Paul Neuhuys |
En insistant sur l'importance de l'instant et du discontinu chez Neuhuys, on finirait par donner de son ouvre une vue inexacte, si l'on ne prenait la peine de souligner également ce qui y travaille à unifier le poème. La mélodie des vers, l'utilisation de toutes les ressources rythmiques et musicales du langage jouent ici un rôle essentiel. Dans l'admirable portrait qu'il trace de Max Elskamp dans Les Soirées d'Anvers, Neuhuys raconte qu'ayant envoyé Le Canari et la Cerise à l'auteur des Chansons de la rue Saint-Paul, il reçut de celui-ci une lettre qui commentait le livre de façon très élogieuse mais qui, sur un point, émettait quelques réserves. « Il y a là une certitude pour moi - un point sur lequel j'attire votre attention, après la lecture de Le Canari et la Cerise, - c'est que malgré toute liberté, le poème est «musique» par nature. (...) Je crois que tout en gardant votre complète liberté, au point de vue de l'expression, il y a lieu de tenir compte de la musique du vers. (...) C'est le seul reproche que j'ai à faire à votre livre, c'est d'avoir un peu oublié cela» . Tout porte à croire que Neuhuys prit bonne note de cette remarque de celui qui est sans doute, avec Verlaine, le poète le plus «musical» de la langue française. Très vite en tout cas dans ses recueils ultérieurs, il paraîtra se soucier davantage des effets mélodiques de ses vers. Il reviendra même assez souvent à la rime - à la rime riche, comme on l'a vu - et truffera ses poèmes d'échos sonores de toute sorte: homophonies et allitérations («L'anonyme Anadyomène» (J.O., 80), «11 n'est qu'une solution à ce besoin d'absolu./c'est l'absolution» (A.P., 109). «Amélie/était anémique/comme une homélie/académique» (M.S., 57), «Sa Lorelei, son Ophélie,/c'était la pauvre Lobélie» (H.M., 98), «Comme un vieux joueur de bugle,/un peu bègue et un peu bigle,/le vent sur le fleuve beugle» (M.S., 58)) ou répétitions de mots («Que le monde se fende,/ se fende avec fracas» (S., 171), «Et puisqu'il faut trinquer,/ouzo grec, raki turc,/viens sous les aréquiers/trinquer avec ces trucs» (5., 170). De nombreux poèmes se trouvent construits de la sorte sur de véritables cascades de répétitions qui, quelles que soient dès lors les variations thématiques qui s'y déploient, font glisser harmonieusement la lecture jusqu'au dernier vers. L'écrivain se sert également, à cet effet, de la répétition de certains rythmes: celui, comme on l'a vu, du distique fortement rimé (et plus le vers sera bref, plus le rythme s'accentuera), ceux aussi d'une récurrence de la juxtaposition («Place déserte, ville inconnue (...) La nuit l'amour, le jour l'ennui (...). Prêté, rendu; rites austères» (M.S., 54)) ou du quatrain au vers court, très caractéristique d'un certain nombre de poèmes dont Swing est un des plus beaux exemples («c'est à hue/et à dia/que l'on aime/Elo-dia» (5-, 173)). Le poème, dira le saint Antoine de Neuhuys. doit nous emporter «dans un véritable carroussel d'allitérations insolites. Mètre, rime, assonance, tout fait farine alors au molinet de la plénitude et de la résonance» (C.C., 229). .. De nombreux textes, qu'ils s'appellent ou non Chanson (Z.H., 33, M.S. ,51,l.,l,J.O., 83), ou encore Comptine (C.A., 161, O., 210), empruntent beaucoup aussi aux procédés de la chanson. C'est ainsi que non seulement des mots sont répétés, mais mêmes des vers entiers ou des distiques, répétition qui, telle un refrain, scande le poème. (Mais cette répétition est également parfois le fait d'une autre technique très contraignante de construction, comme celle du pantoum (M.S., 51)). Ailleurs apparaissent les onomatopées de la comptine ou leurs dérivés («Landerirette, landerira» (M.S., 57), «Turlurette et Turlulu» (O., 210)). On rencontre aussi des vers qui se calquent sur une structure typique de la chanson traditionnelle ("Renonce, renoncule,/renonce au ridicule/aux ridicules ronces/ renoncule, renonce ...» {M.S., 62), «Le cheval Gringalet /dégringole dégringole/Le cheval Gringalet/dégringole les guércts» (D.l., 136)). N'y a-t-il pas d*ailleurs chez Neuhuys un souci évident des qualités orales du poème? Il suffit de l'avoir une fois entendu lire lui-même l'un de ses textes pour comprendre combien il doit être attentif, en les écrivant, à leurs sonorités et aux rythmes qu'ils peuvent prendre dans une diction. »J'aime la poésie proprement dite», écrit-il dans un texte intitulé symptomatique-ment Poésie vivante, -dite sur un ton vif et reposé/exigeant à chacun sa propre diction/et non cette conslriction du gosier,/ce ton de désolation funèbre/par lesquels on se plaît à la massacrer» (S., 165). Arrivera bien aussi le jour où un musicien ou un chanteur s'emparera de certains de ces poèmes ... |
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Paul Neuhuys (1897 - 1984) |
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Portrait de Paul Neuhuys | |||||||||