Lucien Becker |
Dans les villages horizontaux enfoncés dans le sol jusqu'aux genoux les maisons âgées s'assoient lentement Le paysan qui fait lever le jour et qui porte le soleil à bout de fourche peigne les champs de ses charrues dociles et sa douce folie émeut à peine le voyageur des villes L'eau de l'orage sur la tête nue des prés les flaques où vient boire le nuage et que les feuilles traversent en bateau les pigeons qui émiettent le soleil la distance du ciel à la terre prise dans la charnière des yeux étonnés Moi ce passant chercheur d'une rue où les poules de la terre ont pondu des cailloux où les arbres sifflent les feuilles parties vers d'autres arbres d'autres ruches J'ai bu toutes les bouteilles de la joie un soir que le vent avait ouvert la terre de son étrave en forme de vallée et dans la chambre à côté des prières bleues montaient au ciel par la cheminée des fleurs séchaient au large des tapisseries La tête vitrée du ciel écoute mieux le cour gagner à petits pas sa prairie compliquée L'ennui se mire aux ongles lisses La crainte d'être oubliées du sommeil rapproche les rives de ma présence Mourir de cette vue discrète et rare sur les lentes péniches du cauchemar où veille un oiseau de verre où les arbres lèvent leur main froide vers des hauteurs superposées où la nuit risque des pieds blancs sur la ville tourne autour du cou de la lune où les rivières font une cravate à la terre Les forêts d'angoisse gonflent leurs feuilles sans raison L'amour n'est pas rentré ce soir à cause de l'écho tremblant des couloirs J'évite de peu le convoi de l'éternité qui sort de la plus sourde toiture emportant sa fumée d'étoiles et ses promesses d'une autre vie Une feuille descend escalier par escalier au pli de la feuille un éclair nu comme le plafond sur un mourant personne ne répond à l'appel que tire la terre de sa porcelaine de villes il n'y a pas de veilleur sur la plus haute montagne et le ruisseau se presse contre ses rives par peur de l'araignée de saule et de la grimace des nuages Les étoiles sont attentives combien ont-elles pointé de leur crayon rapide de passants dépités de leur tête longue et vide Étale ton corps souffreteux sur l'hôpital des murs lampe vieille fille de lampe tu ne parles pas de ta vie éternelle les papillons frappent en vain contre ta vitre ta lueur serait peut-être l'étage de silence que m'ont promis les passeurs de songe tu rentres dans tes fils au moindre geste de jour La tête nette comme un os l'oil gauche comme un ouf à la coque la main cime quand elle veut plus nécessaire que le bond des yeux cernés par l'horizon Cette chambre sauvée des cris de la rue et où l'on entend frémir l'arbre de la tapisserie avec la nuit qui attend dehors tous phares éteints la naissance du silence Un chant qui n'est ni triste ni gai saute de branche en branche éveille dans la mémoire des dormeurs de bonheur Le cour se plaint de sa prison d'où il n'a jamais vu les plantes de la terre imiter l'attitude des hommes De la cheminée du ciel retombe le charbon brûlant des étoiles Ce demain fermé qu'habite la mort n'est plus la trappe d'hier La joie s'ouvre comme une huître et la pomme du rire roule jusqu'à la mer avec des arrêts dans les grandes villes Les langues bleues boiront la nuit en léchant la joue du soleil Les champs perdent pied sous la neige au-dessus des ruisseaux ébréchés par la glace les arbres jettent en vain leur bras d'alarme L'eau essuie ses carreaux noirs près des fontaines près des maisons ridées et mène ses branches voir la mer d'un pas léger qui marque des vallons Les cheminées ont le cou nu dans la laine trop large de l'air Les villages sous leurs plumes sont de grands oiseaux reposés avec comme mouvement juste de quoi faire battre la poitrine plate des fenêtres Le bec plus sombre du plus haut mur guette en vain le guêpier du soleil La côte s'élève comme un lait qui bout les pas dans la rue montent jusqu'au ciel les têtes passent à peine de l'entonnoir du col et vont vite vers le tunnel des portes penser aux flocons de chaleur et d'amour Je la dévêts de l'espace qui l'isole quelques fruits d'air retenus dans les poches que ferme mal son corps distant sous la foulée de ma caresse Sa tête remonte de ma main comme une tige inclinée Nos yeux contenus dans le même regard nos jambes dans le même arbre notre souffle échangé contre des baisers une nuit commune tombe dans nos bouches Toute la peau recule aisément jusqu'au bord intérieur d'un seul désir mes doigts fleuves de terre s'apaisent longuement à leur source chaude et leur parenthèse est plus inclusive que celle de la mort et des murs au niveau de son corps mon corps monte et le jour fait un écart pour passer Le soleil dégaine ses plus beaux épis que des flaques portent aux granges de la nuit Un vent libéré retrouve les grandes voies ferrées de l'éternité Le désir à tue-tête se mesure aux pierres tranchantes des sens à la glace qui lie les doigts Un nuage passe en fraude qui convoie le duvet chaud de songes sûrs de leur foi Dans le peuplier coulent de brusques barques des lanternes brûlent le papier noir du dehors le trouent de leurs grosses têtes rousses Plus blanche est la morte sous les paupières cousues de sommeil Plus nette est la cambrure de la terre à la clarté qui déborde dans la nuit Ma tête est captive des cartes de la mémoire La jetée d'un éclat augmente un front furtif La cloche de colline pèse sur la terre s'élargit jusqu'aux routes Les oiseaux perdent haleine à suivre la trace du jour Les étoiles s'éclairent de leur lampe de poche et se serrent à l'approche de l'éternité LES villages somnolent sous leur couvercle de pierre rêvant tout haut dans la voix des batteuses Le matin boit son bol de rosée à table avec les arbres autour des prés Le pont sur le monde se détruit comme un peu d'alcool trop pâle Les charrues jouent mal du violon sur les champs savonnés de brume Les nuages de leurs poings se battent contre les colonnes muettes de l'ombre Automne ô belle fille bombée de larmes ô belle blonde qui verses tes seins nus dans la paume profonde du ciel ta bouche entr'ouverte brille des quelques dents claires du couchant tes bois sont des créneaux pour tirer sur l'hiver ta lumière est disjointe par le vertige et tes flaques ont de grands regards béats L'oil blanc des lampes fouille la nuit à la limite de ses bas rencontre l'ongle fragile d'un regard Entre les cuisses de la terre il y a un village qui tend ses bras de fumée et qui éteint son tablier à carreaux clairs Dans le ruisseau les cailloux font des cours que touche du doigt une étoile Les herbes marchent par bandes à la suite des voitures de vent font des grands signes au-dessus de l'eau Le ciel n'est pas caché de ses montagnes et chacune de ses villes s'allume comme celles plus folles de la terre à cause des femmes qui polissent leur cour et des rapides blessés d'incendie Les manches trop longues des rues où les fenêtres vous suivent avec le haussement d'épaule de leurs battants C'est le même jour qui se lève de grand des labours étouffés de lessive La colline de vent s'approche essaie le ressort des arbres soulève les écailles de l'étang La joie de vivre se fait femme au bord des champs mal peignés où les hommes se lavent à grand soleil la tête nue jusqu'à la dernière tuile de ciel Le frisson qui compte les vertèbres n'a pas perdu sa tondeuse usée S'il y avait une raison de mourir au seuil de ces portes trop hautes de jour si la lumière se laissait caresser de la main si l'on était sûr de ne pas être seul dans les terrains vagues de la mort Les parois tournantes du sommeil ont des globes fixes pour voir les algues qui montent vers la nuit de l'oreille tendue des buissons du coton du cour des seins étoiles que préparent les lits Mais il reste les soirs beurrés de couchant comme une lente indigestion d'escargots LE plus haut toit les peupliers captifs changent de place dans la brume trouée La terre est si pleine de seins qu'elle fait des collines et qu'elle rejette le sang des pluies dans les ruisseaux laiteux L'haleine des feuilles mortes à chaque visite de vent à chaque tremblement de la terre Les chemins déboutonnés et sans foulard n'ont plus de détours secrets pour courir d'un village à l'autre à l'insu des grand'routes La nuit doublée de la nuit des nuages connaît parfois la faveur brève d'un oil curieux d'étoile ou d'un éveil étonné d'oiseau pierre par pierre chaume par chaume le soleil a replié les champs assis en rond autour des bois |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Lucien Becker (1911 - 1984) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Lucien Becker | |||||||||
BiographieLucien Becker est un poète rare et sa voix unique fut saluée par Camus, Paulhan, Bousquet, Cadou, Char. Né à Béchy (Moselle), en 1911, mort à Nancy en 1984, il a composé, en marge de la vie littéraire et de ses mouvements, une ouvre brûlante autour du corps de la femme, seul rempart contre le néant. Résistant pendant la guerre, il ne cessera de résister à la poésie et à ses entours illusoir L'oeuvre de lucien beckerLucien Becker n'est peut-être pas le plus grand poète lyrique de son époque; mais il est, sans nul doute, celui qui se sera tenu au plus près du réel, tout en restant farouchement à l'écart de tout artifice. En cela, il aura prolongé la leçon de Reverdy, sa tension nouée, cette écoute des pas, des heures, alors que le silence même est fait de minéral. |
|||||||||