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Mohammed Khaïr-Eddine



Nausée noire - Poéme


Poéme / Poémes d'Mohammed Khaïr-Eddine





I

Un prisme ouvert posé au hasard des chardons

et nulle cause pour vivre

sauf que je vais aveuglément mais plus intense que toutes les sauterelles

absent de bruits presque ininterrompu

à chaque angle un nouvel écriteau les rues me croisent

un accroc

serait-ce encore cette pêche au sommet des roseaux

non

les affiches mentent voyez leurs couleurs

je recommencerai à zéro s'il le faut f voilà qu'une fenêtre s'ouvre sur moi-même

je donne tout entier sur un terrain vague

ce matin le soleil est mûr

et je ne doute pas que l'hiver soit fini

oubliés les sommeils plombés

les silos enténébrés où pas un songe n'entrait

repassée ma vie telle une chemise neuve

ma vie lavée de ses tressaillements des craintes du devenir

ce matin le soleil découpe sur la vitre

les ors verts jamais attendus

et tombent dans mes paumes des figues de barbarie

comme au creux des rochers qu'on disait habités

III

il dégringolerait du plus haut pic

se disperserait

comme l'essaim d'abeilles que frappe la rafale

laissez-moi seul avec mes risques

mes douleurs

mes cicatrices

je veux à peine vous frôler

puisque nous sommes inséparables

chaque jour des faits

des chaînes brûlantes

mais ce ne sont que des hommes les mêmes qui reprennent d'autres poses

devant un peuple que ses propres plaies démangent

quelque part des aveugles

des ventres creux

des villes mortes dans l'estuaire

survivras-tu

tu trembles

à l'approche du fruit

une cheminée découpe l'enfer

ta sueur brûle avec la résine et le fer

demeure habitable

demeure inconcevable les rires comme du gravier tranchant

la terreur dans ton corps comme l'encre de chine

il est temps de sortir

IV

mon sang noir plus profond dans la terre et dans la chair du peuple prêt au combat

mon sang noir contient mille soleils

le champ tragique où le ciel s'entortille

je ne veux plus de couleurs mortes ni de phrases qui rampent dans les cours terrorisés

vous êtes pris entre moi et mon sang noir

coupables de meurtres tournés traîtreusement à quelque phase obscure

mon passé se lève aussi

égal à ma hauteur

foudroyant

pareil au jour qui reparaît

ruisselant d'encres noires

mon sang noir sur une colline je vous traînerai dans la boue faite de mon sang noir vous et moi

jadis porteurs de mythes

mon sang noir était le lait ardent des mamelles du désert vous et moi comme un vent inconciliable

des tonnes de sable

des éternités de molécules

nous séparent à présent , car je suis le sang noir d'une

terre et d'un peuple sur lesquels vous marchez

il est temps



le temps où le fleuve crie pour avoir trop porté

comme un serpent noir il broie roches et cèdres

jusqu'à la mer qui le comprend

debout présent ensemble vous en face des cadavres dont est lourd mon passé

des cadavres dont les vers ne sont pas desséchés

moi juge pour avoir été victime car mon sang noir coule dans la terre et au tréfonds du peuple

seuls témoins et mon passé surgi du plomb qui l'a brisé

V

tu meurs

mais je t'accompagne dans cette poussière où tu rampes

nous n'atteindrons pas au fruit que nos regards font éclater

nous tomberons au pied de l'arbre

nous nous donnerons

puisque rien ne nous sera donné tu meurs mais je te sais pour une dépouille printanière

où le fruit grossira à même la paume chaude

de qui te plantera au milieu des marées

nous donnerons le fruit le plus clair du futur

puisque seuls nous rampons vers l'arbre qui nous nie

puisque dans son écorce nous avons découvert

une route secrète que les branches ignorent

tu meurs mais je suis nu dans l'herbe vorace qui m'amenuise

et nous aiguise ensemble nous lave de la pierre nous rampons unanimes vers l'arbre qui vacille

pour recevoir la dernière goutte de ton sang noir

et donner au futur le fruit le plus étrange

qui parle dans la bouche

de milliers d'innocents morts dans notre sang noir

IX

le poète c'est toi qui te perds en même temps que tout le sang du monde

criblé

blessé

comme ce soldat de qui cogne à ma mémoire

et ne trouve plus large issue que ma vie

ouvert sur un désordre

au pays cette année les figues mûrissent à même le rocher

il saigne

mais voici que la chambre ne suffit plus

le poète c'est toi

toi qui te nourris de la nostalgie du futur

X

Je ne décrirai pas un oiseau qui s'écroule prend feu

ai-je jamais voyagé plus loin que ne promet un champ

et pas de mains hors de leur corps vivant

pas de chair qui ne sache point me découvrir un centre

je ferai le périple

m'acquitterai des dîmes que suppose ma douleur

un jour funeste passe plus vite que son bruit

et mon ombre toujours comme une tache d'huile

mes morts



je les ai vus

vécus même

laissez-les réinventer les pierres

secouer la terre

s'ils partent ne dites pas ce que disent les veilleurs

ils ne remontent pas leur présent

n'accouchent pas de fantômes

puisqu'ils passent et repassent

tordent la nuit

à rompre les amarres d'un navire prêt à doubler ma vie

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Mohammed Khaïr-Eddine
(1941 - 1995)
 
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Portrait de Mohammed Khaïr-Eddine
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