Philippe Delaveau |
Comme nous cheminions par ces rues Que la bonne pluie a lavées, alors Nous pouvions voir à la fenêtre Qu'éclaire une lampe vétusté, des femmes solennelles Se livrant en silence à des rites secrets. Les rideaux sont ouverts sur une pièce large Et des tableaux confusément parlent de soirs d'été À la campagne, avec des velours rouges sur des chevaux Dans un bois où s'enfuit, baignant dans le jour d'aube, Le renard soucieux de l'ombre des fougères. L'auteur Écrit debout près d'un lutrin, cherchant entre les pages Du livre son royaume; un prophète s'y lève et parle d'une rose Qui frémit; le philosophe essaie l'orgueilleux rêve D'un système qu'il veut nouveau. Les vérités Ont paru trop amères. La nuit grandit Qui noue les solitudes l'une à l'autre, au pied de la raison. Tout doit changer dans la nue bleue où les arbres respirent. Mais l'homme passe près du square et l'oiseau l'appelle De son cri familier, dans l'arbre silencieux. La folle Quitte en soliloquant dans le soir mauve son logis, Et les enfants qui reviennent la dévisagent. J'ai vu le ciel splendide et doux, leur dit-elle; les pleurs Coulent sur ses joues creuses. Je me souviens De voyages, la nuit, dans les pays brûlés Et de mon fils qui cueille sur les champs de l'aurore des immortelles. Jonathan sort de la petite église avec sa canne à pommeau d'or, Ses trois manteaux, son panier en osier où dorment le chat roux, Les poèmes en cours et ses stylos; il chante faux et fort Et converse le soir, du haut de son étage, après avoir franchi La céleste ouverture du toit, avec d'autres poètes Qui auront fui les voies lactées : d'ode limpide, D'oies sauvages, convoquant Keats, Shelley, parfois même Le bon vieux Will d'autres encore qui se pressent Sur les toits parmi les rameaux du jardin suspendu. Même une jeune fille auprès du radiateur, rêve d'amour En berçant doucement son torse maigre de ses bras; Et tant de désespoir attriste la logeuse, Qui boit son gin dans une tasse et pleure quelquefois. Mais dans les écuries, vêtus de bleus, les mains enduites de cambouis, Les durs mécaniciens harnachent les chevaux; redressent Les cimiers pourpres, car, à l'aube, Hector s'élancera sous les murs blancs de Troie Où l'attend son rival. Qu'importe désormais ton passé, Ville envahie par les démolisseurs? La frondaison Des arbres roux que l'automne épure S'agite mollement selon l'ardeur des vents. Le balayeur, sur son chariot poussif, au petit jour, Rapportera sur un lit de feuillage Les armes de Patrocle. Chacun meurt à son tour, La ville ne connaît que la gloire éphémère. Nous ne reverrons plus ceux que nous aimions. Les statues dans le parc attendent que la neige Efface les empreintes, sur la boue fraîche, de nos L'une après l'autre les lampes dans le square s'éteignent, Le promeneur s'éloigne après avoir chanté Dans Londres le retour de Virgile. Où êtes-vous Héros dans la ville assoupie? Les fables oubliées Se terrent dans les médiocres chambres sous les combles; Nous ne parlerons plus d'Homère ni de Virgile, Nous les croisons parfois le long de la Tamise. J'ai vu sur la boue noire la tête d'Orphée, Tandis que dans le ciel une lyre agonise. L'étoile qui logeait au-dessus de Queen's Gâte a témoigné Du chant que fait le cygne au moment de mourir : Qui mourait quand le vent cessa de murmurer La litanie des noms de ceux que l'on oublie? Quel poète s'éloigne dans le ciel ténébreux, Tandis que la cité s'éveille? |
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Philippe Delaveau (1950 - ?) |
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