Othon de Grandson |
Une jeune, gentil bergère Et un simple loyal berger Vis jadis sur une rivière Entre les autres soulacer * Tôt après ouïs commencer Au berger demandes et plaintes, De joye peu, de douleurs maintes. Car il disait en sa clamour Et en jurait saints et saintes Que trop le tourmentait Amour. La bergère, plaisant et belle, Qui de tous biens savait assez, Lui répondit : « Certes, fait-elle, De trop grand tort Amour blâmez, Puisqu'à lui vous êtes donné Et mis tout en sa gouvernance. Votre cour doit prendre plaisance A tout ce qui est son vouloir Et recevoir en suffisance Le bien que vous pouvez avoir. » « Belle, s'il vous plaisait à dire, Dit le berger en complaignant, Quelle chose me doit suffire Et quelle ne m'est suffisant, Le dieu d'Amour prends à garant Que volontiers content seroye. Mais Amour veut que doubteux * soye Quand à plusieurs vois désirer Ce que tout seul avoir voudroye Et si ne l'ai pas à garder. » « Donc, dit-elle, nul n'a puissance De tolir * aux gens le penser, Soit de montrer leur contenance, De rire ou de regarder. De ce nul ne les peut garder. Mais qui en Loyauté se fie, Je crois Amour ne s'en plaint mie. Ainsi lui plaît que honneur fasse, Soûlas * et bonne compagnie, Pour acquérir bon nom et grâce. » « Cour gracieux, ne vous déplaise, Ce dit le berger douloureux, Cuidez *-vous que mon cour soit aise Quand de vous suis fort amoureux, Et je peux voir un ou deux Ou cinq ou dix ou vingt ou trente, Qui chacun d'eux met son entente En moi vers vous désavancer ? Certes, Amour, veut que je sente Ce qui me nuit et peut aider. » « Et quand Amour n'y a pensée, Intention ni volonté, Pourquoi est-elle donc blâmée Si les nices font niceté ? Quand Honneur garde loyauté, Ce dit la bien sachant pasteure, Amour aurait vie trop dure Si jeunesse ne se jouait. Autant vaudrait tort que droiture, Si nul en bien ne se fiait. » « Belle, voir * est ce que vous dites, Que jeunesse se doit jouer Et de tous biens doit être quitté Cil qui ne s'y ose fier. Mais s'il vous plaisait aviser A qui se doit jouer jeunesse, Fors * à honneur et gentillesse, Et là où ses yeux sont bien pris, Car folour *, cuidier * et rudesse * Donnent souvent blâme pour prix. » « Donc voudrais-je bien apprendre, Dit-elle, et moi accointer Par quel tour je me dois défendre De cette gent accompagner. Si un fol me dit son cuider *, J'ai ma réponse toute prête Devant tous loyal et honnête. Mais quand nul ne me parle rien On doit d'honneur fuir la fête Ni laisser à montrer ses biens. » « Si répondre je vous osoye Selon ce que je sens et sais, Certes, belle, je vous diroye Que loyauté en fait l'essai. Car qui aime de fin * cour vrai Il y faut montrer sa manière Selon son cour, forte ou légère. Et quand Amour règne bien fort, Bel Accueil s'en tient si arrière Que nul cuider n'y prend confort. » Si Bel Accueil ne venait mie Fors en un lieu tant seulment, Si dit la bergère jolie, Chacun verrait appartement Là où amour du cour entend, Dont honneur pourrait avoir blâme Et encontre raison diffame. Et si amour se doit celer, Il convient doncques une femme De plus d'un veoir * et parler. » « Je ne dis mie le contraire, Mais tel parler et tel veoir Ne doivent conforter ni plaire Nul de ceux qui font leur pouvoir De votre grâce recevoir. Puisque vous savez leur courage Par leur dit ou par leur message, Si plus fort ne les étrangez * Ils cuident bien que leur langage Vous soit plaisant, dont ils sont liés *. » « Je fais souvent grant abstinance De vivre ainsi que je vueil '. Mais dessous autrui gouvernance Me faut départir mon accueil Sans épargner joie ni deuil. Et, puisque loyal suis trouvée Et je serai loyal prouvée, Cuide chacun ce qu'il voudra. Car où que bonté soit celée Toudis * le bon la trouvera. » « Belle, des bons n'avez-vous doubte * Car ils bien disent et bien font Mais les nices * n'y voient goutte Quand en penser sont bien parfonts *. Par folie le bien défont Et prennent sur eux vos semblances, Vos regards et vos contenances Et tout ce qui leur peut valoir. Et après en font leur vantance Et cil n'en disent de rien voir. » « Ils peuvent prendre par folie En eux mes regards et mes yeux, Mais rien que je fasse ni die ' A mon propos n'est pas pour eux. S'ils sont dolents, s'ils sont joyeux Il ne m'en chaut *, je n'en ai cure. Franche suis, loyal nette et pure, Je mets les médisants au pis Les vanteurs ont bien leur droiture Car les maîtres en sont honnis. « Je maintiens d'Amour la parole, Mais les faits sont maîtres de moi. Quand Loyauté tiendra école, Chacun étudiera pour soi. J'ai grand désir et bonne foi De lire du livre de Joye, Et plus volontiers le sauroye Par cour pour mes maux alléger, Mais si par vous ne le lisoye, Autre ne m'en pourrait aider. » Nul ne peut ce livre lire S'il n'est suffisant ni patient. Amour le fait de gré écrire Invisible pour maintes gens Qui y regardent tout leur temps Et cil n'y connaîtront ja lettre. Car qui à lire se veut mettre, II ne doit pas si clair veoir Qu'il veuille tout ce qui peut être Encontre lui apercevoir. » « Comment peut ce loyal cour faire Quand Amour gouverne son sens ? Veoir son mal et puis soi taire Et feindre qu'il soit bien content ? Certes, selon ce que je sens, Comme la mort le souffrirais Malgré moi, quand mieux ne pourrais. Mais là où son amour feindrait De celui cour je jugerais Que sans douleur le souffrirais. » « El puisqu'il est donc la manière Que servant veulent chalenger *, Amour se doit tenir si fière Que toudis soyent en danger De requérir et de prier Pitié, merci, miséricorde. Quand Amour les tient en sa corde Faire son gré en peut et doit, Car sa grâce ne ci accorde, Sur lui n'ont chalenge ni droit. » « Chalenger ne sais ni pourrais. Crier merci est mon métier. Mais si par trop ne vous aimais, Mieux sauroye mon cour aiser, Sans lui grever ni ennuyer, Par rage ni par jalousie, Par doubtance ni par envie. Et qui tel chalenge querrait, Là où amour est refroidie, Ja un tout seul ne trouverait. » |
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Othon de Grandson (1340 - 1372) |
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