Michel Deguy |
monte écouter par le chemin du sang après d'interminables préparatifs de repas de mariages de passions de toilettes de maison de rangement d'opinions ils se tassent les uns à côté des autres redresse enfin monte écouter le chef d'exode qui d'un geste les décapite ouvre l'ouïe à l'absence puis greffant une parole à leur corps les ravive Moïse confié aux phasmes Invente pour eux leur homologue La ville le peuple l'histoire Voyons l'esprit nomade allons l'accueillir Avec honneur avec préparatifs Sortons au-devant de lui est-ce lui Sur le chemin tout le jour qui monte à Damas Sa voix reconnue comme la voix d'un autre Alors entra ce qui était là Les murs firent un pas en avant Les meubles se présentèrent dans l'horloge ininterrompue Le silence fut chez lui Ce que ça coûte d'écrire, comme vous dites, vous ne le soupçonnez pas, le taedium, l'endurance du jeûne. Tristesse, te voici. Je te reconnais à la lisière de l'orage avec tes habits de Sologne. Oui, l'humeur vague où vous baignez je la crispe en paroles; mes yeux sur vos épaules pour vous aviser : une certaine attention que vous n'apprîtes pas, et c'est pourquoi la sourde déception vous entoure souvent. Ce qui au vol vous échappe, je suis là pour vous le dire - trop tard. Il vous a échappé ceci, qui s'est posé pour moi comme une semence de platane; ceci qui fait que je peux saluer la tristesse : il y avait je ne sais quelle résignation de la très petite fille pendant que la mer cernait cette dune avancée ; le large évacué soudain comme le mail sous l'orage, et tandis que la bouche d'un oncle retombait, un de vos fils rejetait sa mèche en silence; il y avait l'angle de son cou et l'automne amené de force par l'océan comme un tri de taureaux camarguais; tout ce que vous ne savez pas joindre et qui vous tourmente maintenant comme un profond parasite; ces relations rapides dont vous êtes victime; je veille, vous me trouvez silencieux. J'appelle la circonstance porche de septembre. Vous me trouvez taciturne, j'attends comme un serviteur d'accueillir ces lignes que vous négligez; la douleur même de mon épaule et l'oisiveté d'un enfant qui transforme, le temps d'un dactyle, la chaux en mur lamentable; l'entrée de la mouette de dos dans le taillis de l'averse; l'éternel retour, fugitif, inattendu, des motifs dans notre cirque de courbes, il me faut veiller sur la lampe à huile pour l'attendre tard et qu'il me trouve prêt malgré tout à remarquer le signe rapide dont il honore; vous êtes sombres parce que vous n'avez pas su - vous en êtes innocents, et pourtant malheureux - que c'était à saisir, ce bas aparté contemporain d'un if qui se rejette, et, j'y reviens, les deux bras silencieux de la très petite fille acceptant soudain sa mère et son père, mais la fenêtre battait, le gardien des vaches siffle, une main retombe au premier plan, et ce geste pour chasser l'insecte, qu'on prend pour une larme, et voici la tristesse entre ses deux parois qui nous invite à traverser. C'est à quoi je m'emploie. La tapisserie défaite et retissée, l'étrange filet tendu pour vous mais vous ne le relevez pas, de silhouettes de contes, de rameaux en couleurs, d'alertes chez les oiseaux, d'entrailles de jusant, de pages écorchées, d'assonances fanées qui revivent, car tout est rencontre beaucoup plus surprenante que celle d'un tesson et d'une fleur dans le même réseau, et l'art de nos époques rejoint ce qu'il y a, la concroissance instantanée de regards et de branches, ces alignements d'amers : votre manche, le bouton noir de la fenêtre, un cri de gibier; cette carte marine changeante : quelles hauteurs de tons différents dans le faisceau qui se défait aussitôt de nos phrases, on dit « conversation », le vent ouvre un livre, et c'est Pindare que la couverture recache, un avion s'enivre, la voile rouge de Thésée double le cap de Branec, la chanson à la mode croise la rue, les sours échangent des propos méchants, tristesse te voici. Art poétique Le corps et sa charade Quand le vent s'enroule dans les veines Un vivant crucifié Le haut lui passe, un tuteur aux épaules Ii marche pendu Contre la pesanteur Le nom et la chose Disant à son fils le nom d'une fleur (S'il n'oublie pas son premier vers le poème décline) Liseron mais pourquoi, fragte er, Cette fleur ne s'appelle pas blanche? Albe liseron grimpacée Le nom qui convient mimerait quelle genèse Le voyage Au pays où les hommes sont pieux Et la lune croissante Les morts les corbeaux les cyprès fortifient ensemble Un argument contre l'idéalisme (j'ouvris un livre sur la déportation : celle à qui fut donné de vivre dans son tombeau ses jambes se séparaient) L'ouvre et le nom L'Aurige au visage d'Aurige Doucement staring at (toutes levées vers lui les consultantes cerclant sa figure orbitante) Enseignait que l'ouvre ne déçoit pas son nom I^e poème et son espérance Entre l'or et le ciel un grand vent Il rendrait la justice sur la litière du bateau Les oiseaux sans compte auguraient Ce qu'un poète a fait Un autre ne peut le défaire Le mot chargé d'horreur, d'aimant Prête son nom à ce qu'il intitule Nef chargé de sel, de distance Prête son nom au bateau confondu avec lui Tandis qu'il passe en secret alliance Avec bleu - lui déguisé en échantillon - Ils tolèrent le commerce fructueux De leurs homonymes pseudonymes (Topposerais-tu, lecteur (ici tutoyé comme naguère), lecteur que les statistiques disent soupçonneux envers les vers, t'opposerais-tu à ce que nous feignions, non sans jovialité, de distinguer entre types de poèmes?) Poème pour (re)poser questions qu'on ne pose plus en dehors du poème, même pas la « phénoménologie », qui doit choisir ses phénomènes,.. Les chiens vont sur la terre comme nous sur le tapis de la mosquée Pour courir « comme eux » il faut le long métier d'athlète « D'un bond » l'un, s'il est distancé, un chien Rejoint silencieusement l'autre II n'est pas lourd Mais simplement comme un bateau ou plutôt La terre est une étrave et leur course la houle discrète Que veut dire ergo la lourdeur des hommes? Il y a aussi des histoires de famille : Souvent quand elle ferme la porte Ma fille rentre plus précoce Elle porte son image devant Comme le feu dans la férule Visages apparentés font comprendre les masques Un souffle de verrier creusant le plasme les promut Vide enceint d'os la face comme la terre Que tu t'excentres en vain pour voir Le masque des « Deguy » des « Balubas » Devant « soi » crocheté à la cimaise de l'axis De toi tu parles à la première personne L'eau me coulait sur la bouche Et c'est peu supportable Des notes prises au cours de vivisection quotidienne : Les greniers du ciel se remplissent La mort dans la main gisante se réveille Les jours un fardeau de bûches Qui disparaît par le col des épaules Les yeux se rejettent Avant l'os qui va suivre Le stère du temps s'écroule Comme un visage du Greco Des fables : Traité de l'équilibre des liqueurs Entre les paumes le vase d'air, entre les côtes Le vase de bronches, entre les ailes ce vase, Entre les hanches ce vase d'arachide, entre Les ailettes ce vase d'os fin, entre les myocardes Ce vase de sang, entre les amis ce vase de cendre Entre les lèvres ce vase courtois, entre les oreilles ce Vase de lignes, sur la tète cette urne bleu ciel De sorte que si tu renverses un verre les femmes s'affolent Des moments de nostalgie : Fin dans les villes sur le dos Du fleuve d'où la ville se découvre Ovide Lucrèce Gothe Suarez La Renaissance la Rhétorique Hardes qui vêtent sur les ponts Le cynisme qui change d'échelle Sous l'urne bleue des restes du ciel Des autoportraits : C'est fait de la même manière un endroit Rio quand vous y êtes ou Neuville ou Lima Le linge de Cusco d'églises sur la pente Les naïades Varig dans les agences transparentes Le grain des bords le temps de tourner la rue Je ne peux congédier le grand souk du transept Il n'est fidélité dont je ne sois capable Ici des hommes qui s'appellent Rivière (Quand deux poètes se font face Il vaudrait mieux que ce fût Deux lutteurs turcs à culotte graissée Oiseaux du même sexe étonné Eux s'évitent comme deux métamorphosé») Des moments de rêverie, portée au refrain, au blason, au souvenir : Où la Loire abrite Comme un nuage Où la carte ressemble A la carte du tendre Le Loir et Montrésor « ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais » Cette aflluence que Tenfant doit voir Du féminin et de son masculin Cet échange que l'enfant doit savoir Du masculin et de son féminin Car la rivière est Loir Et le fleuve est la Loire Tandis que dort leur homonyme Dans l'autre règne et dans l'autre saison « ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais » Jeanne est un synonyme Une femme une rivière Où s'agenouille le lavoir Au creux de notre histoire En cette langue patriotique où riment Loire gloire et croire et Loir et soir « ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais Non des fleurs ou des songes Mais cherchant le langage de langue Car si j'écris victoire Ce n'est pour que vous voyiez rouge Mais pour que vous entendiez Loire « ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais » Et, pourquoi pas, donc, des jeux d'anagramme : As-tu remarqué comme les bêtes tiennent leur distance? A peine entrons-nous, elles se dérobent, reculant jusqu'aux bords : corbeaux, cervidés, chats même, ces ailes entrevues qui décroissent; de sorte que pour les voir il fallut les lier à la maison, poissons qui détalent, bêtes évanouissantes tant que les enfants ne savent pas leurs noms et qu'ainsi, vivant sur la terre, elles demeurent inconnues. Le loup alors, le loup que des lunettes même ne suffisent à rapprocher, et qui se métamorphose en berger dès que nous l'encageons, le loup posé sur la lisière de la nuit entre chien et crépuscule, le loup serait un des noms de la bête incapturable ; plutôt, il nomme l'imminence de ce qui nous frôle, la noirceur, tout près de nous, de toute quasi présence à contre-jour; car la lampe dissipe l'ombre, mais il suffit d'un couloir, d'un resserrement, de quelque coude qui cache la vue pour que les' enfants pressentent son embuscade. Et pour chacun quand il s'agit de paraître dans une identité défiant toute connaissance, à la faveur de la fête on se masque avec sa peau. Le loup dévore son antonyme la poule blanche, ronde, étourdie ; son blason contrasté offre cette étrange figure de l'intérieur qui échappe à toute révulsion : sa peau retournée ne le livre pas; la mort ne le menace pas. Aujourd'hui que l'homme-loup de Frazer ou de Gordon pend dépecé dans les musées de l'Homme, l'enfant et le loup, l'enfant-loup en un comme le Mino-taure, que la chronique inquiète tire parfois d'une forêt-monstre du Dekkan, l'enfant qui surveille les bonnes versions de la fable, l'enfant-joue, l'enfant qui se change en cache et que fascine la simple irruption, pareil aux insectes qui se médusent par leurs ocelles, l'enfant dont le cri de jeu n'est qu'une longue assonance au loup, l'enfant hou-ou, pour lui le noir est métaphore du loup, tout lieu reculé son anagramme... Le loup de profil, figure de ce qui va surgir de tout angle, le loup en oreilles, jaloux triangulaire omni-absent comme la face cachée des choses, doublure ombreuse au verso de ces retournements même qui cherchent à débusquer tout le non-vu et s'imaginent que l'inouï va bientôt être tiré au clair, c'est de son pas que s'approche, la langue l'atteste, à la faveur de l'obscur tout l'envers innommable dont le secret ne peut pas être levé. (Que le poème enveloppe une valeur de grammaire première, refondation de tropes, naissance de l'usage ou pouvoir de la langue dans ses possibilités.) Maintenant Elle peut venir à tout instant « Maintenant nous voyons en figure » Il n'y a qu'une seule figure La genèse est de mise : Nous sommes dépossédés - De la distance du génitif Comparution Comparaison Maintenant elle peut paraître à tout instant « Cette chose formidable Disait l'Homme-qui-rit Une femme en son nu » Métaphore est anagramme D'Aphrodite anadyomène O promise ô saisissante Le n'-approche-pas de ton lever Met en état le poète dessaisi De soutenir l'apparition « Comme en un jour de fête » Le poème commence fête rythmique par son ouverture ouvragée qui fait le silence, et nous aurons des mots pleins d'odeur légère... Car un poème est une sorte d'anagramme phonique de ce « mot de lui-même » qu'il ne livre pas autrement, ce mot crypté en lui comme l'acrostiche sonore qui se cache, cette arcature qu'il cherche en avançant comme le sourcier de sa propre source, une sorte de variation paronomastique sur son propre ton-clé qu'il fraye aveuglément à soi-même; le poème se fait sonner pour ausculter son cristal. |
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Michel Deguy (1930 - ?) |
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Portrait de Michel Deguy | |||||||||
Biographie / OuvresMichel Deguy, né en 1930 à Paris, est professeur à l'Université de Paris VIII. Président du Collège International de Pliiloso-phie de 1989 à 1992, il préside la Maison des écrivains (jusqu'à fin 1998) et le Centre International de poésie de Marseille. Il est rédacteur en chef de la revue Po&sie (Beliu), membre du comité de la revue Les Temps modernes. Après les prix Fénéon, Max Jacob et Ma |
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