Lucien Becker |
I Mon cour est seul loin de ma solitude Il hésite à la plaie mal fermée des tempes Dans le sillon obscur des côtes il est le cri régulier appelant des mains qui connaissent l'amour je tremble de son battement Que sait-il de moi de cette tête dont la douleur se détache cernée dure comme la vitre de cette peau qu'il éclaire et où je suis toujours présent avec chaque jour un chaînon de plus à mes doigts ouverts Veilleur de mon sommeil il ne retient pas mes songes Suspendu entre le ciel et moi il conduit la taupe du sang dans les flaques où je souffre Il passe dans la foule de ma vie appelé par la mort II Pauvre comme à la naissance je n'ai pas trouvé de visages purs parmi les pancartes de l'innocence A quoi sert ce geste direct où la main debout sur le corps demande qu'on la libère de tout son poids de cour La pluie si pure si docile a pourri tant de cadavres La solitude est grise dans les dernières glaces du soir Ma vie n'est plus qu'une branche coupée autour du cour et la lumière n'est pas dupe de la clarté qu'elle partage avec ma tête Je n'ai soif que de sécheresse que de tuiles farouches à hauteur de soleil que de mains en forme de plaies III Le plafond regarde s'il vient quelqu'un dans l'escalier La même ombre monte avec le même tintement de cour Dans la salle d'attente il fait froid il fait nuit et je me parle très bas de ma conscience sans rampe Mes gestes n'atteignent que les choses quotidiennes qui me connaissent par cour et m'aiment en silence Ma main trop étroite me montre le monde où s'assemble le sang qui coule des regards Plus proche de moi que la douleur que les prières que les cris la fenêtre me fixe de sa blessure calme J'ai vu la nuit des vitres béantes de solitude et de mort elles me suivent comme des rails Mon cour est seul loin de ma solitude Il hésite à la plaie mal fermée des tempes Dans le sillon des côtes il est le cri régulier appelant des mains qui connaissent l'amour Je tremble de son battement Que sait-il de moi de cette tête dont la douleur se détache cernée dure comme la vitre de cette peau qu'il éclaire et à laquelle il m'attache de toutes les cordes de ses veines Veilleur de mon sommeil il ne retient pas mes songes Suspendu entre le ciel et moi il conduit la taupe du sang dans les flaques où je souffre Il passe dans la foule de ma vie appelé par la mort IV Le vent n'a pas voulu mon haleine l'oreiller s'est vidé de sommeil les colchiques se renversent et le matin glisse sur eux de son pas mouillé de paupières pleines Les bas mal tirés de l'aube s'éclairent à peine de cuisses vernies Le rire faux des fenêtres la fausse éloquence des usines ne veulent plus se taire Les murs se regardent sans comprendre le silence qui les oppresse Un vent décapité déborde au-dessus des trottoirs La lumière ne peut plus remonter retenue dans les lampes livides et dans les bouteilles bues V La même rue haute qui me dépasse le même soleil prisonnier des murs fuit entre mes doigts et je sens toutes ses racines pousser sur mon visage Le vent se lève d'une flaque où se heurtent par places les meurtrissures de la nuit J'ai les yeux de cet homme qui se hâte dans un long couloir blanc où les portes font des taches de tunnel où les ombres se cognent sans souffrance Au fond de moi je respire le même caillou froid Le jour dans tous les bureaux arrive sans battements D'autres après moi vivront ma vie seul le visage change de regard du cour part la même plante de douleur VI Il y a mieux que ces faces murales que le cour quitte d'un seul coup que ces crises de misère où le front se pose aux vitres de toute sa pierre sans larmes où le soleil est seul sur le mur et ne peut se détacher du soir J'ignore qu'il faut mourir parmi les herbes entourées d'une écorce de soleil parmi la main tendue des sources parmi les rues battantes de mon enfance |
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Lucien Becker (1911 - 1984) |
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Portrait de Lucien Becker | |||||||||
BiographieLucien Becker est un poète rare et sa voix unique fut saluée par Camus, Paulhan, Bousquet, Cadou, Char. Né à Béchy (Moselle), en 1911, mort à Nancy en 1984, il a composé, en marge de la vie littéraire et de ses mouvements, une ouvre brûlante autour du corps de la femme, seul rempart contre le néant. Résistant pendant la guerre, il ne cessera de résister à la poésie et à ses entours illusoir L'oeuvre de lucien beckerLucien Becker n'est peut-être pas le plus grand poète lyrique de son époque; mais il est, sans nul doute, celui qui se sera tenu au plus près du réel, tout en restant farouchement à l'écart de tout artifice. En cela, il aura prolongé la leçon de Reverdy, sa tension nouée, cette écoute des pas, des heures, alors que le silence même est fait de minéral. |
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