Loys Masson |
Nous appareillâmes un soir d'octobre Aux étoiles. L'ancre racla la coque Il y eut trois longs cris de la sirène Et nous défilâmes par le travers D'un grand vapeur aux trente-six lumières Qui sommeillait doucement à la houle Puis ce fut la bouée puis ce fut la route Dans les écumes et les sifflements De tout le navire tendu au vent. L'île mourut au tournant de la lame Les fanaux dansèrent le mât plia La lune pleine monta sur l'avant Et toute la mer fut blanche et troublante Et tout le ciel fut mauve et se fondant. Il y eut des anges dans les cordages Qui chantèrent ; et nous fîmes rouler Ce soir-là nos amours à fond de cale (Nous avions cru avoir bien oublié). Cent jours nous fûmes entre ciel et eau Perdus. Nos membres étaient blancs de sel L'on tombait lourdement dans les creux d'eau De vagues hautes comme des maisons Avec des coups de cloche dans les brumes Et des désespoirs dans les calmes plats. Le cent-unième jour sur une terre On débarqua - tout palmes et oiseaux C'était pour des vivres frais et de l'eau. Nous vécûmes dix nuits avec les femmes Dans ce pays qui n'avait pas de nom Et nos peines d'amour se réveillèrent Là-bas dont on ne savait pas le nom. Ah ! pourquoi, pourquoi ont-elles lavé Dans de l'eau fraîche nos membres tout blancs De sel ? Car de nouveau l'on se souvint De tout ce qui avait été la vie Jusqu'à notre départ dans l'étendue. Nous laissâmes le rivage à bâbord Un soir où le ciel cuivré menaçait Les matelots grimpèrent dans les vergues L'on hala doucement la vieille ancre Déjà toute tapissée de coquilles Le pavillon flotta sur le grand mât Et le bateau reprit sa route verte. La nuit on se saoula avec du rhum Pour oublier l'acre baiser des femmes Qui avait le goût du feu sur nos lèvres Et ce fut encore le ciel et l'eau Et l'étendue pour trois longs mois et plus. Nos amours nous hantaient. Nous dessinâmes Chacun un profil aimé sur les voiles Que la folle brise enflait doucement Et les calmes jaunes faisaient sourire ; On courut, on courut longtemps sur l'eau Des phosphorescences nous escortaient Qui nous faisaient signe comme des yeux Dans les figures placides des vagues (Et nous nous rappelions nos fiancées). Nous frôlions des récifs tout blancs d'écume C'était la salive de l'Océan On s'en allait vers le Nord n'importe où Courant fort sur la mer anthropophage Doublant notre voilure quand l'amour Dans un port nous gardait deux soirs de trop Tout au loin vers le Nord de l'Océan Dépassant des cadavres de bateaux Que léchait la langue agile des flots. Et l'on dégueulait dans les étendues Un mélange d'alcool et d'amour Nos baisers perdus suivaient le navire Sur la houle verte de l'étendue ( Et nos fiancées boudaient dans les voiles). L'on fila cinq ans, l'on fila dix ans Il y eut dix années d'eau sous la quille Et dix années de brise dans les voiles Sur tous les abîmes de l'océan Et dix années de mer dans notre histoire. Quelques-uns flanchèrent et descendirent Qui s'étaient découragés d'arriver D'autres on les descendit aux requins Qui suivaient depuis toujours le navire. Chaque soir en haut du grand mât montait Le capitaine découvrir le Nord Qui se cachait si bien dans les brouillards : Un matin venteux on changea de voiles. Ah ah mais n'était-ce pas ces dix ans Les mêmes escales que l'on passait N'avait-on pas dix fois passé le Nord ? Le premier qui le dit on le crut fou Le second qui le crut on le pendit Le troisième on le jeta aux requins Mais le quatrième on le crut enfin. C'est vrai, Ton faisait le même chemin Depuis ces dix années dans l'étendue C'était les mêmes ports exactement Où l'on avait mouillé dix ans avant Dans notre voyage sur l'océan L'étoile ne brillait que dans nos yeux L'on avait suivi un rêve de plus C'était pour ça ces longs dix ans de route Le Nord cherché le Nord n'existait pas. |
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Loys Masson (1915 - 1969) |
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