Marceline Desbordes-Valmore |
L'été, le monde ému frémit comme une fête ; La terre en fleurs palpite et parfume sa tête ; Les cailloux plus cléments, loin d'offenser nos pas, Nous font un doux chemin ; on vole, on dit tout bas : "Voyez ! tout m'obéit, tout m'appartient, tout m'aime ! "Que j'ai bien fait de naître ! et Dieu, car c'est Dieu "Est-il assez clément de protéger nos jours, [même, "Sous une image ardente à me suivre toujours !" Que de portraits de toi j'ai vus dans les nuages ! Que j'ai dans tes bouquets respiré de présages ! Que de fois j'ai senti par un noud doux et fort. Ton âme s'enlacer à l'entour de mon sort ! Quand tu me couronnais d'une seconde vie, Que de fois sur ton sein je m'en allais ravie. Et reportée aux champs que mon père habitait. Quand j'étais blonde et frêle, et que l'on me portait ! Que de fois dans tes yeux j'ai reconnu ma mère ! Oui ! toute femme aimée a sa jeune chimère, Sois-en sûr ; elle prie, elle chante, et c'est toi Qui gardais ces tableaux longtemps voilés pour moi. Oui ! si quelque musique à mon âme cachée. Frappe sur mon sommeil et m'inspire d'amour, C'est pour ta douce image à ma vie attachée. Caressante chaleur sur mon sort épanchée, Comme sur un mur sombre un sourire du jour ! Mais par un mot changé troubles-tu ma tendresse, Oh ! de quel paradis tu fais tomber mon cour ! D'une larme versée au fond de mon ivresse, Si tu savais le poids, ému de ta rigueur, Penché sur mon regard qui tremble et qui t'adore, Comme on baise les pleurs dont l'enfant nous implore, À ton plus faible enfant, tu viendrais, et tout bas : "J'ai voulu t'éprouver, grâce ! ne pleure pas..." Parle-moi doucement ! sans voix, parle à mon âme ; Le souffle appelle un souffle, et la flamme une flamme. Entre deux cours charmés il faut peu de discours, Comme à deux filets d'eau peu de bruit dans leur [cours. Ils vont ! aux vents d'été parfument leur voyage : Altérés l'un de l'autre et contents de frémir, Ce n'est que de bonheur qu'on les entend gémir. Quand l'hiver les cimente et fixe leur image, Ils dorment suspendus sous le même pouvoir, Et si bien emmêlés qu'ils ne font qu'un miroir. On a si peu de temps à s'aimer sur la terre ! Oh ! qu'il faut se hâter de dépenser son cour ! Grondé par le remords, prends garde ! il est grondeur, L'un des deux, mon amour, pleurera solitaire. Parle-moi doucement, afin que dans la mort Tu scelles nos adieux d'un baiser sans remord. Et qu'en entrant aux deux, toi calme, moi légère. Nous soyons reconnus pour amants de la terre. Que si l'ombre d'un mot t'accusait devant moi, À Dieu, sans le tromper, je réponde pour toi : "Il m'a beaucoup aimée ! il a bu de mes larmes ; "Son âme a regardé dans toutes mes douleurs ; "Il a dit qu'avec moi l'exil aurait des charmes, "La prison du soleil, la vieillesse des fleurs !" Et Dieu nous unira d'éternité ; prends garde ! Fais-moi belle de joie ! et quand je te regarde, Regarde-moi ; jamais ne rencontre ma main, Sans la presser : cruel ! on peut mourir demain. Songe donc ! crains surtout qu'en moi-même [enfermée, Ne me souvenant plus que je fus trop aimée, Je ne dise, pauvre âme, oublieuse des deux, Pleurant sous mes deux mains et me cachant les [yeux : "Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes ; Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs ; Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes Et des parfums mourants qui survivent aux fleurs." Je dis cela, jalouse ; et je sens ma pensée Sonir en cris plaintifs de mon âme oppressée. Quand tu ne réponds pas, j'ai honte à tant d'amour, Je gronde mes sanglots, je m'évite à mon tour, Je m'en retourne à Dieu, je lui demande un père. Je lui montre mon cour gonflé de ta colère, Je lui dis, ce qu'il sait, que je suis son enfant, Que je veux espérer et qu'on me le défend ! Ne me le défends plus ! laisse brûler ma vie. Si tu sais le doux mal où je suis asservie, Oh ! ne me dis jamais qu'il faudra se guérir ; Qu'aimer use le cour et que tout doit mourir ; Car tu me vois dans l'âme : approche, tu peux lire ; Voilà notre secret : est-ce mal de le dire ? Non ! rien ne meurt. Pieux d'amour ou d'amitié, Vois-tu, d'un cour de femme il faut avoir pitié ! |
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Marceline Desbordes-Valmore (1786 - 1859) |
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Portrait de Marceline Desbordes-Valmore | |||||||||
Biographie / OuvresNée à Douai en 1786, elle devient chanteuse puis comédienne et elle épouse en 1817 un certain Valmore, acteur dont elle fera passer le nom à la postérité. Chronologie |
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