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Paul Neuhuys



Le monde est absurde. quelle joie! - Prose


Prose / Poémes d'Paul Neuhuys





Les premiers recueils du poète - c'est frappant dès qu'on les aborde - s'incrivent encore dans la volonté explicite de retour au monde qui, par réaction contre la quête symboliste de Tailleurs indicible et l'enfermement dans les serres chaudes, marque la poésie, de Verhaeren aux unanimistes, d'Apollinaire et Cendrars à Saint-John Perse. «La poésie nouvelle, lasse d'etreindre des chimères, cherche de plus en plus à se développer sous le contact immédiat de la réalité », dit Neuhuys dès les premières lignes de ses Poètes d'aujourd'hui (P.A., 7). Et dans Le Canari et La Cerise, il insiste à plusieurs reprises sur cette présence du monde: à l'inverse des gens qui, «derrière les vitres embuées (...) ont l'air d'être dans une salle d'attente» (C.5., 16), «les jeunes ne vivront plus selon les vieilles lois (...). Ils étaient las d'attendre et si las d'espérer, et de regarder la vie à travers un vitrail décoloré» (C.S., 20). Ce qu'ils veulent, au contraire, c'est que. selon les préceptes du nouvel «art poêtique», «la tour d'ivoire devienne une maison de verre et se brise» (C.S., 17)



Mais confronté ainsi au monde, le poète n'est plus celui qui. comme un Verhaeren, pensait pouvoir encore le saisir entier dans sa cohérence et son devenir pour en exprimer le sens. Il en a trop éprouvé la multiplicité et les contradictions. (Ne serait-ce aussi que parce que la guerre vient de passer, et avec elle la ruine de bien des illusions ...). Après Apollinaire qui «jette pêle-mêle» dans ses poèmes «les objets les plus disparates» et «ne cherche aucun rapprochement dans les idées» (P.A., 16-17). après Cendrars, auteur d'une «poésie désultoire» qui souvent «ressemble à une liste hétéroclite d'objets trouvés» {P.A., 28), la vision simultanée que l'on entend restituer du monde ne peut que faire sentir le désordre profond qui l'habite et son opacité. «Le bruit des voix a remplacé le sens des mots» {C.S., 20), dira » Neuhuys. Et quand il prétendra avoir « toujours eu l'esprit tourné vers les lois qui régissent l'univers», ce n'est plus que par ironie, pour se référer aux mouvements qui animent «le cerceau et l'escarpolette», puisque, dira-t-il, «je conduisais ma vie comme un cerceau léger» (ZA., 24)...



Y aurait-il eu encore, malgré tout, quelque velléité de retrouver un sens commun, un ordre fondamental, que dada y aurait porté le coup de grâce. Le dadaïsme qui, se refusant à toute logique, «consiste à coucher par écrit les choses qui ne tiennent pas debout», constate sentencieusement Neuhuys, «répond aux exigences philosophiques de l'heure». Et d'en chercher des preuves dans la relativité selon Einstein et dans la théorie bergsonnienne de l'élan vital «qui reflète le changement incessant de l'univers et qui déborde toute canalisation» (P.A., 70). Toutes les catégories qui permettent une lecture cohérente des choses sont donc «mensongères» (P.A.. 79), il faut «se libérer des concepts relatifs de la raison humaine» (P.A., 71). Il ne reste donc qu'une attitude: admettre l'absurde comme loi fondamentale.



Mais cette attitude n'a rien ici de désespérant. Considérer l'absurdité fondamentale du monde constitue au contraire l'unique point de vue qui permette à «la conscience lyrique» contemporaine de se développer au maximum de ses possibilités. «C'est dans les régions vierges de l'absurde que surgissent les découvertes transcendantes. (...) L'absurde n'est pas le scepticisme. (...) C'est le résultat d'une vision complète. (...) En connaissance de cause, la poésie se plonge dans l'absurde comme un fleuve salutaire». L'absurde est «le seul mode d'exaltation qui soit conforme à l'esprit du siècle» (PA., 113).

Car si le monde est absurde, il est permis aux poètes de l'appréhender n'importe comment, dans la plus totale liberté. Les créateurs pourront même entraîner «la poésie par les pires dissociations d'idées jusque dans le plasma de l'incompréhension universelle» (PA., 14), Superbe formule et qui montre bien comment il n'y a plus désormais à se soucier d'un sens préétabli ou à découvrir. La poésie n'a plus à se percevoir en terme d'unification de son objet, elle peut s'adonner à la dispersion, à la dissémination: «Elle répond à l'angoisse philosophique de l'heure actuelle par la fulguration des idées et des couleurs, par l'explosion des sens et des sons» (PA., 14). En toute licence désormais, «elle s'abandonne à tous les sursauts du hasard» (PA., 13).



A partir du moment où il n'y a plus de logique, où il n'y a plus d'ordre imposé qui soit requis pour nommer les choses, le hasard peut en effet occuper une place prépondérante. On ne dira jamais assez le bouleversement apporté dans la démarche artistique de cette époque, et particulièrement dans les pratiques dadaïstes, par l'introduction de la notion de hasard. Des mots tirés d'un chapeau par Tzara aux déchets que Schwitters ramassait dans la rue pour ses collages, c'est à une véritable révolution copemicienne que l'on a affaire. Ce n'est plus désormais le sens qui dirige la mise en place des composantes de l'ouvre, mais ce sont celles-ci qui viennent apposer, par leur apparition fortuite dans l'espace de l'ouvre, les significations qu'elles véhiculent. On verra d'ailleurs la place importante que Neuhuys réserve au hasard dans sa poésie; l'influence de dada sur l'écrivain anver-sois a été en ce sens prépondérante.

De plus, .. l'acceptation de l'absurde exige une constante activité. C'est ce mouvement qui entraîne la poésie dans le rythme d'une étemelle gaieté» (P.A., 114-115). Ayant efface tous les sentiers battus, ayant renié toute loi et toute volonté d'organisation sémantique 9, le poète ne peut plus compter que sur sa vitalité première, sur le rythme impulsif qui le pousse à la découverte du monde, à l'instar de l'enfant chez qui aucune contrainte encore ne vient freiner l'énergie ludique et qui vit pleinement dans l'immédiat. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que l'on assiste chez Neuhuys à une valorisation de l'attitude infantile, de ses jeux et de ses facéties. (Ainsi, dès le premier poème du Canari et la Cerise: «Au jardin zoologique proche/nous jetterons des noisettes dans la cage du mandrill/et en revenant par les petites rues désertes/nous tirerons aux sonnettes des maisons» (C.S., 13)). Rien d'étonnant non plus à ce que toute son entreprise poétique soit placée sous le signe du non-sérieux, du jeu, de l'humour, de la fantaisie. Ce monde absurde, c'est en riant que le poète d'aujourd'hui l'observe et le décrit. -Ce rire c'est notre sensibilité moderne qui, de surprise en surprise, assimile le pire et le meilleur. Au siècle dernier, on inventait une nouvelle façon d'être triste, maintenant les poètes nous signalent une nouvelle façon de connaître la joie» (P.A., 18). Tout au long de l'ouvre, les notations de rire et de joie seront innombrables: «mon rire de poète lui a sauté au cou (C.S., 15), «mon rire claque comme un drapeau mouillé» (C.S., 19), «mon cour est gai comme un poisson d'avril dans un arbre de mai» (Z.H., 23),«la fraîche joie de vivre» (Z.H., 24), «Gai ! Gai! carguons les voiles» (M.S.. 57) ... Tout comme sera permanente la thématique de la fête et l'attraction pour les lieux de plaisir, la kermesse, le théâtre, le cirque. «Chaque écrivain a son lieu mythique », trouve-t-on au début du Cirque Amaryllis. « Pour ce ruffian de Moncorbier c'est la taverne/pour moi c'est le cirque» l0.

La vie elle-même ne devrait-elle d'ailleurs pas être envisagée comme un jeu? Neuhuys explicite brièvement à l'occasion cette considération qui fait écho à celle de l'absurdité du monde: «L'Homo Ludens, c'est de l'homme qui joue qu'il s'agit et qui joue d'une certaine manière ... (...) Le secret du mot jeu est dans joie et jeunesse. Depuis l'enfance, il est la trame de la vie (...) Jeux néméens, jeux icariens! (...) Jeux innocents, jeux violents, jeux interdits ... Dans tout homme sommeille l'homo ludens» ".La poésie devrait alors toujours garder cette empreinte du ludique et du non-sérieux. «Lorsqu'on me dit d'un poète qu'il a pris conscience de la gravité de son art», déclarera encore l'écrivain, «je crains fort qu'il ne soit ennuyeux et qu'il ne sache faire la part du feu et du jeu»l2. Et ailleurs: «Seule la poésie peut triompher de l'esprit chagrin» l3. Car, au fond, «la vraie poésie se moque de la poésie » ,4. A bon entendeur, salut !

Mais cela ne veut pas dire que les vers ne puissent charrier aussi des propos essentiels. «On reconnaît les poètes d'aujourd'hui à leur gaieté entraînante mais ce n'est pas là une gaieté aussi superficielle qu'elle paraît au premier abord. Tout ce qu'on voit pour la première fois est drôle. Toute originalité est forcément drôle. Le rire peut couvrir le froid du cour. La gaieté des poètes d'aujourd'hui n'est pas une gaieté à fleur de peau. Ils cherchent la gaieté jusque dans l'éternité».



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Paul Neuhuys
(1897 - 1984)
 
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