Philippe Delaveau |
Un geste engendre un autre geste mémorable Sous la lampe. Les brodeuses Filent l'or dans le temps régulier des horloges. Ce soir encore le temps oscille et nous ne savons pas Quelle heure dans la nuit toute proche s'avance. Pour qui l'ouvrage sur vos genoux, Marie? Hier, dans le sillon, Novembre a découvert Une hache rouillée perdue dans la ténèbre. Toujours le même geste de vos mains, sous la lampe qui tremble, Puis les ciseaux détachent le fil de la bobine, vivement. Dans la chambre à côté, l'enfant s'est endormi, Ignorant de la mort, bercé Par la voix qui chantonne. La moisson Lèvera sur le sol où l'on a combattu, Les grains se mêleront aux souvenirs des morts. Vous n'avez pas sourcillé quand il a dit ; voici Ce que la herse a fait surgir de la vieille terre. II Les armées continuaient de s'anéantir; se frayant un passage Dans la neige qui tombe, l'avion se fracasse aux brisants De la mer; des trains sur l'éclair de leurs rails rapprochent Les amants l'un de l'autre : nous nous verrons bientôt, disais-tu, Je baiserai tes lèvres, tes jeunes seins. La nuit est dense, Il reste de la neige au pied des arbres; pourquoi Craindre toujours? Au loin, dans la bourrasque, aboient les chiens. De tristes circonstances m'amènent à vous écrire... La lune a visité la mare, les foins sont rentrés. Elle a voulu Qu'on lui mette sa coiffe; à la fin, Ses yeux fixaient devant le lit une invisible porte. Et presque Centenaire. Nous partirons bientôt. La nuit est douce Aux champs qu'ont dévastés les moissonneuses. Bientôt l'hiver, Les oiseaux sont partis. Le loriot, le coucou, la caille dans les herbes, Le rossignol et l'hirondelle annoncent le printemps. Si vous saviez Où je m'en vais, quelle chaude lumière baigne mes pauvres mains. Le vent fait retentir le grondement d'un train de marchandises. Mon amour, mon amour, à quoi bon te presser! Les rochers sont battus par le sang des étoiles, Est-ce au sein de la brume la corne qui gémit? Le vent sur la prairie éparpille les graines. III Pourtant la feuille est plus vieille que l'arbre, Plus vieille que le chêne où médite l'oiseau de Minerve, Attendant la nuit chaude qui sertit l'herbe. Est-il Un art ignorant de la longue veille, du geste sûr, Du secret maintes fois oublié des couleurs? Un art Sans la colonne millénaire et l'assise des temps révolus? Chaque journée se lève de la même nuit, charroyant La même hotte de soleil d'où s'écroulent les grains de la vendange, Et chaque jour est autre : joies, heures parmi les arbres ; cependant, Chacune apporte à l'édifice une pierre qu'il taille, Arrachée durement à la carrière; disparaît, Et l'arbre humain doucement épanouit son ouvrage Malgré les bûcherons qui rôdent, les feux mal éteints Et l'automne qui disperse le manuscrit des feuilles. Les arbres se souviennent mieux que nous Du secret déchiré en menues étincelles : Il effleure parfois les lèvres d'un étang; L'enfant qui rêve croit l'entrevoir. Mais nous marchions, aveugles, le long d'un mur Où le soleil chaque jour écrit notre histoire, Avec cette peinture éphémère des ombres. IV La terre plate au four céleste lève comme Une galette à la croûte dorée. Le vin Des nuits reflété par les fleuves, les mers, Vieillit dans le secret des ombres sidérales, attendant Quelles noces, quel céleste festin? V Vous nous avez légué non pas Babylone, souillée d'ordures, Puant l'odeur fauve des rats, où se démène À la tombée du soir, dans la crotte des rues, l'homme D'usure. Mais ce rêve fragile comme un regard d'enfant, Qu'on se passe de main en main, debout, En regardant la gloire que promet le crépuscule À l'aube qui se lève sur la montagne sainte. |
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Philippe Delaveau (1950 - ?) |
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