Louis Aragon |
Lieux sans visage que le vent 0 ma jeunesse rue de Vanves Passants passés Printemps d'avant Vous me revenez bien souvent Quartier pauvre où je me promène Reconnais celui qui t'aima La sonnette du cinéma S'entendait avenue du Maine Très tôt tes maisons s'aveuglaient Je m'enfonçais dans tes façades Les affiches des palissades Avaient des loques et des plaies J'arrivais au chemin de fer Qui bordait la ville et la vie Au fossé tant de fois suivi Sans savoir vraiment pour quoi faire Les trains n'y passaient presque plus C'était un lieu d'herbe et de flâne Où dans l'ortie et le pas d'âne Des papiers ornaient les talus Les amants guère n'y séjournent Aujourd'hui plus qu'en ce temps-là Comme alors j'en suis vite las Et dans la rue Didot je tourne Je vivais la plupart du temps Dans un hôpital fantastique Où l'obscénité des cantiques Oubliait la mort en chantant Les carabins c'est leur manière Ils n'ont pas le cadavre exquis Je n'y jouais qu'avec ceux qui Leur succédaient dans ma tanière Car comme on change de veston A vêpres la lueur des lampes Pour des visiteurs d'autre trempe Inaugurait un autre ton Qui s'en souvient Tous des pareils L'air m'échappe à vous la chanson O mes amis perdus ce sont Choses qui sortent par l'oreille Plusieurs sont morts plusieurs vivants On n'a pas tous les mêmes cartes Avant l'autre il faut que je parte Eux sortis je restais rêvant Décor de la salle de garde Le soir était sombre à Broussais Et dans son faux jardin dansait La nuit solitaire et hagarde Jeune homme qu'est-ce que tu crains Tu vieilliras vaille que vaille Disait l'ombre sur la muraille Peinte par un Breughel forain Tout le monde n'est pas Cézanne Nous nous contenterons de peu L'on pleure et l'on rit comme on peut Dans cet univers de tisanes On veille on pense à tout à rien On écrit des vers de la prose On doit trafiquer quelque chose En attendant le jour qui vient On sonne II faut bien que j'y aille Tout ce sang Qu'est-ce qu'il y a Cest sous le pont d'Alésia Que l'on a fait ce beau travail Dix jeunes hommes tailladés Le front la nuque les épaules Tous récitent le même rôle A quoi bon rien leur demander Il est donc des filles si douces Que seulement pour y toucher Ce ne semble plus un péché Messieurs de vous égorger tous J'ai peu dormi rêvé beaucoup Était-il tôt Était-il tard Je me tournais sur mon brancard Tâtant les muscles de mon cou Ça fait-il mal quand on les tranche En tout cas c'est bizarre après Ça pend tout autour On croirait Du vulgaire corail en branche Sommeil qui me frappe massue Tu fais nos yeux noirs pour l'éclipsé Les sabots d'une apocalypse Au galop me passent dessus La lune éteint son anémone Sur le seuil béant du néant Et dans un branle de géants Les démons baisent les démones Je ne vois plus la lampe bleue Dans les pavillons de morphine Où la mort entre ses mains fines Prend ses amants tuberculeux Les doigts sur le linge s'agitent À l'approche de pas feutrés II sort d'un petit front muré Le doux cri sourd des méningites Brouillard brouillard de l'infini Ça sent l'iode et la gangrène Sur les lits de fer où s'égrènent Les courts sanglots de l'agonie Le satin de l'homme se lustre Et pâlit et pareillement Se ferment au dernier moment Les yeux sans nom les yeux illustres La brume quand point le matin Retire aux vitres son haleine Il en fut ainsi quand Verlaine Ici doucement s'est éteint Qu'est-ce à la fin que l'être emporte Dans la fixité de ses yeux Qu'y reste-t-il qui fut les cieux Avec lui quelle étoile avorte Il est là pâle sur son dos Ses mains ont froissé les draps jaunes Et dans le parc noir le vieux faune N'entend plus jouer les jets d'eau Ni le bruit que fait sur le marbre L'éventail tombé d'une main La bouche qui dit À demain Ni les pas fuyants sous les arbres Comme un dérisoire secret Comme un rythme impair de mandore Le voilà pour de bon qui dort Sous le faux ciel d'or de Lancret O fontaine à mi-voix qui pleure Le voilà ce cour sous la pluie Nul ici-bas n'est plus que lui Dénué lorsque sonne l'heure Et qu'on le porte dans un trou L'égal enfin de tout le monde 11 verra que la mort est ronde Où l'on repose n'importe où Ce Lélian du bout du compte Nous on lui préférait Rimbaud Comme la grand'route au tombeau Le ricanement à la honte Ceux qui font métier d'être bons C'est la honte qui les arrange Ils donnent une robe à l'ange Une cellule au vagabond Les gens les gens Dieu les emmerde Naître qui me le demanda C'était l'époque de Dada Qu'importe que l'on gagne ou perde Renverse ta vie ei ton vin Tout nous paraissait ridicule A nous sans soleil ni calculs Enfants damnés des années vingt Nous étions comme un rire amer Au seuil de ce siècle sans voix O mes compagnons je vous vois Et vos bouteilles à la mer Peut-être étions-nous un naufrage Peut-être étions-nous des noyés L'avenir a ses envoyés Dont l'épaule est faite à l'outrage Un jour ou l'autre nous serons Le lys sur ceux qui nous marquèrent Et vos certitudes précaires Rouleront comme des marrons De Montparnasse vers Plaisance Ou la Porte de Châtillon La réponse et la question Semblant une égale Byzance Ce que vous avez jamais cru Déjà décroît comme un faubourg Dans un bruit lointain de tambours On a changé le nom des rues L'histoire a passé dans son van Votre grain songes décevants Et voici que dorénavant Il n'y a plus de rue de Vanves |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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