Louis-Ferdinand Destouches |
Un chef-d'ouvre Voyage au bout de la nuit ? Robert Denoël en était persuadé. Un best-seller ? Il l'espérait. Un grand prix littéraire ? Ce n'était pas impossible. Bernard Grasset le pionnier l'avait enseigné dès la fin de la guerre à la profession éditoriale : la sortie d'un roman, cela s'organisait ; un livre c'était aussi un produit qu'il fallait promouvoir à coups de campagnes de presse et de publicité, avec un bluff inouï concernant les tirages annoncés, avec une dynamique commerciale adaptée à la clientèle que l'on voulait viser. Le lancement de Maria Chapdelaine de Louis Hémon en 1921 et du Diable au corps de Radiguet, deux ans plus tard, était resté dans toutes les mémoires. Hélas ! Robert Denoël manquait des capitaux nécessaires pour envisager un battage tonitruant autour de sa dernière découverte. Il rassembla toutefois ses énergies, sa force de persuasion et gonfla au maximum le budget publicitaire et promotionnel dont il pouvait disposer pour alerter la profession, les chroniqueurs littéraires et les lecteurs. Déjà, le prière d'insérer du Voyage était sans équivoque : « Un livre promis à un retentissement exceptionnel. L'auteur débute en pleine maturité après une expérience de vie extrêmement riche et diverse. » Le livre : « Roman impossible à classer, difficile à définir à cause de son originalité. L'auteur tend à créer une image très fidèle de l'homme des villes, avec tout ce que ce terme suggère de complexe, d'abondant, de contradictoire. « Il a réussi le tour de force de transporter le parler populaire le plus dru et le plus vert dans le langage écrit, Il en résulte un livre d'une lecture aisée, d'un pittoresque prodigieux. « Il ne faudrait pas se méprendre au ton du Voyage au bout de la nuit et tenir ce livre souvent satirique jusqu'à la férocité pour un pamphlet. L'auteur conte de la manière la plus humble et la plus candide : les esprits non prévenus devront s'incliner devant la fidélité de son témoignage. « Son public : « Les médecins que l'auteur attaque avec une particulière violence, les universitaires, les lettrés1. » Les communiqués de presse, les premières annonces publicitaires pour accompagner la mise en vente du livre, tendaient aussi à mettre l'accent sur la nouveauté provocante de l'ouvrage. Comme s'ils voulaient répondre à un scandale qui n'existait pas encore. Comme s'ils voulaient plus secrètement le créer pour favoriser sa vente. i « Une ouvre taillée dans le vivant. Une ouvre énorme par la masse et par la résonance, délirante et objective, invraisemblable mais imprégnée de vérité. Une ouvre truculente, cruelle, où l'abject et le plus tendre se suivent, atroce dans l'amertume, exquise dans la douceur "villonesque". » Ainsi débutait l'annonce du Voyage dans le numéro de la Nouvelle Revue française du 1er novembre 1932. . > Dans Gringoire du 21 octobre était paru le placard publicitaire suivant : « Vous aimerez ce livre ou vous le haïrez. Il ne vous laissera pas indifférent. » Et dans les Nouvelles littéraires, le lendemain : « Une ouvre cruelle mais si vraie, d'un accent si pleinement douloureux et si truculent à la fois, qu'elle s'imposera, sans délai, en dépit des révoltes. » Robert Denoël, qui se démenait comme un diable, n'oubliait pas non plus que la carrière, la réputation d'un livre s'établissent, avant toute autre preuve, sur le bouche à oreille, et que, pour le créer ce mouvement, il faut au départ, si l'on ose dire, de nombreuses oreilles pour recueillir les propos d'une seule bouche, la sienne. Il multiplia en conséquence les visites et les rencontres avec les échotiers et les courriéristes. Il écrivit en personne à des dizaines de journalistes. Mieux encore, afin d'alerter et de flatter les écrivains les plus influents, en particulier les jurés de l'académie Goncourt, il eut l'idée de tirer des exemplaires nominatifs, hors commerce, à leur intention. Et Céline ? Robert Denoël pouvait craindre que son auteur rebelle, à l'abri de son pseudonyme, refusât de jouer le jeu, préférant se réfugier dans une solitude attentive, inquiète ou sarcastique. Les flatteries, les compromissions, le jeu mondain et respectueux du jeune auteur plongé pour la première fois dans l'arène littéraire et qui doit solliciter l'attention des confrères et des chroniqueurs littéraires sans l'aide de qui il ne se fera pas connaître, tout cela était-il bien compatible avec la personnalité de l'auteur du Voyage ? Eh bien, à l'expérience, oui, c'était compatible ! Et l'on parie que l'éditeur en fut agréablement surpris. Certes Céline jurait ses grands dieux que cette cuisine lui était indifférente. Il n'empêche. Sous une affectation de bougonnerie et de cynisme, l'auteur accepta de se plier aux contraintes publicitaires et sociales de son nouveau rôle. Et il le fit avec curiosité, docilité et sérieux. N'hésitant pas à en rajouter même dans le cynisme devant Robert Denoël, comme pour sauver la face, préserver son rôle d'anarchiste irréductible qui n'est dupe de rien. Ainsi cette lettre à l'éditeur, du 2 septembre 1932 : « ... Dites-moi combien je peux vous demander de : Imprimé pour M.X... dont vous m'avez aimablement parlé. J'ai grande envie d'amadouer quelques patrons par cet hommage ...tionnel mot illisible. On n'est jamais assez plat2. » On n'est jamais asez plat en effet. Quelques dédicaces de l'auteur du Voyage nous sont connues. Elles témoignent d'une modeste déférence pour le moins inhabituelle chez lui. Faut-il y voir, contre toute raison, une forme d'ironie supérieure ? Ainsi donc : « A M. Jean Ajalbert qui nous donne le courage », ou bien : « A Gaston Chérau dont nous avons essayé de comprendre la leçon, très respectueux hommage » (les deux hommes étaient membres de l'académie GoncourT). A l'intention d'Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du Matin, il écrivait : « A l'auteur de l'admirable Mirabeau, sincère hommage. » Plus désinvolte et nonchalant reste évidemment l'envoi à André Maurois :« Il pleut, il vente, il fait un temps. Sincère hommage3. » Croyait-il vraiment, Céline, qu'il avait des chances de décrocher le Goncourt ? Il n'en savait rien bien sûr mais il écoutait son éditeur et pouvait se bercer d'espérance. Quitte à se battre aussi pour mettre tous les atouts de son côté. A un correspondant anonyme, il expliquait, à la fin de l'été 1932 : « Je saute à travers Paris à la chasse à mes corrections d'imprimerie !... J'espère que tu as bien préparé notre affaire Goncourt pour autant que ces choses soient influençables4... » Mais comment « influencer » précisément ? A la demande de Robert Denoël, il écrivit le 31 octobre à Lucien Descaves qui pouvait être son plus fidèle défenseur au jury Goncourt. Sur un papier à en-tête du dispensaire de Clichy, il se présenta à lui, modestement, mettant en avant son activité de médecin d'un dispensaire de banlieue et sa médaille militaire. A la suite de cette lettre, Descaves le rencontra le 2 novembre et lui promit sa voix. Les deux hommes devaient du reste se revoir à plusieurs reprises avant la remise du prix le 7 décembre. Robert Denoël arrangea encore une rencontre avec Léon Daudet, avant cette date. Pour accompagner et aider la sortie du livre, l'éditeur suggéra aussi la publication de « bonnes feuilles » du Voyage dans des revues comme les Cahiers du Sud, Europe et Monde. En ce mois d'octobre 1932, une douzaine de périodiques parisiens au total reproduisirent des extraits du roman. Restait à attendre désormais l'accueil du public et de la presse. La Bibliographie de la France, dans son numéro du 14 octobre, annonça la mise en vente officielle du volume pour le 20 octobre. Mais de nombreux exemplaires circulaient déjà. La première mention du livre dans la presse est du 17 octobre dans Comoedia... A la page « du même auteur » figurait la mention : « Tout doucement... (En préparatioN). » Ce titre fantôme, furtif, fait sourire. Céline ne songeait guère, pour l'instant, à un nouveau livre. Ou alors... tout doucement ! Envisageait-il de raconter ses aventures londoniennes laissées pour compte dans le Voyage ? Ou bien songeait-il déjà à ce qui allait devenir Mort à crédit ? Très vraisemblablement, Céline attendait de voir ce qu'il adviendrait de son premier roman. 11 restait sur le qui-vive. Inquiet, attentif, incrédule. Il explorait pour l'instant un nouveau monde, un nouveau milieu. Cela suffisait. Pour commencer, Robert Denoël avait procédé à un tirage assez modeste : 3 000 exemplaires. Le succès public du Voyage, il l'espérait certes mais il n'en était pas sûr. Encore moins du prix Goncourt. 3 000 exemplaires, c'était le tirage minimum. Pour voir venir. Et de fait, durant près de deux mois, il ne vit pas venir grand-chose, du moins commercialement parlant. Si bien qu'il pouvait écrire, le 21 novembre 1933, à un correspondant : « L'année dernière, avant le prix Goncourt, nous avions fait un gros effort publicitaire sur le Voyage au bout de la nuit sans aucun résultat appréciable. Ce n'est que le scandale créé autour du prix Goncourt qui a déclenché la vente du livre qui aurait très bien pu sans cela faire une carrière de 2 000 à 3 000 exemplaires5. » En revanche, l'accueil critique fut tout de suite remarquable. Les prises de position contradictoires s'enchaînèrent sans tarder. Voyage au bout de la nuit devint, comme on dit aujourd'hui, un événement médiatique. Mais faut-il le rappeler, les médias ne jouaient pas un rôle déterminant en ces années sans télévision, où la radio ne tenait aucun rôle culturel. La presse contribuait seule à l'animation du microcosme littéraire, d'un journal à l'autre, rien de plus. Ce qui frappe en premier lieu, c'est le désarroi des journalistes, des lecteurs, des écrivains. Comment se repérer face à un texte inclassable, quel point de vue adopter devant tant de nouveauté provocante, sur quelles règles s'appuyer pour formuler un jugement sur un roman littéralement inattendu ? Ce désarroi, un homme l'a avoué avec une exceptionnelle franchise : Robert Poulet. Denoël avait insisté pour lui faire lire les épreuves du Voyage. Poulet se méfiait, il n'avait pas trop envie de sacrifier une soirée à suivre les élucubrations d'un débutant. Très vite, il fut abasourdi. Le frappèrent surtout les vertus hilarantes du livre ! « Je croyais lire les facéties d'un Courteline terrassier, qui faisait successivement aux quatre coins du globe l'épreuve de l'inconsistance et de l'extravagance humaine. (...) « Ma surprise et mon admiration, qui étaient grandes, portaient sur la naissance d'une nouvelle espèce de comique, assez pareil à celui de Chariot, et où je subodorais quelque artifice, d'ailleurs légitime et efficace. Cet avis ne déçut pas seulement Denoël : je le vis en colère. « A la fin, il me dit d'une voix sèche que je n'apercevais pas l'essentiel. Nous avions, avec l'auteur du Voyage, l'équivalent de Dante et Shakespeare mis ensemble, plus un bon morceau de Cervantes. (...) « Ainsi parla Robert Denoël. L'accent était un peu péremptoire à mon gré, je restai sur mes positions, et même je les durcis. J'avais tort6. » Lucien Rebatet, qui collaborait alors à l'Action française, a raconté de son côté le choc que fut pour lui la découverte du Voyage, un après-midi d'automne, sur le boulevard des Italiens : des heures de lecture passionnée, sur un banc, face à la librairie Flammarion où il venait d'acheter le volume. Mais, ajoute-t-il, « je mentirais en assurant que dès ce jour, quelle que fût ma délectation, je reçus la certitude, acquise plus tard, que Céline était depuis Proust le plus grand événement de la littérature française. Je me permis même, une fois le livre achevé, d'y déceler des longueurs7 ». Et de remarquer que ni Montherlant, ni Bernanos, ni Claudel, ni Giraudoux, ni Jules Romains, ni Mauriac, les maîtres et les ténors de l'époque, ne lui manifestèrent alors aucune attention officielle. Dans le cas de Bernanos, Rebatet se trompait : à la suite du sévère et long article d'André Rousseaux dans le Figaro du 10 décembre 1932, l'écrivain allait plaider la défense de Céline dans le même quotidien, trois jours plus tard (et il sera même l'un des seuls, avec Ramon Fernandez dans les Nouvelles littéraires du 10 décembre, à mettre l'accent sur l'écriture célinienne, non pas un simple langage populaire et parlé mais au contraire un « langage inouï, comble du naturel et de l'artifice »). Charles Maurras, de son côté, restait sceptique devant l'enthousiasme de son collaborateur Léon Daudet, manifesté entre autres par le fameux article de Candide du 22 décembre, où Daudet imposait le premier la référence à Rabelais, la comparaison de Bardamu et de Panurge. Et Maurras disait à Rebatet : « On nous a déjà fait ce coup pour Rollinat, pour Jehan Rictus. Croyez-moi, rien de plus saisonnier que ce genre de réputations8! » Et même un Robert Brasillach, qui trouvera plus tard en Céline l'allié de ses causes antisémites les plus forcenées, et dont on veut croire qu'il avait alors l'enthousiasme intrépide des jeunes gens passionnés de littérature, acharnés à trouver du nouveau, ne semble avoir accueilli Voyage au bout de la nuit qu'avec les plus extrêmes réserves. Il faut relire Notre Avant-guerre. D'évidence le brillant normalien nourri de littératures classiques n'avait rien de commun avec l'enfant du passage Choiseul, l'autodidacte de la littérature, l'ancien combattant saoulé par la misère du monde. En littérature, Brasillach cherchait. Céline trouvait. Le premier ne pouvait définir le Voyage que comme « une sorte d'épopée de la catastrophe et de l'injure » à ranger avec dédain au rayon des romans-fleuves près de Jacques de Lacretelle. A analyser les premières réactions de presse, on se rend compte aussi très vite qu'aucun clivage déterminant entre une sensibilité de droite et une sensibilité de gauche ne permet de classer les opinions recueillies sur le Voyage. Le livre trouve des défenseurs et des adversaires au sein des mêmes rédactions. Si bien qu'un second article, voire un troisième, permet de corriger le point de vue critique de tel ou tel organe de presse. On ne saurait mieux illustrer l'ambiguïté du livre, son impossibilité à en faire le porte-drapeau d'un parti, d'une faction ou d'une classe. i De gauche le Voyage ? Pourquoi pas ? Les anarchistes, les anticolonialistes, les antimilitaristes s'enflammèrent aussitôt. « Un révolté ? Mieux : un réfrac-taire. Réfractaire aux lois criminelles, aux billevesées et sornettes patriotiques, sociales et sentimentales », écrit donc Faunique dans le Cri du jour du 26 novembre 1932. Et Pierre Seize dans le Canard enchaîné du 14 décembre : « Nous le lisons et nous l'aimons tout de suite. Nous ? C'est-à-dire tous ceux qui ont gardé quelque rage au ventre, quelque fiel dans le cour. Nous qui n'acceptons ni le monde comme il va, ni la société où nous sommes, ni les hommes tels qu'ils sont. » Les propos du Libertaire, le 30 décembre, sont dénués eux aussi de toute équivoque : « Comment ne pas sympathiser, nous anarchistes, avec cet homme, éternel insatisfait, avec (...) son insoumission totale à la guerre et à ses horreurs, à la vieille société bourgeoise profondément pourrie, à son besoin de dominer les malheureux... » Mais l'individualisme résolu de Céline est-il de gauche ? Mais l'absence de toute éclaircie sociale, de tout espoir mobilisateur, est-elle de gauche ? L'Humanité reste perplexe, où Jean Fréville écrit, le 19 décembre : « Il [Céline] condamne sans appel la classe dominante et pourrissante, mais la conclusion manque à son apocalypse. (...) Il ne voit pas le prolétariat, force neuve, classe révolutionnaire qui saisira des mains défaillantes de la bourgeoisie le flambeau de la civilisation (...). Tout ce qui fait battre nos cours (...), Céline y demeure étranger. (...) Céline n'aboutit qu'à une philosophie d'abdication, de désolation sans issue. » Plus sévères encore sont les socialistes. Dans le Populaire de Paris, le 8 décembre, J.B. Séverac signe ces propos significatifs :i« Confessions cyniques et gouailleuses d'un homme sans courage ni noblesse. (...) Rien ne trouve grâce devant son impitoyable penchant à ne montrer que le côté vil des hommes (lui-même y compriS). Il excelle à tout diminuer, on serait tenté de dire : à tout salir. Avouons qu'il y réussit9. » i Plus difficile encore d'admettre l'existence d'un Céline de droite. Rien de moins conservateur que ce livre qui torpille la langue française académique et le subjonctif, la décence bourgeoise, la quiétude des nantis et toutes les valeurs - la religion, la morale et le reste - sur lesquelles ils s'appuyaient. D'où la grande peur des bien-pensants, pour reprendre un titre bernanosien, face à Voyage au bout de la nuit, la peur et donc la condamnation que manifeste André Rousseaux dans le Figaro du 5 décembre (« le fond de l'anarchie est toujours le même, et le mépris de la parole intelligible est un effet de la dislocation de l'être humain poussée à son extrémité »), que confirme dans ces mêmes colonnes, le 3 janvier 1933, l'article d'Henri de Régnier, que révèle encore le critique André Thérive dans le Temps du 24 novembre où il s'indigne à son tour de tant de grossièretés et d'obscénités. Qui pouvait aimer Céline en définitive ? Son désespoir, ses ricanements, sa tendresse maquillée sous une immense colère, sa solitude aussi l'éloignaient de tous les partis, de toutes les écoles et, plus encore, de toute civilisation. On pense à cette phrase d'Alberto Savinio : « La civilisation est un jeu, une distraction, la façon la plus efficace que nous ayons d'éloigner de notre esprit la pensée de la mort. » Eh bien, d'évidence Céline ne jouait pas, ramenait tout à l'idée de la mort, cette seule et inconsolable certitude. Céline n'était pas civilisé. Qui pouvait aimer Céline ? Peut-être des solitaires qui n'étaient pas civilisés eux non plus, des « gens sans importance collective », des anarchistes de droite ou de gauche comme on voudra. Ou encore des stylistes particulièrement perspicaces, des désespérés, des êtres tendres ou des dynamiteurs, des esthètes, des fous de littérature, des complices occasionnels. Quelqu'un comme Léon Daudet par exemple, si peu fils de son père, médecin inaccompli, pamphlétaire génial, érudit hors du commun, anti-dreyfusard pathologique, antisémite aberrant, nationaliste sans merci, animateur de l'Action française : héritier spirituel de Léon Bloy, « ardent jusqu'à la brutalité, passionné jusqu'à la fureur, inquiet aussi jusqu'à la souffrance », pour reprendre la définition d'Octave Mirbeau. Ou comme Bernanos encore une fois, expert en souffrances, prosateur flamboyant, familier du diable et de ses ouvres. Ou comme Thibaudet l'érudit, le classique, le sensible, qui, malgré ses réserves, avait fort bien compris (dans la Dépêche de Toulouse du 24 janvier 1933) que Céline « rend littéraire quelque chose qui ne l'était pas avant lui... » Revenons à l'écrivain, à l'homme. Très vite après la sortie de son livre, son pseudonyme cessa de le protéger. Son identité fut percée. Le docteur Destouches se croyait à l'abri, exerçant tranquillement à Clichy, travaillant le matin chez Gallier ou à La Biothérapie, observant avec une incrédulité narquoise la tempête que soulevait peu à peu son roman. U se trompait. Il dut monter en première ligne, affronter les projecteurs ou les stylos des reporters. En était-il si mécontent après tout, lui qui avait d'abord rêvé de théâtre ? Le 10 novembre, un mois à peine après la sortie du volume, Paris-Soir publia la première interview de l'auteur, par Pierre-Jean Launay. Un article assez court où Céline semble plus soucieux de composer un personnage que de répondre sincèrement. « Qu'importe mon livre ? Ce n'est pas de la littérature », affirme-t-il. Tiens donc ! Il se dit encore obsédé par la misère humaine, ce qui est bien là en revanche une constante de la sincérité célinienne. Et pour conclure : « Laissez-moi dans l'ombre. Ma mère même ne sait pas que j'ai écrit ce livre, ça ne se fait pas dans la famille. » Vou très partiellement sincère sans doute. Vou pieux. Le 13 novembre, le Matin révélait sa véritable identité. Quelques jours plus tard allait commencer l'affaire Goncourt. On ne parlerait bientôt plus que du Voyage et de son auteur, dans le remous des polémiques, des invectives et des procès. |
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Louis-Ferdinand Destouches (1894 - 1961) |
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