Philippe Delaveau |
Les fumées blanches au-dessus d'une cheminée, la pluie Tourbillonnante sur le mercure des toits, Le ciel enfumé, lourd et marbré de voiles, Emprisonnent la ville qui s'essouffle, Lorsqu'on allume les ampoules sur les ponts, Parmi les arbres erratiques de la pluie, les eaux Tumultueuses, jaunes du brouillard. Les oiseaux Se sont tus depuis toujours, mais seule et blanche Au-dessus de la boue de la Tamise, une mouette Survole plusieurs déserts, les entrepôts crevés, La barge qui décline sous la rouille, et s'envole. Qui la voit au-dessus de Waterloo Bridge, Qui la contemple? La face d'Orphée Pourrit dans le fleuve souillé d'ordures; Virgile Est mon. Qui la voit s'effacer dans la brume, Luttant, seule, contre le vent boueux Qui plaque au sol les dernières feuilles, pendant que Sur le pont sonore, ferraillant ses essieux, Un lourd convoi s'égrène, suivi rougement D'une étoile imprécise. II Les voix enchanteresses clament dans le bel été : Quelle enfance perdure encore sous les yeux? Mais tu n'as pas connu le temps de l'abondance, quand les arbres Sont rois dans le verger, sous la pompe des flammes; quand les fruits Lèvent confusément leurs chairs ensoleillées; l'être étincelle Dans le suave parfum des subsistances claires. Mais nous avons quitté La treille des terrasses d'en haut, l'haleine bleue des caves, Le jardin. Nos mains rudes interrogent les cicatrices du monde, Et nous sommes la proie des enchantements. Le temps et l'eau Tournoient à la base des ponts; les arbres de la ville n'ont point De pitié pour les espiègleries du vieil Homère, Lorsqu'il exprime de sa voix brisée par le chagrin, l'amertume D'Ulysse et la rancour des dieux, entre les devantures des légumes. Et que me sert sur Tower Bridge de guetter Heraclite, Près de ce cour putride et doux du fleuve qui rejette la mer, Et l'habille de deuil. Surgissent dans la ténèbre empuantie des docks, Près des ballots de thé, qu'annonce l'odeur fauve Des brasseries, les files claudicantes des faux sages, Qui ont choisi l'instable et l'éphémère. Dans l'île aux Chiens, S'en sont allés les théorèmes et les fables des prophètes. Vêtu depuis les Church's jusqu'au menton du complet bleu Rayé comme la partition de la sonate, rapide à traverser Fleet Street, à joindre Nord et Sud, Ganymède se hâte Sur le ponton pourri de remonter l'horloge (John Spier & Sons, garantie à vie) du quai désert, Et dans les ruines traversées de feuillages bleuâtres, D'autres pendules très exactement, à la seconde, sonnent L'heure selon le temps du méridien. Mais la mésange dans le soir, De son chant simple te questionne, et tu ne sais répondre. Au crépuscule qui déploie ses tentures, s'unit sur le théâtre De tes songes, Mozart; et la vasque d'albâtre de l'étage Qui domine la rue, d'où ruissellent des vignes vierges. Quel souvenir est plus fort que la fable des sages? L'oiseau En sait plus long que toi. Et tu regardes un fade géranium Secouer dans le ciel jaune la fleur de sang, Pendant que la pluie recommence de battre le square. |
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Philippe Delaveau (1950 - ?) |
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