Marie-Joseph Chénier |
Gloire à Dieu dans les hauts! Disons nos patenôtres. C est peu qu'un successeur du prince des apôtres Dans ses filets vieillis, et rompus quelquefois. Prétende repêcher les peuples et les rois ; Un culte dominant va réjouir la France : Telle est des nouveaux saints la dévote espérance. Ils sont nombreux, zélés ; ils prêchent des sermons, Des journaux, des romans, des drames, des chansons. Nous entendrons encor disputer sur la grâce, Non celle de Parny, de Tibulle, et d'Horace, Mais celle d'Augustin, la grâce des élus, Qui vaut bien mieux que l'autre, et qui rapportait plus. Courage, marguilliers ! N'entendez-vous pas braire Les fils, les compagnons de l'âne littéraire ? «Oui, par Martin Fréron', le triomphe est certain! Dit Geoffroy : venez tous, héritiers de Martin, Et vous surtout, Clément', son émule intrépide, Philoctète nouveau de ce nouvel Alcide ! Soyons gais, buvons frais ; honneur à tout chrétien ! Dieu prend soin de sa vigne ; et les Débats vont bien. La dîme reviendra ; nous en aurons la gloire ; Vivent les orémus et la messe après boire ! Pour la philosophie, oh ! c'est le temps passé : Grâce à Clément et moi, Voltaire est renversé. Nous avons longuement disserté sur Alzire, Sur Tancrèdeet Gengis, sur Méropeet Zaïre; On est désabusé de ces méchants écrits, Si bien que nos extraits font bâiller tout Paris. Rousseau, Buffon, Raynal, vrais fous, prétendus sages, Qui du siècle dernier captivaient les hommages; Aujourd'hui sans égards vous les voyez traités. Réimprimés, vendus, lus, relus, tourmentés ; Dans la bibliothèque, aux camps, sur la toilette, Partout vous les trouvez ; tout passant les achète. On ne tourmente pas Guyon, frère Berthier, Chaumeix et Patouillet, Nonnotte et Sabatier ; Ils sont, loin des lecteurs, à l'abri des critiques, Gardés avec respect dans le fond des boutiques, Ainsi que des trésors, des joyaux précieux. Qu'un possesseur jaloux dérobe à tous les yeux. » De ces grands écrivains imitateurs fidèles, Vous serez conservés auprès de vos modèles. Croyez, c'est fort bien fait, et propagez la foi ; Dieu vous garde ! Mais, de grâce, ingénieux Geoffroy, Et vous, léger Clément, pour l'honneur de l'Église, En matière de foi craignez quelque méprise : Tenez, vous croyez vivre ; on s'y trompe souvent : Vous êtes morts, très morts ; et Voltaire est vivant. Non loin de ces frelons, nourris dans l'art de nuire, Et corrompant le miel qu'ils n'ont pas su produire, J'aperçois le phénix des femmes beaux esprits. Son libraire lui seul connaît tous les écrits Dont madame Honesta'' daigne enrichir la France. Vous n'y trouverez point cette heureuse élégance, Cet esprit délicat, dont les traits ingénus Brillaient dans Sévigné, La Fayette, et Caylus ; C'est un lourd pédantisme, un ton sévère et triste ; C'est Philaminte encor, mais un peu janséniste. « De la France avec moi le bon goût avait fui, Dit-elle ; après dix ans j'y reviens avec lui. Plaignant du fond du cour ma patrie en délire, J'arrive d'Altona pour vous apprendre à lire. J'ose même espérer de plus nobles succès : Je voudrais, entre nous, convertir les Français. Plus d'un, sans réussir, a tenté l'entreprise; Vous n'aviez point encor des mères de l'Église. Si la philosophie a pu vous abuser, Si des noms trop fameux qu'on voudrait m'opposer Forment dans la balance un poids considérable, Mes trente in-octavo sont d'un poids admirable : Pour faire pénitence il faut les méditer. J'aurais bien plus écrit; mais je dois regretter Quelques beaux jours perdus loin de mon oratoire : C'était un vrai roman ; le reste est de l'histoire. Ht de la sainte encor : vingt ans j'ai combattu Pour la religion, les mours, et la vertu. » Peste ! ce ne sont là des matières frivoles : Vous n'êtes point, madame, au rang des vierges folles; Vous n'avez point caché sous le boisseau jaloux La flamme dont le ciel fut prodigue envers vous ; Mais, faisant au public partager cène flamme, Croyez qu'un ton plus doux lui plairait mieux, madame. Vous êtes sainte : eh bien ! chaque chose a son tour ; Soyez sainte, aimez Dieu : c'est encor de l'amour. Aux jours de son printemps Magdeleine imprudente Se repentit bientôt, mais ne fut point pédante : Quand elle crut, l'amour fit sa crédulité : Et toujours ce qu'on aime est la Divinité. Voyez Thérèse encor : quelle sainte adorable ! Elle aime, elle aime tant, qu'elle a pitié du diable, Et, pour l'époux divin se laissant enflammer. Plaint jusqu'au malheureux qui ne peut plus aimer. «Ah! vous parlez du diable? est bien poétique. Dit le dévot Chactas , ce sauvage erotique. Neptune approche-t-il du grand saint Nicolas ? Les trois sours de l'Amour avaient quelques appas ; Ces beautés cependant sont fort loin d'être égales Aux trois hautes vertus qu'on dit théologales. Trois, c'est peu, j'en conviens; mais nous avons aussi Sept péchés capitaux bien comptes. Dieu merci! De la loi des chrétiens ô bonté souveraine ! Les païens adoraient aux bords de l'Hippocrène Neuf vierges seulement; nous espérons aux deux En trouver onze mille ; et cela vaut bien mieux. Rendez le paradis, l'enfer, le purgatoire : Voilà le principal ; et, quant à l'accessoire, Rendez... à dire vrai c'est le point délicat, Quelques brimborions, cure, canonicat, Évêché bien rente, bonne et grasse abbaye, Dîme... il faut, comme on sait, de tout en poésie. Tel est le saint traité qu'on peut faire entre nous : Sans cela je vous quitte ; et c'est tant pis pour vous. J'irai, je reverrai tes paisibles rivages, Riant Meschacébé, Permesse des sauvages ; J'entendrai les sermons prolixement diserts Du bon monsieur Aubry, Massillon des déserts ! sensible Atala ! tous deux avec ivresse Courons goûter encor les plaisirs de la messe ! Chantons de Pompignan les cantiques sacrés ! Les poètes chrétiens sont les seuls inspirés. Près du Pange lingtia comme on méprise Horace ! Près du Dies ira comme Ovide est sans grâce ! Esménard", par exemple, est un rimeur chrétien. Homère seul m'étonne : il fut, dit-on, païen. Que n'a-t-il sur ses pas trouvé quelque bon prêtre ! Hélas, monsieur Aubry l'eût converti peut-être. Pour vous. Pope, Lucrèce, écrivains peu dévots. Et vous, mauvais plaisants, poètes à bons mots. Ennuyeux La Fontaine, impertinent Molière, Sec et froid Arioste, insipide Voltaire, Les Hurons, gens de goût, ne vous ont jamais lus ; Ils m'ont beaucoup formé : je ne vous lirai plus. Mais fille de l'exil, Atala, fille honnête, Après messe entendue, en nos saints tête-à-téte, Je prétends chaque jour relire auprès de toi Trois modèles divins ; la Bible, Homère, et moi ! » C'est bien assez de vous ; la Bible est inutile. Homère davantage ; il n'a pas votre style. Surtout de Bernardin copiez mieux les traits ; Vous ennuyez parfois, et n'instruisez jamais : Il plaît en instruisant ; son secret est plus rare ; Il est original ; et vous êtes bizarre. |
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Marie-Joseph Chénier (1764 - 1811) |
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