Maurice Maeterlinck |
Parmi les nombreuses définitions que les symbolistes tentent de donner du « Symbole », celle de Maeterlinck se distingue. En opposant « symbole » et « allégorie », Maeterlinck oppose deux modes de création, l'un conscient et délibéré, l'autre «inconscient». «L'inconscient» dont il est question ici n 'est cependant pas celui de Freud, qu 'il précède de peu : si le symbole requiert de la part du poète une entière «passivité» (commeplus tard l'écriture automatiquE), ce qui s'exprime à travers lui est moins le chiffre singulier d'un désir, que les forces mystérieuses qui relient l'âme à l'univers. - Oui, disait Maeterlinck, je crois qu'il y a deux sortes de symboles : l'un qu'on pourrait appeler le symbole a priori ; le symbole de propos délibéré ; il part d'abstraction et tâche de revêtir d'humanité ces abstractions. Le prototype de cette symbolique, qui touche de bien près à l'allégorie, se trouverait dans le Second Faust et dans certains contes de Goethe, son fameux «Mârchen aller Màrchen », par exemple. L'autre espèce de symbole serait plutôt inconscient, aurait lieu à l'insu du poète, souvent malgré lui, et irait, presque toujours, bien au-delà de sa pensée : c'est le symbole qui naît de toute création géniale d'humanité ; le prototype de cette symbolique se trouverait dans Eschyle, Shakespeare, etc. Je ne crois pas que l'ouvre puisse naître viablement du symbole ; mais le symbole naît toujours de l'ouvre si celle-ci est viable. L'ouvre née du symbole ne peut être qu'une allégorie, et c'est pourquoi l'esprit latin, ami de l'ordre et de la certitude, me semble plus enclin à l'allégorie qu'au symbole. Le symbole est une force de la nature, et l'esprit de l'homme ne peut résister à ses lois. Tout ce que peut faire le poète, c'est se mettre, par rapport au symbole, dans la position du charpentier d'Emerson. Le charpentier, n'est-ce pas? s'il doit dégrossir une poutre, ne la place pas au-dessus de sa tête, mais sous ses pieds, et ainsi, à chaque coup de hache qu'il donne, ce n'est plus lui seul qui travaille, ses forces musculaires sont insignifiantes, mais c'est la terre entière qui travaille avec lui ; en se mettant dans la position qu'il a prise, il appelle à son secours toute la force de gravitation de notre planète, et l'univers approuve et multiplie le moindre mouvement de ses muscles. Il en est de même du poète, voyez-vous ; il est plus ou moins puissant, non pas en raison de ce qu'il fait lui-même, mais en raison de ce qu'il parvient à faire exécuter par les autres, et par l'ordre mystérieux et éternel et la force occulte des choses ! Il doit se mettre dans la position où l'Éternité appuie ses paroles, et chaque mouvement de sa pensée doit être approuvé et multiplié par la force de gravitation de la pensée unique et éternelle ! Le poète doit, me semble-t-il, être passif dans le symbole, et le symbole le plus pur est peut-être celui qui a lieu à son insu et même à rencontre de ses intentions ; le symbole serait la fleur de la vitalité du poème : et, à un autre point de vue, la qualité du symbole deviendrait la contre-épreuve de la puissance et de la vitalité du poème. Si le symbole est très haut, c'est que l'ouvre est très humaine. C'est à peu près ce que nous disions cette après-midi, s'il n'y a pas de symbole, il n'y a pas d'ouvre d'art. Mais si le poète part du symbole pour arriver à l'ouvre, il est semblable au charpentier qui équarrit une poutre placée au-dessus de sa tête, et il a à vaincre toute la force de gravitation de son poème. Il navigue contre vents et contre marées. Il n'est plus entraîné bien au-delà de ses pensées par la force, les passions et la vie de ses créations, mais il est en guerre ouverte avec elles ; car le symbole qui émane de la vie de tout être est bien plus haut et plus impénétrable que le plus merveilleux symbole préconçu, et la simple vie des êtres contient des vérités mille fois plus profondes que toutes celles que peuvent concevoir nos plus hautes pensées. Si je parviens à créer des êtres humains, et si je les laisse agir en mon âme aussi librement et aussi naturellement qu'ils agiraient dans l'univers, il se peut que leurs actions contredisent absolument la vérité primitive qui était en moi et dont je les croyais fils ; et cependantje suis sûr qu'ils ont raison contre cette vérité provisoire et contre moi, et que leur contradiction est la fille mystérieuse d'une vérité plus profonde et plus essentielle. Et c'est pourquoi mon devoir est alors de me taire, d'écouter ces messagers d'une vie que je ne comprends pas encore, et de m'incliner humblement devant eux. A un point de vue plus restreint, il en serait de même des images qui sont les assises en quelque sorte madréporiques sur lesquelles s'élèvent les îles du symbole. Une image peut faire dévier ma pensée ; si cette image est exacte et douée d'une vie organique, elle obéit aux lois de l'Univers bien plus strictement que ma pensée; et c'est pourquoi je suis convaincu qu'elle aura presque toujours raison contre ma pensée abstraite ; si je l'écoute, c'est l'univers et l'ordre éternel des choses qui pensent à ma place, et j'irai sans fatigue au-delà de moi-même; si je lui résiste, on peut dire que je me débats contre Dieu... |
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Maurice Maeterlinck (1862 - 1949) |
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