur du temps Et tout même l'Ile Saint-Louis n'était pour elle qu'un voyage Elle parlait d'ailleurs Toujours d'ailleurs Je rêvais l'écoutant Comme à la mer un coquillage Une femme c'est un portrait dont l'univers est le lointain À Paris nous changions de quartier comme on change de chemise De la femme vient la lumière Et le soir comme le matin Autour d'elle tout s'organise Une femme c'est une porte qui s'ouvre sur l'inconnu Une femme cela vous envahit comme chante une source Une femme toujours c'est comme le triomphe des pieds nus L'éclair qu'on rejoint à la course Ali l'ignorant que je faisais Où donc avais-je avant les yeux On quitte tout pour une femme et tout prend une autre envergure Tout s'harmonise avec sa voix La femme c'est le Merveilleux Tout à ses pas se transfigure Et je m'amusais tout d'abord Crépusculaires Ophélies Aventuriers au teint brûlé comme des châteaux en Espagne Gens en disponibilité Charlatans de Gallipoli De ce monde qui l'accompagne Qui est l'actrice aux yeux d'iris lourde et blonde comme un bouquet Il y a dans la perspective un ballet d'ombres qu'on devine Jaloux des pages florentins pâle s'exerce au bilboquet L'Arlequin du Pont de Brooklyn Et cette dame d'organdi comme une figure de proue Qui tuera son mari le joueur de polo dans une gare De grands diables décolorés Chiliens bleus Écossais roux Couverts de cendre de cigare La négresse irlandaise a soudain pour moi des airs de Manet Sans doute est-elle comme moi lasse d'écouter leurs fadaises Elle ne se sert que des mots qu'on connaît Tou'U miss me Honey Un de ces jours Some of thèse days Cette vie insensiblement chante pour nous les yeux fermés Parler parler boire et danser tant que la nuit le jour l'épouse Il y a toujours quelqu'un là pour qui le temps file en fumée Sur le rythme et l'accent d'un blues Essayons de retrouver le grand air Mets tes doigts dans les miens Gilles Pierrot la coterie oublions un peu leurs visages Par-delà les vagues frondaisons de Watteau Veux-tu bien Nous perdre au cour du paysage Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose Cousent le printemps au-dessus des toits Où leur vol léger en passant se pose Aux créneaux neiges que les vents nettoient La Tour des Harengs de l'hiver se lave Maisons à l'envers leur front mauve est pris Dans les lourdes eaux d'un rêve batave Que les bateaux gris lentement charrient Les bateliers blonds au bleu de leur pipe Ont les yeux noyés par l'Indonésie Tandis que les marchandes de tulipes Pour les étrangers déjà s'égosient Ce calme c'est le calme du commerce Ce silence est fait de soie et d'étain Les grands bassins de mât en mât y bercent Le soir safran qui sur les quais déteint Le jour déclinant les digues cyclables Dans un Ruisdael sombre aux rouges falots Portent de la ville au loin par les sables Le pédalement de mille vélos Mais dans l'échoppe est assise une dame Comme un bijou qui dort en son écrin Car c'est ici le ghetto d'Amsterdam Où des bras blancs entourent les marins On dit amour pour nommer cette chose Qui peut durer juste le temps qu'il faut Petit palais de la métempsychose Pour avoir l'oil rond comme l'ont là-haut Les martins-pêcheurs au ciel jaune et rose Quand je me retourne en arrière il me semble que ces jours sont Casinos blancs cieux aveuglants dans le soleil intarissable Dunes de Dieppe ou Biarritz blessures de sel et de sable Un seul et torride juillet poudré d'or et taché de son Je vois un jardin dévasté par la lumière et la paresse Je ne suis pas autrement sûr que sa rocaille ait existé Il se peut que ce n'ait été qu'une illusion de l'été Une simple soif d'autre chose Une rose de sécheresse Pourquoi dans un couple d'amants un tel amas de solitude C'est une brume qui se lève et sépare le monde en deux C'est comme un besoin de s'enfuir un peu moins des autres que d'eux Le plein midi d'aimer mortellement porte sa lassitude Le plein midi d'aimer mon cher des mots comme ceux-là font rire Suis dans les champs coupés de murs le lézard et le scarabée Et surtout ne t'en reviens pas vers elle avant vêpres tombées Il y a des fleurs qui le soir seulement daignent s'entrouvrir Je vois ce temps qui fait long feu comme un pauvre enfant qui mendie Je vois des villes de poussière avec leurs arbres sans couleur Je confonds le sud et le nord dans le vent et dans la chaleur Je confonds la haine et l'amour la Provence et la Normandie J'écoute le silence du temps dans les villégiatures Un chien fuit sans demander son reste et boite dans le sentier J'entends le bruit d'une voiture au loin dans un autre quartier Puis tout reprend cette tremblante immobilité des peintures J'attends j'attends la nuit comme une bénédiction de Dieu Et dans la paume de mes mains je sens brûler ce qui me touche Pour que le tableau soit complet il y manque encore les mouches Et le dégoût et la fatigue et les pavillons de banlieue |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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