Lucien Becker |
Le jour a du mal de tomber dans la chambre parce que ton corps reste une lanterne sourde que rien ne peut éteindre, si ce n'est un baiser contre lequel tu te brises, le temps d'un regard. Tome la tiédeur du monde est sur ta bouche sur ta cuisse où ma main ne s'arrête pas de monter, sur tes reins où la caresse a le poids de l'or, sur tes seins qui sont toujours hors de l'ombre. Partout, le soir soude entre elles les choses mais toi, tu es là, inabordable de nudité, et seule ta chevelure se prend à la nuit qui s'illumine à vouloir la traverser. Lorsque le matin défait le drap, c'est encore sur toi que donnent mes yeux puisqu'ils ne peuvent plus voir rien autre qu'un jour qui a pris la forme de ton corps. JLoin des rues qui s'enchaînent les unes aux autres dans une ville dont personne ne veut sortir, nous regagnons sans heurt les chemins secs où tu te retrouves seule avec la terre et moi. Le soleil et moi, nous regardons ton visage et je me demande auquel des deux tu appartiens, mais il me suffira d'une nuit pour que tu redeviennes la barque perdue que je coule au fond d'une étreinte. Tu te serres contre moi dans l'indifférence d'un jour auquel il manque la rudesse de tes seins pour être au-dessus de la campagne banale un peu de lumière éclatée dans l'orage. Dans le bûcher sans cesse renaissant du couchant ce sont encore tes cheveux qui flambent le mieux grâce au soleil qui s'y est renversé pour que nous restions vivants toute la nuit. Tu n'en auras jamais fini de descendre l'été avec le soleil planté sur chacun de tes seins et il n'y aura plus d'hiver pour la clarté qui se lève à chaque étreinte de nous deux. Le haut de tes cuisses laisse une lueur sur l'armoire et le matin, passant par le volet, vient respirer sur ton ventre, belle eau dormante, affleurant auprès de moi sous un peu de lingerie. Des journées de ciel s'immergent dans tes ongles pour conquérir chaque pays de ton corps ensommeillé. Il restera dans tes jambes descellées un peu de cette ombre qui est le seul bien que je possède au monde. La nuit se voudra rocheuse pour ta peau, mais elle se brûlera longuement à ta bouche et tes tempes sans cesse germantes la feront sursauter la rejetant pour toujours hors des murs. A travers les vergers tu vas et tu viens sans faire bouger une feuille, sans déranger l'espace rempli d'abeilles et l'herbe se relève sur ta foulée. Le ciel ne pourra pas retrouver ta trace parce qu'il n'est plus qu'un pan de vitre cassé en mille morceaux dans les branches d'arbres qui vont jusqu'à toucher amicalement ton front. Nous ne pouvons nous guider dans la nuit qu'en nous tenant aux cordages de rosée tendus de plante haute en plante haute sous le regard étonné de quelques pierres s Dans l'air du matin mal assuré, notre baiser est fait de verre brisé, mais il remontera vite jusqu'à tes tempes où toute la tendresse de la terre est déposée. J e n'ai que mon désir pour te faire prisonnière alors que je suis lié à tes paroles et à cet amour n'ayant pour limites que celles que veut tracer la mort devant chaque pas qui me conduit vers toi. Tu jaillis de toute ta gorge dans mes rêves, tout d'un coup riants comme un village d'été. Je peux t'attendre ainsi des nuits entières avec ton épaule ou même tes cils pour horizon. Un peu de foudre veille à l'entrée de ta chair vers laquelle je viens battre comme une lame de fond et je n'ai de cesse que quand tu n'es plus pour moi qu'un passage dans une terre douce à en mourir. Là, le silence est transparent comme une vitrine et, derrière, il n'y a rien que nous à la recherche d'un univers où le dépaysement est tel qu'à chaque minute nous redevenons un inconnu l'un pour l'autre. Rien ne peut se passer dans cette pièce dont les angles taillent un univers posé autour de toi comme un rocher dont l'envers est toute tendresse L'oiseau qui se tait soudain meurt, transparent de soleil Le calcaire du champ meurt de soif il a donné sa pluie à boire aux blés Il faut aller au bout du couloir pour trouver un semblant de fraîcheur à goût de plâtre Tu passes dans la porte entr'ouverte et la clarté te poursuit jusque dans la nuit Depuis un siècle un ver ronge une poutre on l'entend mieux entre chaque battement du cour il cherche sa route dans le noir du bois comme un aveugle dans un quartier inconnu Il reste très peu de poussière sur le chemin ni aucun des pas qui l'emmenaient au village pour voir les arbres s'ennuyer dans les cours ou la fontaine encastrée au creux de l'été Sur la table un peu de vin s'éclaire comme s'il était la seule chose vivante à avoir vu le soleil prendre feu dans la forêt Quand le soleil se pose sur la colline presqu'à portée de la main on sent en soi une pierre qui remonte pure jusqu'au cour J'ai décharné tous les mots jusqu'aux os Ils n'ont plus de sens que celui que je leur accorde Seul le mot amour revient, inchangé, parce qu'il est tout de tendresse, de corps partagés. Des arbres ont gardé un peu de soleil couchant Ils sont clairs avant qu'il ne se lève et que l'herbe ne fonde dans une fenaison qui n'en finit pas de se faner Le chemin revient toujours sur ses pas après avoir fait le tour des champs et la source, noire d'un peu de nuit, n'a pas de peine à se remplir de soleil Un arbre sans visage est, seul, loin des autres avec la neige dormant à ses pieds et tout le vent de la plaine qui se bat dans ses branches On voit un peu de jour sous un pont qui ne connaît pas le chemin venant vers lui La terre arrive à quai sur un vaisseau qui tiendrait sur le plat de la main Les pierres vivent, le jour, pour un peu de clarté qui en fait des lanternes sourdes dans l'herbe qui touche au toit le long des sentiers Les pierres laissent monter la source elles cèdent le pas aux racines d'arbres sans pour autant oublier l'époque où elles allumaient des feux sur la terre Le mot, vrai, ne s'enferme plus dans la gorge il ouvre le cour qui fait croire que tout s'est arrêté sur son battement c'est le moment où la joie remonte les veines Un insecte est fixé sur un mur qui est large comme la moitié du village Il reste sur un arbre un peu de rosée qui sera un deuxième été jusqu'à midi Debout, contre la fenêtre, nous regardons le soir d'où dépassent quelques feuilles claires avant que le soleil se couche entre nous pour mêler sa lueur au vieil or de notre amour. La source s'émeut d'un vent léger qui veut la briser jusqu'au cour mais elle sait se faire caillou quand la tempête est dans l'arbre Les plaines chavirent sous le vent d'un pont à l'autre sans jamais voir une ville ni la source née d'une goutte d'eau Le miroir se fige sur la cloison et la fenêtre est une branche dans le ciel froid des carreaux la forêt achève de mourir dans un meuble La lampe qui s'allume dans la chambre force la poussière à s'envoler Elle éveille une mouche au plafond et fait de la vitre un feu qui s'éteint Le soleil, venu d'un espace grand comme un regard éclaire à peine l'herbe d'un pré longe les toits, s'y retient et tombe en heurtant un oiseau Nuit, dans ta retraite au fond des granges près d'un jour qui s'en va seul sur le monde on voit les maisons grises où rien ne bouge sinon les nuages naviguant dans les vitres Rien de ce qui fut le ciel ne dure dans la fenêtre qui s'habitue à la clarté sans âme des lampes Elles attendent l'heure de faire mourir la nuit au bord d'un peu de jour déchiré Le temps ne règne pas pour les chaises qui ne sont que bois mort l'ombre est à l'étroit entre armoire et murs même quand le couchant a des lueurs de forge D'un seul tenant comme le ciel la source n'a d'yeux que pour l'homme qui se penche sur elle pour le plus pur des baisers La source se nourrit d'un peu de roche et de semences perdues par le vent Elle brille à peine dans le jour qui reste à mi-chemin de sa profondeur Un lierre va d'arbre en arbre sans craindre le froid de l'hiver Il connaît tous les coins de ciel où le printemps se prépare La vitre est simplement posée contre l'été les chemins dorment, enroulés dans l'herbe chaque tache est transparente de clarté Il fait beau très loin derrière les regards En cette minute ordinaire des feuilles bougent dans le bois parce que du vent s'est détaché d'une tempête passée par là La vallée de saules et de prairies serre le ruisseau de si près qu'on ne voit de lui, dans l'herbe, qu'un peu de lumière écrasée Le village dont les maisons, mal assises, sont plus hautes de soleil qu'ailleurs ramène la nuit sur ses terres quand le silence sort de l'écorce des arbres Je te retrouve très proche du couchant et comme préservée de l'espoir le plus courant avec un cour qui fait presque pas de bruit et quelques mots soumis aux règles de la vie Le soleil ne brûle pas le vent du matin tournoie autour d'une abeille et c'est comme si un sous-bois s'éclairait le temps d'un regard venu de partout Mes pas brûlés par l'été ont couru vers la source d'autrefois Il n'y avait qu'un peu d'herbe dans un trou de soleil Un peu d'eau sèche sur la table et l'ombre éteint le jour ne laissant pour éclairage qu'un bout d'étoile sur un ustensile On entend le bruit d'armure que fait un insecte qui se jette dans une vitre sans pouvoir sortir du village Au bout du paysage, il y a une haie qui a toujours le même nombre de feuilles A chaque printemps, un rossignol, les yeux fermés, y retrouve son nid Le soleil n'est pas assez grand pour remplir une seule flaque mais à l'aube il rase les prés de sa lumière et prend son ombre à l'homme Chaque bourgeon qui s'ouvre fait le printemps pour lui seul et la rosée parvient à mettre un soleil entier sur l'herbe .La nuit est blanche de quelques cailloux posés sur le fond d'un ruisseau Les arbres sont soudés à l'espace seule, une étoile les traverse Un homme cherche un feu perdu très loin au fond de ses veines Il le retrouve, tout entier, quand le soleil entrouvre sa bouche Il a fallu toute une ville pour faire d'un arbre un prisonnier, tout un soir sur un homme pour qu'il s'éveille vivant parmi les pierres .Les pierres mettent plus d'un siècle pour aller d'un champ à l'autre ou pour s'ouvrir le cour en pleine fenêtre Mon front vit de la fraîcheur d'un carreau d'où le matin ne peut s'en aller Je suis tout entier contre lui sans que mes yeux le traversent Il y a un grand silence sur l'horizon d'où sort le soleil qui met un peu de jour dans les yeux, sauvés de la nuit |
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Lucien Becker (1911 - 1984) |
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Portrait de Lucien Becker | |||||||||
BiographieLucien Becker est un poète rare et sa voix unique fut saluée par Camus, Paulhan, Bousquet, Cadou, Char. Né à Béchy (Moselle), en 1911, mort à Nancy en 1984, il a composé, en marge de la vie littéraire et de ses mouvements, une ouvre brûlante autour du corps de la femme, seul rempart contre le néant. Résistant pendant la guerre, il ne cessera de résister à la poésie et à ses entours illusoir L'oeuvre de lucien beckerLucien Becker n'est peut-être pas le plus grand poète lyrique de son époque; mais il est, sans nul doute, celui qui se sera tenu au plus près du réel, tout en restant farouchement à l'écart de tout artifice. En cela, il aura prolongé la leçon de Reverdy, sa tension nouée, cette écoute des pas, des heures, alors que le silence même est fait de minéral. |
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