Paul Neuhuys |
Terminée l'aventure de Ça Ira - elle n'aura duré que trois ans -, estompés les météores du dadaïsme au profit des feux surréalistes - ce sera à Bruxelles cette fois, autour de Magritte et Nougé -, Neuhuys continuera à écrire et à publier très régulièrement jusqu'à aujourd'hui. Resté à Anvers, à l'écart des instances de célébration, il y mènera pendant plus de soixante ans une vie discrète en poésie. Le tirage de ses livres varie de cent à deux cent cinquante exemplaires ... Quelques lecteurs enthousiastes, les seuls sans doute qui sont véritablement nécessaires à un écrivain. De grandes amitiés littéraires aussi: Ghel-derode, Hellens et Norge, parmi d'autres. En 1932, il reprend à son compte les éditions Ça Ira où, en plus de la plupart de ses propres livres, il publie, au gré des occasions, des ouvres qui lui tiennent à cour. C'est là que paraîtront par exemple, avant et pendant la guerre, Le Sourire d'Icare de Norge, La Vierge boréale de Pauls Joostens, Les Histoires de la lampe de Paul Colinet, Le Traité des fées du surréaliste hennuycr Fernand Dumont. Bien plus tard, dans une métropole où être écrivain francophone est devenu complètement anachronique (allez donc vous entêter à ne pas respecter la loi du sol ! mais voyez encore Willems et Vaes, les cadets de Neuhuys: combien de grands écrivains de langue française Anvers n'a-t-elle pas donnés jusqu'à aujourd'hui ...), Neuhuys entreprendra la publication des Soirées d'Anvers: sortis également à tirage limité, ces fascicules où, à côté de l'auteur du Zèbre handicapé (qui y donne surtout du théâtre), viennent prendre place Ghelderode, Hellens ou des anversois comme Joostens ou Dewalhens, paraîtront de 1961 à 1965 et connaîtront douze livraisons. Des poèmes de Neuhuys figureront par ailleurs épisodiquement dans plusieurs revues, surtout celles qui appartiennent à ce que l'on a appelé «la Belgique sauvage» et qui s'inscrivent peu ou prou dans la postérité du surréalisme, comme Temps mêlés ou Phan-tomas. Paulhan mettra aussi des textes du poète anversois au sommaire de La Nouvelle Revue Française. Si la poésie constitue la part essentielle de cette ouvre, le récit et l'essai n'en sont cependant pas absents. Après Le Canari et la Cerise et Le Zèbre handicapé, il publie deux recueils qui s'inscrivent encore dans ce que l'on peut appeler sa première grande période, L'Arbre de Noël (1927) et Le Marchand de sable (1931), mais aussi des contes, romans et récits qui restituent l'atmosphère anversoise des années vingt et les démêlés artistiques ou amoureux d'une jeunesse aux espoirs souvent déçus: Les Dix dollars de Mademoiselle Rubens (1926), La Conversion de Pittacus (1927), Dans le monde du sommeil (1933). Au Neuhuys essayiste, on doit entre autres une Trilogie néerlandaise, Ruusbroec-Erasme-Gezelle (1935) et Le XVIe siècle et Marnix de Sainte Aldegonde (1938). La production poétique qui s"étend de 1932 à l'immédiat après-guerre semble s'infléchir, comme si elle prenait quelque distance à l'égard du ton très caractéristique des recueils précédents. De La Naissance d'Adonis (1932), qui traite en alexandrins des thèmes aux références mythologiques, au Secrétaire d'acajou, où retentissent les échos de la guerre, Neuhuys semble se faire un peu plus réticent aux charmes du hasard et du discontinu. Tantôt il publie des Fables (1939), tantôt des poèmes dont le déroulement n'est plus aussi tributaire de la libre façon des mots (La Fontaine de Jouvence (1936), Message (1941), Inutilités (1941)). Écriture dans l'ensemble plus sage, sorte de repli qui constitue peut-être une réaction face à l'incertitude des temps mais qui paraît aujourd'hui moins séduisante ' que celle des recueils des années vingt ou de ceux de l'après-guerre. Car, dès La Joueuse d'Ocarina (1947), cette poésie retrouve toute sa liberté et son goût de la surprise et de l'impromptu. Son registre thématique se développe. A l'amour et à l'érotisme, par exemple, l'écrivain consacre de nombreuses pièces où le papil-lonnement du propos ne dédaigne ni l'allusion frivole ni le calembour. Apparaît aussi, avec L'Herbier magique (1949). le personnage d'Uphysaulune, anagramme de Paul Neuhuys, qui se fera, jusqu'aux poèmes les plus récents, le chantre d'une étonnante floralie au très riche versant imaginaire. Et puis, d'un recueil à l'autre, des Archives du prieuré (1953) à La Drai-sienne de l'incroyable (1959), du Carillon de Carcassonne (1960) au Cirque Amaryllis (1963) et au Poivrier de Béotie (1967) (aux poèmes à nouveau plus circonstanciés, nés d'un voyage en Grèce), viennent se profiler, derrière l'enjouement du ton et l'adhésion spontanée à la disparité du monde, une douleur diffuse face aux fatalités de l'existence et une nostalgie grandissante à l'égard du passé et de la jeunesse qui s'éloignent. Sans rien perdre de sa légèreté toute en allusions et en airs de ne pas y toucher, la poésie plus récente de Neuhuys se teinte d'une aura douce-amère, d'une mélancolie dont seront chargés tout particulièrement les recueils des septante (Le Septentrion) et surtout des quatre-vingts ans (Octavie, qui est certainement un de ses plus beaux livres). En attendant, avec L'Agenda d'Agenor, les poèmes du presque nonagénaire ... Comme si, à côté du geste heureux, une ombre risquait d'apparaître qui en soulignerait l'inanité; une voix viendrait alors murmurer, ainsi que le dit le titre en français teinté d'anversois que l'écrivain a donné à un autre de ses récents recueils: Ça n'a encore une fois pas marché (1972)! Mais jamais rien pourtant d'ouvertement pathétique: au détour du vers, l'humour et l'ironie sont toujours là qui veillent au grain. |
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Paul Neuhuys (1897 - 1984) |
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Portrait de Paul Neuhuys | |||||||||