Pierre de Ronsard |
Peins-moi, Janet, peins-moi, je te supplie, Sur ce tableau les beautés de m'amie De la façon que je te les dirai. Comme importun je ne te supplierai D'un art menteur quelque faveur lui faire : Il suffit bien si tu la sais portraire Telle qu'elle est, sans vouloir déguiser Son naturel pour la favoriser. Car la faveur n'est bonne que pour celles Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles. Fais lui premier les cheveux ondelés, Serres, retors, recrêpes, annelés. Qui de couleur le cèdre représentent; Ou les allonge, et que libres ils sentent Dans le tableau, si par art tu le peux, La même odeur de ses propres cheveux. Car ses cheveux comme fleurettes sentent. Quand les Zéphyrs au printemps les éventent. Que son beau front ne soit entrefendu De nul sillon en profond étendu. Mais qu'il soit tel qu'est l'eau de la marine, Quand tant soit peu le vent ne la mutine. Et que gisante en son lit elle dort. Calmant ses Hots silles * d'un somme mort. Tout au milieu par la grève * descende Un beau rubis, de qui l'éclat s'epande Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit Briller les rais de la l.une qui luit Dessus la neige au fond d'un val coulée, De trace d'homme encore non foulée. Après fais-lui son beau sourcil vouiis D'P.bène noir, et que son pli tortis Semble un Croissant, qui montre par la nue Au premier mois sa vouture cornue. Ou si jamais tu as vu l'arc d'Amour, Prends le portrait dessus le demi-tour De sa courbure à demi-cercle close. Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose. Mais las! Janet, hélas je ne sais pas Par quel moyen ni comment tu peindras (Voire eusses-tu l'artifice d'ApelleJ) De ses beaux yeux la grâce naturelle. Qui font vergogne aux étoiles des Cieux. Que l'un soit doux, l'autre soit furieux, Que l'un de Mars, l'autre de Vénus tienne» Que du bénin toute espérance vienne, Et du cruel vienne tout désespoir; L'un soit piteux et larmoyant à voir, Comme celui d'Ariadne laissée Aux bords de Die a, alors que l'insensée, Près de la mer, de pleurs se consommait. Et son Thésée en vain elle nommait; L'autre soit gai, comme il est bien croyable Que l'eut jadis Pénélope louable, Quand elle vit son mari retourné, Ayant vingt ans loin d'elle séjourné. Après fais-lui sa rondelette oreille Petite, unie, entre blanche et vermeille, Qui sous le voile apparaisse à l'égal Que fan un lis enclos dans un cristal, Ou tout ainsi qu'apparaît une rose Tout fraîchement dedans un verre enclose. Mais pour néant tu aurais fait si beau Tout l'ornement de ton riche tableau, Si tu n'avais de la linéature De son beau nez bien portrait la peinture. Peins-le moi donc m court, ni aquilin. Poli, trains *, où l'envieux malin Quand il voudrait n'y saurait que reprendre, Tant pioprement iu le feras descendre Parmi la face, ainsi comme descend Dans une plaine un petit mont qui pend. Après au vit peins-moi sa belle joue Pareille au teint de la rose qui noue * Dessus du lait, ou au teint blanchissant Du lis qui baise un oillet rougissant. Dans le milieu portraits une fossette, Possette, non, mais d'Amour la cachette. D'où ce garçon de sa petite main Lâche cent traits et jamais un en vain, Que par les yeux droit au cour il ne louche. I lélas! Janet, pour bien peindre sa bouche, A peine I Iomère en ses vers te dirait Quel vermillon égaler la pourrait. Car pour la peindre ainsi qu'elle mérite. Peindre il faudrait celle d'une Chante. Peins-la-moi donc, qu'elle semble parler, Ores sourire, ores embaumer l'air De ne sais quelle ambrosienne haleine. Mais par sur tout fais qu'elle semble pleine De la douceur de persuasion. Tout à l'entour attache un million De ris *, d'attraits, de jeux, de courtoisies, Et que deux rangs de perlettes choisies D'un ordre égal en la place des dents Bien poliment soient arrangés dedans. Peins tout autour une lèvre bessonne. Qui d'elle-même en s'élevant semonne * D'être baisée, ayant le teint pareil Ou de la rose, ou du corail vermeil. Elle flambante au Printemps sur l'épine, Lui rougissant au fond de la manne. Peins son menton au milieu fossclu, El que le bout en rondeur pommelu Soit tout ainsi que l'on voit apparoistre -e bout d'un coin qui jà commence à croistre. Plus blanc que lait caillé dessus le jonc Peins-lui le col, mais peins-le un petit long, Grêle et charnu, et sa gorge douillette Comme le col soit un petit longuette. Après fais-lui, par un juste compas *, Et de Junon les coudes et les bras. Et les beaux doigts de Minerve, et encore La main égale à celle de l'Aurore. Je ne sais plus, mon Janet, où j'en suis, Je suis confus et muet : je ne puis, Comme j'ai fait, te déclarer le reste De ses beautés qui ne m'est manifeste. Las ! car jamais tant de faveurs je n'eu. Que d'avoir vu ses beaux tétins à nu. Mais si l'on peut juger par conjecture, Persuadé de raisons je m'assure Que la beauté qui ne s'apparaît, doit Être semblable à celle que l'on voit. Doncque peins-la, et qu'elle me soit faite Parfaite autant comme l'autre est parfaite. Ainsi qu'en bosse elève-moi son sein, Net, blanc, poli, large, entrouvert et plein, Dedans lequel mille rameuses veines De rouge sang tressaillent toutes pleines. Puis, quand au vil tu auras découvers Dessous la peau les muscles et les nerfs, l-.ntle au-dessus deux pommes nouveletres, Comme l'on voit deux pommes verdelettes D'un oranger, qui encores du tout Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout. Tout au plus haut des épaules marbnnes. Peins le séjour des ("hantes divines, Lt que l'Amour sans cesse voletant Touiours les couve et les aille éventant. Pensant voler avec le Jeu son frère De branche en branche es vergers de Cythère. Un peu plus bas, en miroir arrondi. Tout potelé, grasseler, rebondi. Comme celui de Vénus, peins son ventre; Peins son nombril ainsi qu'un petit centre, Le fond duquel paraisse plus vermeil Qu'un bel oillet favori du Soleil. Qu'attends-tu plus? portrais-moi l'autre chose Qui est si belle, et que dire je n'ose, lit dont l'espoir impatient me poind; Mais je te pri', ne me l'ombrage point, Si ce n'était d'un voile fait de soie Clair et subtil, à fin qu'on l'entrevoie. Ses cuisses soient comme faites au tour A pleine chair, rondes tout à l'entour, Ainsi qu'un Terme arrondi d'artifice Qui soutient ferme un royal édifice. Comme deux monts enlève ses genoux, Douillets, charnus, ronds, délicats et mous, Dessous lesquels fais-lui la grève * pleine, Telle que l'ont les vierges de Lacène *, Quand près d'Eurote en s'accrochant des bras Luttent ensemble et se jettent à bas, Ou bien chassant à meutes découplées Quelque vieil cerf es forêts Amyclées*. Puis, pour la fin, portrais-lui de Thétis Les pieds étroits, et les talons petits. Ha, je la vois! elle est presque portraite : Encore un trait, encore un, elle est faite! Lève tes mains, hà mon Dieu! je la voi! Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à mo. |
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Pierre de Ronsard (? - 1585) |
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Portrait de Pierre de Ronsard | |||||||||
Biographie1524 - (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher). Orientation bibliographique |
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