Nicolas Boileau |
... Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le voi, Que le plus occupé dans ce jardin, c'est toi. Oh ! que tu changerais d'avis et de langage, Si, deux jours seulement, libre du jardinage, Tout à coup devenu poète et bel esprit, Tu t'allais engager à polir un écrit Qui dît, sans s'avilir, les plus petites choses, Fît de-s plus secs chardons des oillets et des roses, Et sût même aux discours de la rusticité Donner de l'élégance et de la dignité... ... Bientôt, de ce travail devenu sec et pâle, Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle, Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau : « J'aime mieux mettre encor cent arpents au niveau, Que d'aller follement, égaré dans les nues, Me lasser à chercher des visions cornues, Et, pour lier des mots si mal s'entr'aceprdants, Prendre dans ce jardin la lune avec les dents. » Approche donc, et viens; qu'un paresseux t'apprenne, Antoine, ce que c'est que fatigue et que peine. L'homme ici-bas, toujours inquiet et gêné, Est, dans le repos même, au travail condamné. La fatigue l'y suit. C'est en vain qu'aux poètes Les neuf trompeuses Sours, dans leurs douces retraites, Promettent du repos sous leurs ombrages frais : Dans ces tranquilles bois, pour eux plantés exprès, La cadence aussitôt, la rime, la césure, La riche expression, la nombreuse mesure, Sorcières, dont l'amour sait d'abord les charmer, De fatigues sans fin viennent les consumer. Sans cesse, poursuivant ces fugitives fées, On voit sous les lauriers haleter les Orphées. |
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Nicolas Boileau (1636 - 1711) |
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Portrait de Nicolas Boileau | |||||||||