Philippe Desportes |
Depuis six mois entiers que ta main courroucée Se retira, Seigneur, de mon âme oppressée, Et me laissa débile au pouvoir des malheurs, J'ai tant souffert d'ennuis, qu'hélas ! je ne puis dire Comment mes tristes yeux aux pleurs ont pu suffire, Aux complaintes ma bouche et mon cour aux douleurs. Je n'y vois point de cesse, et ma peine cruelle, Que le temps dût vieillir, sans fin se renouvelle, Poussant maint rejeton épineux et tranchant; Une nuit de fureurs rend horrible ma vie, Le déconfort me suit, encor que je le fuie, Et la raison me fuit, plus je la vais cherchant. O Dieu ! mon seul refuge et ma guide assurée, Peux-tu voir sans pitié la brebis égarée, Etonnée, abattue, à la merci des sens, Qui, comme loups cruels, tâchent de s'en repaître? Presque le désespoir s'en est rendu le maître, L'effrayant de regards et de cris menaçants. N'abandonne ton ouvre, ô Dieu plein de clémence! Si je t'ai courroucé par trop d'impatience, Plaignant de mes plus chers l'infortuné trépas; Si je me suis maté d'excessive tristesse, Excuse des mortels l'ordinaire faiblesse : Seigneur, tu es parfait et l'homme ne l'est pas. Toi-même, ô souverain, notre unique exemplaire, Quand tu vis ton ami dans le drap mortuaire, L'oil clos, les membres froids, pâle et défiguré, Ne te pus garantir de ces piteux alarmes; Les soleils de tes yeux furent baignés de larmes, Et du Dieu de la vie un corps mort fut pleuré. Moi donc qui ne suis rien qu'un songe et qu'un om-Se faut-il étonner en ce terrible orage, [brage, Si ce qui t'a touché m'a du tout emporté? Si pour un de tes pleurs, j'ai versé des rivières? Toi, soleil flamboyant, seul père des lumières, Moi, nuage épaissi, moite d'obscurité? Quand de marbre ou d'acier mon âme eût été faite, Las! eussé-je pu voir tant d'amitié défaite, Sans me dissoudre en pleurs, sans me déconforter Voir de mon seul espoir les racines séchées Et les plus vives parts de moi-même arrachées, Mon cour sans se douloir l'eût-il pu supporter? Je n'y pense jamais (et j'y pense à toute heure) Sans maudire la mort, dont la longue demeure Après vous, chers esprits, me retient tant ici. J'étais premier entré dans ce val misérable : Il me semble, ô Seigneur ! qu'il était raisonnable Que, le premier de tous, j'en délogeasse aussi. Mais en tous ces discours vainement je me fonde; Tu les avais prêtés et non donnés au monde, Et as pu comme tiens à toi les retirer. Hélas ! je le sais bien, mais ma faible nature Trouve pourtant, Seigneur, cette ordonnance dure, Et ne peut sur son mal d'appareil endurer. Plaise-toi l'augmenter de force et de courage; Sers de guide à mes pas, fends l'ombre et le nuage, Qui m'a fait égarer si longtemps de mon bien, Et surtout, ô bon Dieu, donne à mon impuissance Ou moins de passion, ou plus de patience, Afin que mon vouloir ne s'éloigne du tien. Donne que les esprits de ceux que je soupire N'éprouvent point, Seigneur, ta justice et ton ire; Rends-les purifiés par ton sang précieux, Cancelle leurs péchés et leurs folles jeunesses, Fais-leur part de ta grâce, et, suivant tes promesses, Ressuscite leurs corps et les mets dans les cieux. |
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Philippe Desportes (1546 - 1606) |
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