Louis-Ferdinand Destouches |
Libéré, Céline retrouva donc Lucette dans le petit logement sous les toits du 8, Kronprincessegade où il allait séjourner pendant près de onze mois, jusqu'au 19 mai 1948 - une soupente trop chaude durant les interminables journées d'été et glaciale quand venaient les hivers sans fin. Mais pour eux qui s'étaient habitués depuis leur départ précipité de Paris en juin 1944 à vivre au jour le jour, en survie, en sursis, c'était un indicible soulagement. Lucette put reprendre d'un cour presque léger ses leçons plus ou moins clandestines de danse et son entraînement auprès de Birger Bartholin. Avant de regagner leur domicile, elle n'hésitait pas à faire un détour par les saunas ou les bains publics si précieux pour pallier l'absence quasi totale de confort chez eux. Louis, de son côté, ne sortait guère. Ou alors pour une brève promenade avec Lucette et Bébert tenu en laisse, dans le parc voisin. Il préférait s'enfermer. Se couper du monde, de ses cris, de ses menaces. S'isoler dans ses névralgies sans cesse plus taraudantes, ses rancours, sa colère d'écrivain, sa mémoire défaillante corrigée par un délire toujours plus vigoureux. Son livre en chantier, c'était encore Féerie pour une autrefois commencé en prison et qu'il poursuivit sans doute plus facilement, maintenant qu'il avait échappé aux cellules de la Vestre Faengsel, qu'il bénéficiait de ce minimum de distance pour organiser et transposer son expérience de détenu, de Parisien grisé par le vertige de la nostalgie, inconsolable de Montmartre, de Breton renvoyé aussi aux derniers étés heureux de Saint-Malo... Il avait vécu trois années d'isolement total. Sa seule chance d'échapper aux rigueurs de l'Épuration tenait précisément à son anonymat. Désormais, il pouvait recommencer à se manifester. Pourtant, Thorvald Mikkelsen et Albert Naud ne tenaient pas cela pour très souhaitable. Ils se méfiaient à juste titre des foucades, des provocations de leur client qui avait intérêt à se faire oublier ou du moins ne pas trop élever la voix, ne pas trop accorder d'interviews, ne pas trop s'abandonner à ses colères. Et Céline qui avait reçu, à sa sortie d'hôpital, une carte d'alimentation et qui dut réclamer par la suite des bons d'achat pour s'acheter une paire de chaussures et d'autres objets de consommation aussi élémentaires et encore rationnés, se le tint à peu près pour dit. Sa première interview au Danemark, qui parut le 29 juin 1947 dans France-Dimanche, ne contenait guère d'éléments violents. Un Céline plaintif, patriote s'y manifestait, un Céline disposé même à s'engager dans les forces expéditionnaires françaises en Indochine(L), qui se définissait comme le plus malheureux et le plus calomnié des Français et qui en était réduit à vivre de la charité danoise1. , Le 1er août, il écrivit une lettre au journal Combat qui, dans son numéro du 11 juillet, avait reproduit de larges extraits d'un article des Izvestia qui voyait dans la réédition aux États-Unis de Mort à crédit la preuve de la décadence de l'art occidental bourgeois. Entre autres aménités, l'article traitait Céline de nullité littéraire puis de criminel fasciste et rapprochait Céline de ces autres décadents: Henry Miller, Jean Genêt, sans parler du nouvel intérêt porté au marquis de Sade/.. Céline eut beau jeu, évidemment, de rappeler au journaliste soviétique que Voyage au bout de la nuit avait d'abord été lancé par Georges Altman dans le Monde communiste de Barbusse, et qu'il avait été traduit d'office en Russie. De préciser aussi, en forçant un petit peu la note, que ses romans avaient été interdits en Allemagne après l'avènement d'Hitler. « De telles crétineries découragent la polémique, on comprend que la parole soit de plus en plus à la bombe, à la mine, au déluge2 ! » Devant Robert Massin (ce même Robert Massin qui perdra bientôt son prénom pour devenir, sous le seul vocable de Massin, l'un des plus grands graphistes de l'édition française de l'après-guerrE) venu l'interviewer pour le périodique la Rue en novembre 1947, Céline ne fut guère plus prolixe. Toujours des plaintes, un discours de persécuté. Pourquoi Guitry ou Montherlant s'en étaient-ils tirés si facilement, et lui pas? « Des éditeurs américains m'ont fait des propositions. Ils m'emmerdent. Je veux me faire imprimer en français. Si je travaille? Heureusement: je n'ai que ça à faire. » Et un peu plus tard, Céline, après un silence, laissa tomber ces mots: « Je suis un con3. » Comme un regret, comme un remords, le sentiment peut-être d'avoir été la dupe de l'Histoire, le miteux, le gogo de la Collaboration. Dernier entretien de cette époque enfin, celui publié par l'hebdomadaire à sensation Samedi-Soir créé au lendemain de la Libération et qui tirait à environ 400 000 exemplaires, dans son numéro du 22 novembre 1947. Un entretien assez cocasse du reste et qui n'eut pour ainsi dire pas lieu. Mikkelsen avait dû déconseiller in extremis à Céline de recevoir l'envoyé spécial du journal. Après lui avoir fixé un rendez-vous à son domicile, Céline refusa donc de lui ouvrir sa porte. Ils parlementèrent une heure et demie de chaque côté de la cloison. Céline semblait se contenir pour ne pas laisser éclater sa colère. Et le journaliste, Jacques Robert, parvint tout de même à nouer avec lui une sorte de dialogue laconique, funambulesque, lunaire, sans jamais réussir à le voir. « - Est-ce que vous sortez quelquefois, Céline? - Non, jamais. - Vous n'allez pas au restaurant? - Vous êtes fou? Avec quel argent? - Vous écrivez? - Oui, bien sûr. - Un roman ? - Oui. Féerie pour une autrefois. - Le sujet? - Atroce. Une petite Apocalypse à l'usage de notre humanité démente. - Les juifs, Céline? - Taisez-vous! - Non, je veux savoir. - C'est fini, c'est dépassé. Plus jamais je ne parlerai des juifs. D'ailleurs, les catastrophes qui se préparent dans le monde font que ces petites questions aryennes sont complètement dépassées4. » Plus réconfortantes étaient bien entendu pour Céline les lettres qu'il continuait d'adresser à ses amis de France, à Descaves, Daragnès, Marie Canavag-gia, Albert Paraz. Ce dernier avait pris contact avec Jean Paulhan qui avait accepté le principe de publier un texte de Céline dans les Cahiers de la Pléiade, pour contribuer à briser la conspiration du silence qui pesait en France sur l'auteur du Voyage. Réconfortantes aussi les amitiés qu'il noua en cet automne 1947 à Copenhague avec Denise Thomassen et le pasteur François Lôchen. La première était une jeune compatriote qui avait épousé un Danois et venait d'ouvrir une librairie française au centre de la ville. Elle voulut rendre visite à Céline. Une inconnue qui frappe un jour à sa porte... Il avait toutes les raisons de se méfier. Un piège, un truc de journaliste, une provocation policière ? Il hésita. Il était à cran, Céline, tout au bout de son délire - parfois si peu délirant - de la persécution. La jeune femme dut parlementer, s'expliquer. Il la laissa enfin entrer. Ils sympathisèrent. Ils prirent l'habitude de se voir souvent. Elle lui apportait des livres. Il pouvait lui parler en français. Une aubaine ! Quand il partira à Korsôr, il lui écrira, lui commandera des romans, engagera avec elle une correspondance amicale5. François Lôchen, de son côté, était le chef de l'Église réformée de France à Copenhague. Il avait été pasteur autrefois dans la banlieue ouest de Paris, à Sartrouville, Houilles et Bezons, là même où Céline avait été médecin municipal. Un jour, écrivit Lôchen, « un dimanche de l'automne 1947, un auditeur du culte que j'avais présidé à l'Église réformée française de Copenhague dont j'étais le conducteur spirituel, est venu à l'issue de la cérémonie, afin de se présenter: "Docteur Destouches, puis-je venir vous voir, Monsieur le Pasteur... ?" Et j'ai reçu non pas une, mais des visites de Céline... « Je n'oublierai jamais cette veille de Noël, dans l'antique presbytère français de Copenhague où nos deux ménages s'étaient réunis. Nous avions découvert que j'avais été pasteur dans la banlieue de Paris là où Céline lui-même se dépensait comme médecin. Je lui avais appris le décès de son infirmière dont j'avais présidé les obsèques. Dans un moment qui fut dramatique et bouleversant il sut nous dire avec sa sincérité et sa vigueur, comment il n'y avait aucune souffrance qui lui fût indifférente, et se révoltant à l'idée qu'il puisse y avoir jamais quelqu'un qui souhaite de souffrir "à autrui" sous prétexte que cela lui ferait du bien6. » Sans doute le pasteur Lôchen fait-il allusion, dans cette dernière phrase, à l'incident qui avait éclaté entre eux, quand Mme Lôchen avait eu la "malencontreuse idée de faire remarquer que c'était justice, après tout, si les collaborateurs avaient été envoyés en prison7. Mais les rapports entre les deux hommes furent dans l'ensemble sans nuage. Le pasteur Lôchen fit tout ce qu'il put pour aider Céline. Hélas! ses interventions auprès de l'ambassade et de Guy de Girard de Charbonnière se heurtèrent à un mur d'hostilité. Pis, l'ambassadeur de France exerça des - vaines - pressions pour faire rappeler en France le pasteur de l'Église réformée de Copenhague qui avait eu l'audace de vouloir secourir l'écrivain. La correspondance de Céline et de François Lôchen est bien émouvante. Il serait hasardeux de parler d'un retour de l'esprit religieux chez l'auteur du Voyage. Mais enfin, il n'était peut-être pas venu tout à fait innocemment dans cette église protestante, la première fois. Et il pouvait écrire à son pasteur: « Sans beaucoup de foi ni de vertus, je possède au moins quelque politesse et le goût vif de vous entendre. Au cours humain des épreuves, mon âme doit être au ciel déjà depuis longtemps ! Je n'ai plus besoin que de musique... Ne voyez en ces mots nulle impertinence8. » Son correspondant était prêt à lui fournir un secours matériel. Trop orgueilleux, Céline déclina cette offre. « Mon cher Pasteur, « Vous me voyez très touché par votre geste très cordial, très fraternel, et il me peine de ne rien accepter si gentiment offert, mais vous savez que les navires par tradition vaillants, n'acceptent le secours qu'à la très ultime détresse... Je n'en suis pas là - pas encore... Je vous ferai le signe, c'est entendu, et sans manière quand l'eau dépassera les ponts. Cela peut bien venir hélas9! » Et deux jours plus tard, il lui adressait ces lignes malicieusement mélancoliques : « Les prêtres ont au moins deux espèces de clients sur lesquels ils peuvent absolument compter, que personne ne leur dispute : les lépreux et les condamnés à mort. J'ai la bonne fortune spirituelle d'appartenir couçi-couça aux deux espèces... Trouvez donc normal que je ne vous quitte pas10. » Autre élément de réconfort, la visite en novembre 1947 de René Héron de Villefosse et de sa femme, vieux amis d'avant-guerre connus sur l'Enez-Glaz d'Henri Mahé amarré au bord de la Seine. Mikkelsen les avait rencontrés à Paris quelques mois plus tôt. Villefosse avait cru être invité là-bas par l'avocat. JJ s'embarqua gare du Nord, trente heures de train à travers des villes allemandes encore en ruine, des enfants en guenilles et un « miracle allemand » qui tardait toujours à naître. À Copenhague, une chambre les attendait à l'hôtel d'Angleterre, mais à leurs frais. Qu'importe ! René Héron de Villefosse se rendit plusieurs fois dans la mansarde de Céline qu'il jugea comme « assez négligée » avec « chaussettes sur la table et chemises au dos des meubles" ». « Un jour, Mikkelsen nous a emmenés tous les quatre à Elseneur. Un matin gris de novembre où la forêt danoise gardait encore ses feuilles d'or, son extraordinaire parure d'automne, somptueuse et mystérieuse, le décor qui inspira certainement Andersen. Ferdinand est resté dans la voiture quand nous avons visité des musées d'histoire, dans des châteaux sur la route. À Elseneur, il est descendu et nous a accompagnés sur la terrasse où dorment les vieux canons. Avec la brume un peu jaune sur les côtes de la Suède proches et lointaines, en face, les mouettes qui tournent en criant, le choc est angoissant. On regarde, on veut voir plus loin, on veut entendre en soi le mot clé. Céline, après un long regard, nous a dit de sa voix sourde : "C'est une mer à pêcher des âmes!..."12 » Cette fin d'année 1947 avait été marquée chez les Français par le prix Nobel de littérature attribué le 23 octobre à André Gide, chez les Anglais par le mariage princier d'Elizabeth et de son cousin Philip, duc d'Edimbourg, le 20 novembre, et, pour Céline, par la mort d'Albert Milon le 1er décembre - Milon le camarade de convalescence du Val-de-Grâce, le vieux complice un peu perdu de vue avec qui il avait si longtemps correspondu, qu'il avait voulu entraîner dans les plantations africaines en 1916, qui l'avait suivi en Bretagne pour le compte de la fondation Rockefeller et qui était l'un des piliers de cette jeunesse à laquelle Céline se référait souvent avec une tendre nostalgie... L'écrivain aimait rôder ainsi parmi les ombres, retrouver les amis d'autrefois. Durant l'hiver 1948, le ballet de l'Opéra de Paris en tournée s'arrêta à Copenhague. Céline se mêla plusieurs soirs de suite à la foule, observa les allées et venues des danseurs, près des loges et de l'entrée des artistes. À la fin, il aborda un membre de la troupe. Est-ce que Serge Perrault était parmi eux? Qu'était-il devenu? Il se souvenait de ce jeune danseur ami de Lucette, qu'il avait vu si souvent à Montmartre à la fin de l'Occupation, quand il fuyait le S.T.O. On lui répondit que Perrault avait quitté l'Opéra depuis un an et demi, qu'il avait rallié la troupe de Roland Petit. Il hocha la tête, déçu de ne pas le voir. D s'éloigna dans la solitude de son exil... Depuis sa sortie définitive de l'hôpital et de la prison, usé, vieilli prématurément, il avait pourtant retrouvé un certain goût de vivre, pas de doute. Il entendait désormais se battre. Avec une énergie qui n'était plus tout à fait celle du désespoir. Il avait bien conscience de sa force, de sa puissance d'écrivain et de pamphlétaire, pour lutter contre ses adversaires. Contre les hommes politiques par exemple qui s'acharnaient contre lui. Il en avait averti Albert Naud le 20 août 1947, dans une lettre fort savoureuse: « La nature m'a doté d'une petite plume assez atomique (compensation à tant de faiblesse !) je sens qu'elle commence à me gratter... les offres vous le pensez ne me manquent pas de vengeance... Il est périlleux de pousser à bout certains caractères. (...) Patriote je le suis - 100 fois comme tout le cabinet Ramadier, Bidault, Trou du cul et consort ! Traître pas plus et moins qu'aucun d'entre eux ! Et je le ferai savoir au monde entier si on continue à m'emmer-der. Personne ne lira un livre de Bidault - J'aurai 500 000 lecteurs en Amérique si je veux-Chacun à son rang - et autant en Russie et davantage - si je veux aussi - Voilà des petites choses à signaler. (...) Ils ont déjà l'affaire Brasillach sur les reins-s'ils veulent une plus énorme affaire Céline, libre à eux - moi je sais faire rire - Pas Bidault. Et jaune !13 » En novembre, Paraz lui signala le passage des Réflexions sur la question juive de Sartre, où Céline était nommément pris à partie, accusé d'avoir été acheté par les Allemands. Céline répondit à Paraz sur-le-champ : « Mon Vieux, « Bien merci pour les Temps Modernes que je reçois à l'instant. Je me jette sur Sartre. Vraiment l'individu est trop idiot, il décourage. Il ne comprend rien. Il est ignoble. C'est affreux. Il joue les La Bruyère... Quel cafouillis ! Quelle impuissance ! Chacal il est - mouchard Raté. Mais c'est un "chacal qui ne sait pas rire" qui ne peut pas rire. C'est l'atroce. Le chacal, bien abject, est intelligent, lui pas. D'où cette furie. Cette gesticulation absurde cette infirmité épileptoïde. (...) Il relève du coup de pied au cul de la trique. Je vais le torcher mais mon avocat ici me conseille d'attendre... de ne point animer la presse à mon sujet... que mon état ici est encore trop précaire14. » Précaire ou pas, Céline écrivit tout de même sans tarder les quelques pages de sa convulsive et délirante réponse à Sartre, sous le titre « À l'Agité du bocal », où il déversait sur sa victime des tombereaux scatologiques, le comparait à un « ténia des étrons », un croupion, un bousier, une petite fiente, une saloperie gavée de merde, une bourrique, un « Anus Caïn », une bourrique à lunettes, un faux têtard... Le Céline polémiste se mettait à resurgir ici, avec une frénésie désespérée et haletante. Et ce texte nous émeut parce qu'il nous parle de son auteur bien davantage que de Sartre, parce qu'il nous laisse deviner les accents d'une misère, d'une souffrance, le sentiment hurlant d'une injustice (non, il n'avait pas été payé par les Allemands !) qui seuls pouvaient lui arracher des cris tellement précipités, tellement excessifs, tellement morbides. « Ambiance par hoquets d'agonie, bruits de colique, sanglots, ferrailles... "Au secours!"...15 » Ce texte, il l'adressa à Jean Paulhan pour les Cahiers de la Pléiade. Les Américains avaient donc entre-temps réimprimé ses premiers romans. Fort bien ! Mais en France ? Poursuivi par un mandat d'arrêt, menacé de saisie sur tous ses biens, il ne pouvait envisager de recevoir à Paris le moindre droit d'auteur. Par ailleurs, il n'avait qu'une hâte : quitter à jamais la maison Denoël après l'assassinat de son directeur et ami. La situation de l'entreprise était du reste des plus confuse. Dès la Libération suspectée de collaboration, elle avait été placée sous l'administration provisoire de Maximilien Vox. Par ailleurs, la veuve de Robert Denoël entamait une action en justice contre Jeanne Loviton qui était devenue, comme on l'a dit précédemment, actionnaire majoritaire de la société, allant jusqu'à l'accuser d'avoir fait assassiner son mari par des tueurs à sa solde. Vaines et impitoyables procédures qui ne débouchèrent sur rien, qui n'empêchèrent pas Jeanne Loviton dite Jean Voilier, ancienne épouse de Pierre Frondaie, l'auteur de l'Homme à l'Hispano, ancienne intime de Giraudoux et de Valéry de prendre bientôt le contrôle de Denoël. Son directeur littéraire Guy Tosi qui venait d'apporter à l'éditeur les ouvres de Lanza del Vasto, Malaparte et Miller, prit tout de même l'avion pour rencontrer Céline à Copenhague. Ils déjeunèrent ensemble chez Mikkelsen. Tosi lui transmit l'offre amicale de Malaparte disposé à encaisser à sa place ses droits d'auteur en Italie pour les lui remettre par la suite. Céline déclina cette proposition. Le manuscrit de Féerie, Denoël ne l'aurait qu'à la condition de lui verser ses droits sur un compte en Suisse. C'était juridiquement impossible. Tosi lui expliqua que Maximilien Vox, l'administrateur provisoire, n'avait aucune autorité pour agir de la sorte. Quelques jours plus tard, Mikkelsen reçut des éditions Denoël le compte des droits d'auteur de Céline, complètement soldé, et un état des tirages de toutes les ouvres de Céline à ce jour16. Le 8 décembre, par lettre recommandée à Jean Voilier, Céline lui déclara alors son intention de reprendre purement et simplement sa liberté d'auteur. Il s'appuyait sur le fait qu'aucun de ses livres n'avait été réimprimé ni mis en vente depuis le 12 juin 1944. Jean Voilier réagit bien entendu et, par une nouvelle lettre du 8 janvier 1948, lui signifia son intention de maintenir pour l'instant le statu quo, c'est-à-dire ni réimpression ni rupture de contrat. Céline n'en tint aucun compte. Pour lui, le divorce était définitif. En ce début de janvier 1948, il reçut la visite à Copenhague de l'éditeur Fasquelle intéressé par la republication du Voyage. René Philippon, président du Syndicat des éditeurs, avait dû servir d'intermédiaire. Mais finalement rien ne put se conclure. Fasquelle eut-il peur des conséquences d'un procès avec Denoël ? Ce fut du moins par la suite la version de Céline, telle qu'il l'expliqua dans une lettre à Pierre Monnier: « Fasquelle aussi a failli reprendre le "Voyage", vous pourrez aller le voir de ma part. Il s'est dégonflé devant la Voilier, risque de procès etc. Mais il bandait dur. C'est à reprendre. Je m'en fou, lui ou Paulhan ! ! ! Il est riche le jeune Fasquelle, cavaleur de négresses, jean-foutre globe-trotter, mais il a du flouze en Suisse. Il voulait m'avancer des sommes17. » Paulhan, lui, venait de recevoir « À l'Agité du bocal ». Il fut effaré sans nul doute de sa violence ordurière. Était-ce là le bon moyen pour réhabiliter Céline, assurer sa présence dans la vie littéraire française? « L'affaire de la réponse à Sartre a foiré - Paulhan pense que c'est trop tôt, que les répercussions seraient terribles etc. Il y a du vrai bien sûr (...) Mille fois merde ! Je lui envoie un ballet... une cornichonnerie super anodine », écrivit Céline à Paraz le 10 janvier 194818. Mais Paulhan fut aussi déçu par la trop grande légèreté de l'argument féerique de Foudres et Flèches et n'en voulut pas davantage pour ses Cahiers de la Pléiade. En mars, Céline prit la décision de lui confier enfin le premier chapitre inédit de Casse-Pipe (qui paraîtra dans ses Cahiers à la fin de l'été, « À l'Agité du bocal » sortant, avec de nombreuses lettres de Céline, dans l'ouvrage d'Albert Paraz le Gala des vaches aux éditions de l'Élan, en décembre 1948). Deux faits marquants pour Céline en ce printemps 1948. Tout d'abord la visite, fin mars, de son vieil ami de Montmartre Jean-Gabriel Daragnès, peintre, graveur et imprimeur, qui allait s'efforcer jusqu'à sa mort en 1950 d'aider l'écrivain en exil, de faciliter sa situation financière et éditoriale. Daragnès était, semble-t-il, venu présider une Exposition du livre français à Copenhague. Mikkelsen le reçut à dîner. Lucette et Louis s'enchantèrent de sa venue... Ensuite, le 30 avril, la nouvelle qui leur parvint de l'acquittement de la société Denoël par la cour de justice de la Seine. Non, la maison Denoël n'avait pas été reconnue coupable d'avoir publié en temps de guerre « des brochures et des livres en faveur de l'ennemi, de la collaboration avec l'ennemi, du racisme ou des doctrines totalitaires » ! On croyait rêver. Mais alors sa filiale des Nouvelles Éditions françaises? Sa collection « Les Juifs en France » ? Ses ouvrages du docteur Montandon, de Rebatet et des autres ? De quel appui, de quel soutien avait pu bénéficier Jean Voilier? Pourquoi poursuivre Céline dans de telles conditions? Lui reprocher la réimpression de ses pamphlets? Jean Voilier s'en tirait avec les honneurs et pouvait diriger seule, désormais, sa maison. Mais Céline ? Allait-on du même coup interrompre les poursuites? Pas le moins du monde ! Lui ne bénéficiait d'aucun appui, il restait dans le collimateur de ses juges, il était le symbole de l'antisémitisme, celui qu'il fallait atteindre - et condamner. Il n'empêche, lui et ses avocats ne cesseront désormais de prendre appui sur le jugement rendu à l'égard de la société Denoël pour plaider sa défense... Pendant ce temps à Menton, le peintre et ex-gardien de prison de la Vestre Faengsel Henning Jensen et son épouse s'ennuyaient ferme. La chambre de bonne que les Pirazzoli avaient mise à leur disposition était minable. La mère de Lucette n'était pas particulièrement aimable à leur endroit. Bref, les Jensen écrivirent à Lucette qu'ils allaient rentrer sans tarder à Copenhague et qu'ils entendaient récupérer leur soupente du 8, Kronprincessegade. Où loger? Lucette ne trouva sur place aucun appartement avec un loyer modéré. Louis tenait à rester à Copenhague, mais rien à faire. Mikkelsen proposa alors de les héberger dans son domaine de Klarskovgaard, non loin de Korsôr, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Copenhague, au bord de la Baltique. Ils déménagèrent le 19 mai. |
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Louis-Ferdinand Destouches (1894 - 1961) |
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