Othon de Grandson |
Il est grant * aise de penser. Si ce n'était que pour passer Aucune fois l'heure du jour. Bien met le corps en grand séjour En grand repos et en grant aise Le penser, qui le cour apaise. Penser peut homme jour et nuit. Que ja nul ne peut savoir S'il pense fouleur * ou savoir, Tant qu'il même le découvre Ou par parole ou par ouvre. Et si fait au cour grand soûlas * Quand un homme est pesant et las Et il veut prendre son repos, Il peut penser sur tel propos Qu'en son propos s'endormira. Et, en dormant, il songera Aucune chose merveilleuse, Bonne pour lui ou dangereuse, Aussi com * je fais, au matin, Le jour de la Saint Valentin. Cette nuit avoye ' veillé, Car mon cour m'avait travaillé Pour plusieurs diverses pensées Qui ne sont pas toutes passées. Si m'advient que m'endormis Sur un lit où je m'étais mis. Et me semblait, en mon dormant, Qu'un rubis et un diamant. Le jour d'avant, laissés avais En un verger, et les devais A ce matin aller chercher. Mais quand je vins près du verger Où cuidais * trouver mes anneaux Je vis dedans plusieurs oiseaux. Blancs et noirs, privés et sauvages. Sors *, muets, niais et ramaiges *, De bois, de champs et de rivière. De maisons et de colombiers. Petits et grands, tous y étaient. Et, devers la mer, y venaient Oiseaux de diverses façons. Illec * faisaient leurs parssons *. Chacun y choisissait son pair Qui veït ' l'un l'autre appair , Bec et bec, mâles et femelles, Il se embrassaient des ailes Et alignoyent ' leurs plumettes. Les douces avec les doucettes, L'un près de l'autre se jognoyent ' Et au soleil se pourrignoyent *. Et seuls qui savaient chanter Voulaient leur métier hanter. Le roussignol et la maulvis * Se taisaient moult à envis *, Dessus tous ouïr se faisaient. Et les colombeaux se baisaient. Chacun faisait à sa manière Ce que lui semblait bon yere '. Et bien se savaient aiser Fût de regard ou de baiser, Ou de tout ce que l'un savait Qui à l'autre plaire devait. A leur semblant apparaît bien Que chacun était lié * du sien, Car ils avaient suffisance Et de deux * biens grant abondance. Entre eux tous était assise L'aigle qui tenait sa justice Et faisait à chacun raison Selon le jour et la saison. L'aigle tenait son pair près d'elle. Cette parsson * était moult * belle, Car tous étaient deux à deux. Moult me plaisait la vie d'eux Et leur déduit * que je voyais Et de ce grand soûlas * avais Qu'il me semblait, en mon courage, Que j'entendoye leur langage, Dont j'étais moult conforté. Et ci était mon confort tel Que j'oubliais mes annelets Pour écouter les oiselets Et pour ouïr ce qu'ils disaient. Ci entendis bien qu'ils usaient Trétous * les ans, à cette fête, Que chacun d'eux tête pour tête, Chacun choisit à pair en son degré Celui qui mieux lui vient à gré. Et font ensemble leur demour * Pareille de cour et d'amour, Jusques à fin de l'année. Et quand la saison est finée *, Qui veut, il peut son pair changer Et choisir autre sans danger. Mais, soit faucon soit épervier, Sacre *, gerfaut ou mylion *, Ou oiselet d'autre façon. Certes ceux la font fausseté Qui premiers brisent l'amitié. Ne le tiennent nul à mensonge, Or veux retourner à mon songe. En mon dormant m'était avis Entre les autres que je vis, Un oisel assis sur un pin Qui semblait faucon pèlerin, D'ailes, de chef * et de corsage, De pieds, de bec et de plumage, De long, de gros et de largeur, De siège, des yeux, de hauteur. Très bien le faucon ressemblait, Or presque tiercelet * était. Car de ce me pris-je bien garde, En sus des autres tout seulet, Sans longes * et sans chapelet. Mais il avait entour ses pieds Bonnes campanes * et beaux giets * L'aigle qui bien l'apercevoit, Comme celle qui clair y voit Le fit devant elle venir Pour la coutume maintenir Et ce lui dit, sans plus tarder : « Pourquoi viens-tu ci regarder Notre fait et notre conseil, Si choisir n'en veux un pareil, Ainsi comme ces autres font Qui ci entour assemblés sont ? » « Aigle, fait-il, pour Dieu merci. Sache de vrai que j'ai choisi Si bien, si bel et si apoint Que autre choisir ne veux-je point, Et si ne puis, pour nul avoir, Celui que j'ai choisi avoir. Ja soit mon affaire petis Si suis-je des oiseaux gentis *, Et ne suis mie * si étrange Que voler veuille pour le change *. Le change ne m'est bel ni gent *. Je fus jadis privé des gens Et, si je puis, encor serai. Dolent suis que je mesarrai, Mais j'aye de mal envie. Si savoir voulez de ma vie, Sachez de vrai que j'ai été, Plus d'un hiver et d'un été En la garde d'un gentilhomme, Nul besoin est que je le nomme. Mais il m'a fait et m'a appris, Et tient maints bons oiseaux de prix, Faucons tiercelets * et laniers *, Volants, réclamés * et maniers, Qui très bien et hautement volent, Quand il fait beau temps et ils veulent. Entre tous ses faucons a un, Et ci n'est mie du commun, Mais est des autres dépareil, Tout ainsi que le soleil Est dépareille de la lune. Cil oiseau a telle fortune Qu'il est aimé et cher tenu Devant tout autres plus que nul. Tant par est beau et bien volant Que chacun lui est bienveillant. Il est en tous ses faits certain Et à voler le plus hautain Et, nonobstant sa grant hautour, Jamais ne ferait un faux tour, Tant sait à point de l'aile battre. Lui seul fait plus que vingt et quatre, Soit pour héron ou pour rivière. Rien ne part, s'il veut, qu'il ne fière *, Sans son corps trop évertuer. Mais il n'a cure de tuer, Ains * tient tout en subjection. Car sa noble condition Est de voler toujours plus haut. Ja ne sera le jour si chaud Que de l'aller plonger ait cure, Tant par * est sa noble nature. De sa bonté ne faut parler : Pour bien voler et revoler Il n'est oisel qui mieux l'endure. N'il n'est besoin que on le hue, Car il est toujours vers la nue. Et s'il part malart * ou crécelle Ni oisel qui par force d'aile Veuille contre le vent voler Pour soi cuider à eux sauver, Cil-là le fait tantôt remettre, Puisqu'il s'en veuille entremettre, Soit de hauteur soit de toit. Et puis ci leur est si courtois Qu'il ne les fiert * ni ne méhaigne, Ou il ne veut ou il ne daigne. Mais les prend-on vifs à la main. Bien vole au tard et mieux au main Bien fait d'été et mieux d'hiver. Jamais ne trouve temps divers, Et ci n'aime change ni sort. Il n'y a tel mué ni sor *. Cil a tous les autres passé. Point n'est de bien faire lassé, Tant est gentil et vertueux, Le bon, le bel, le gracieux. Bien pert ' qu'il est de bon affaire, Car il n'est nul plus débonnaire, Plus doux ni de meilleur coutume. Et porte la plus belle plume Que nul oisel puisse porter. C'est un déduit * à déporter * De lui regarder seulement, Sans avoir plus d'ébattement, Soit à l'hostel ou soit au champ. Il n'est nul oisel mieux sachant De bien savoir faire son droit. N'oncques ne vis si doux regard De nul oisel, si Dieu me gard Ni qui tant fut poli et net En tous les lieux où il se met. Et s'on le veut lorrer * ou paître, Il sait mieux ses droits que son maître Le bien de lui et la beauté Ne vous auroye pas conté, Entre ci et deux ans entiers, Mais vous dirai volontiers En quel point j'ai mon temps usé. Ci me tiendrez pour excusé De ce que ce pareil ne quier * Autre chose ne vous requier. Sachez de vrai que cet oisel Que les gens tiennent à si bel Et à si bon et à si doux, C'est cil que j'ai choisi sur tous, Ja sais ce qu'il ne sait pas. Car je feroye grand trépas Et grant folie et grand outrage Vers un oisel de son parage, Si pour mon par * le demandoye. Tel ne suis que faire le doye. Mais pour ce que la nourriture Ne peut apaiser ma nature, Ni restreindre le grand désir Que j'ai qu'il me voulût choisir, Et, d'autre part, j'ai grant paour *, Que ce ne fût pour mon peyour ', S'il le pouvait apercevoir. Si que pour faire mon devoir Et tous ses périls achever, Sur espoir de confort trouver, Je me suis un peu assuré Et mon cour lui est demeuré Qui nuit et jour ne part, Ni choisir ne veux autre part. Jamais autre ne choisirai. Pour lui ma franchise lairrai Et tout le déduit * du bocage. Si me remettrai en servage, Soit sur le poing ou soit en mue, Sans que jamais m'en remue. Il ne me chaut par quelle voye, Mais que souvent des yeux le voye, Car je n'ai plume méhaignée. Quand je suis en sa compagnie, Je suis en parfaite plaisance A regarder sa contenance. Et à voir ce qu'il sait faire Que rien ne me pourrait méfaire. Tant aise suis quant à ce viens Que de mon mal ne me souviens. Et si j'eusse conneù Le divers temps que j'ai eu, Et celui que, jour et nuit, ai Depuis que de lui m'éloignais, Sachez bien que, par nul parti, De lui ne me fusse parti. Mais oncques, en tout mon vivant, Senti n'avoye si avant Quelle douleur est d'éloignier Ce qu'on aime de cour entier. Or l'ai si avant éprouvé Que maint mal jour y ai trouvé. Qui veut longuement demeurer Sans revenir là où il aime. Souvent convient que las se clame, S'il n'a cour d'acier ou de fer. Car c'est un des tourments d'enfer, Sans repos et sans finement. Je le sais de droit sentiment. A bref parler et le voir dire, C'est bien de tous les maux le pire. Et pour ce je retournerai Le plus briefment que je pourrai. Or vous ai tout conté mon être, Ci ne veux plus entre vous être. » Lors s'écria à haute voix : « A Dieu vous commens, je m'en vois ' » Il prit son vol et s'envola. Et l'aigle qui premier parla Dit, quand elle l'eut écouté, Que bien avait son fait conté Et que loyaulment se partait L'oisel qui d'eux se départait. De celui fait plus ne parlèrent, Mais tout à coup s'envolèrent. Ainsi comme il me semblait, Chacun à son pair s'assemblait, En volant parmi le pays. Et je qui remains ébahi Et eût du jour dormi partie, M'éveillai sur leur départie Et me retournai sur mon lit, Gisant à moult peu de délit *, Car les oiseaux que je songoye, Qui d'amour ont douleur et joye, Me firent en songeant entendre Que moult petit sont à reprendre Les gens, si ils veulent aimer. A tort les en peut-on blâmer, Mais qu'il droit faire leur voudrait Ja nul ne les en blâmerait. Les oiseaux à leur gré choisissent, Et les gens pour aimer élisent Là où leur plaisance s'accorde. Dont bien souvent y a discorde, Car l'un plaît à l'autre non. Chacun quiert ce qui lui est bon. Mais quand bon accord y arrive, Il n'est nul qui si aise vive Comme font ces gens amoureux, Tant sont les déduits savoureux. L'amour des gens faits à parer *, Autre ne s'y doit comparer. Amour est chose naturelle, Mais elle ne sera ja telle Si loyal ni si bien servie Ni tant à son droit assouvie, Entre les oiseaux et les bêtes Qui n'ont point de sens en leur tête, Et ne doublent paour ni honte, Et de danger ne tiennent compte, Mais vivent sans entendement. L'amour des gens est autrement. Gens ont le sens clair et loyal Pour connaître le bien du mal, Et si savent par voye bonne, Garder le bien quand Dieu leur donne Et, si le mal leur faut souffrir. Aussi le savent-ils couvrir Et porter en humilité. Quand gens ont mal, c'est grant pitié. Tant de bien veux à celles gens Qui en aimer usent leur temps, Que, de leur grief et de leur deuil. Me vient souvent la larme à l'oil. Et si m'entre parmi les veines La remembrance de leur peines Qu'à peu me fait le cour partir Des maux qu'il leur convient souffrir. Et ce penser où lors estoie, M'était avis que je sentoie. Ainsi que par pitié douleur. En partie de la douleur Et du mal que ces amants ont. Quand ils aiment du cour parfont * Et sont loin en étranges terres. Pour suïr ' voyages ou guerres. Et ont les cours en grant cremour * Pour doubtance de long demour *, Ni pour chose qui leur déplaise. Le temps retourner ne les laisse, Mais leur est fortune contraire. Car ils ont volonté d'eux traire * Cette part où leur cour les tire. Et paour de ce les martyre : Qu'ils ne savent au revenir A quoi leur fin pourra venir, Ni plus que faisaient les oiseaux Qui tant étaient fermes et loyaux. Tels gens ont moult peu de confort, Si espoir ne les soutient fort. Des oiseaux ne tiens-je plus plais ' Mais du mal des gens me déplais Ja soit ce que je suis mie Nesun * de ceux qui ont amie Et si suis n'aimé n'ami. Ni oncques ne m'en suis entremis, Ni par ne m'en veux accointer A moi mêler d'autrui métier *. Car trop me tenrait-on pour nice *, Si je prenoye tel office Où je ne sais chanter ni lire, Fors ainsi que par oui-dire. Mais, nonobstant ma grant simplesse *, Tant est navré qui amour blesse, Que j'ai pitié de tous amants, Soyent anglais ou allemands, De France nés ou de Savoye, Et prie à Dieu qu'ils les avoye Et conforter en leurs besoins. Nommément ceux qui sont loins De là où leur cour est assis, Dont mains sont tristes et pensis Et si requiers au Dieu d'Amour Qu'il veuille savoir en leur clamour Et ouïr les pleurs et les plains '. Et fasse les cours souvenants A ces dames de leurs amants, Et leur envoie bonnes nouvelles A elles d'eux et à eux d'elles, Et les fasse bien retourner Et tous leurs faits à bien tourner. Et quand ils seront revenus Pour si loyaux soient tenus Que envieux et médisants Ne leur puissent être nuisants, Mais leur soit mis en abandon D'amour le gracieux guerdon *, Pour avoir parfaite plaisance Et chacun jour en accroissance A honneur et au bien des dames Et au plaisir de tout sont amies ou aimées. Si que ja n'en soient blâmées. Et tous ceux qui amants se clament Aient joye de ce qu'ils aiment, Selon l'état de leur service, Gardant les droits et la franchise Et tous les points de loyauté Devant promis ou créante '. Ni ja au dieu d'Amour ne plaise Que loyal cour perde sa place Par nul nouvel entrevenant, Car ce serait pas advenant, Je ne leur puis plis aider Fors seulement de souhaiter, Aussi comme pour moi feroye, Si en lacs d'amour me feroye, Où maintes gens ont été pris, Qui en eux prenant ont appris A savoir aimer de cour fin *. Voici de mon songe la fin. |
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Othon de Grandson (1340 - 1372) |
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