Paul Valéry |
L'«Avant-Propos» que Paul Valéry donne à Connaissance de la déesse (1920) de Lucien Fabre est l'occasion pour lui de revenir sur le Symbolisme qui a marqué ses débuts littéraires. Reconsidérée après coup, l'école de 1886 laisse apparaître l'une de ses caractéristiques majeures : unecertaine idée musicale de la poésie. Ce qui fut baptisé : le Symbolisme se résume très simplement dans l'intention commune à plusieurs familles de poètes (d'ailleurs ennemies entre elleS), de «reprendre à la Musique leur bien». Le secret de ce mouvement n'est pas autre. L'obscurité, les étrangetés qui lui furent tant reprochées; l'apparence de relations trop intimes avec les littératures anglaise, slave ou germanique; les désordres syntaxiques, les rythmes irréguliers, les curiosités du vocabulaire, les figures continuelles... tout se déduit facilement sitôt que le principe est reconnu. C'est en vain que les observateurs de ces expériences, et que ceux mêmes qui les pratiquaient, s'en prenaient à ce pauvre mot de symbole. Il ne contient que ce que l'on veut; si quelqu'un lui attribue sa propre espérance, il l'y retrouve ! - Mais nous étions nout -ris de musique, et nos têtes littéraires ne rêvaient que de tirer du langage presque les mêmes effets que les causes purement sonores produisaient sur nos êtres nerveux. Les uns, Wagner ; les autres chérissaient Schumann. Je pourrais écrire qu'ils les haïssaient. A la température de l'intérêt passionné, ces deux états sont indiscernables. Un exposé des tentatives de cette époque demanderait un travail systématique. Rarement plus de ferveur, plus de hardiesse, plus de recherches théoriques, plus de savoir, plus de pieuse attention, plus de disputes ont été, en si peu d'années, consacrés au problème de la beauté pure. L'on peut dire qu'il fut abordé de toutes parts. Le langage est chose complexe : sa multiple nature permettait aux chercheurs la diversité des essais. Certains, qui conservaient les formes traditionnelles du vers français, s'étudiaient à éliminer les descriptions, les sentences, les moralités, les précisions arbitraires ; ils purgeaient leur poésie de presque tous ces éléments intellectuels que la musique ne peut exprimer. D'autres donnaient à tous les objets des significations infinies qui supposaient une métaphysique cachée. Us usaient d'un délicieux matériel ambigu. Ils peuplaient leurs parcs enchantés et leurs sylves évanescentes d'une faune tout idéale. Chaque chose était allusion ; rien ne se bornait à être; tout pensait, dans ces royaumes ornés de miroirs ; ou, du moins, tout semblait penser... Ailleurs, quelques magiciens plus volontaires et plus raisonneurs, s'attaquaient à l'antique prosodie. Il y en avait pour qui l'audition colorée et l'art combinatoire des allitérations paraissaient ne plus avoir de secrets ; ils transposaient délibérément les timbres de l'orchestre dans leurs vers : ils ne s'abusaient pas toujours. D'autres retrouvaient savamment la naïveté et les grâces spontanées de l'ancienne poésie populaire. La philologie, la phonétique étaient citées aux débats éternels de ces rigoureux amants de la Muse. |
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Paul Valéry (1871 - 1945) |
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Portrait de Paul Valéry | |||||||||