Pierre de Ronsard |
Ma seconde âme afin que le siècle à venir De nos jeunes amours se puisse souvenir, Et que votre beauté que j'ai longtemps aimée, Ne se perde au tombeau, par les ans consumée, Sans laisser quelque marque après elle de soi, Je vous consacre ici le plus gaillard de moi. L'esprit de mon esprit qui vous fera revivre Ou longtemps ou jamais par l'âge de ce livre. Ceux qui liront les vers que j'ai chantés pour vous D'un style varié entre l'aigre et le doux Selon les passions que vous m'avez données, Vous tiendront pour Déesse, et tant plus les années En volant s'enfuiront, et plus votre beauté Contre l'âge croîtra vieille en sa nouveauté. O ma belle Angevine, ô ma douce Marie, Mon oil, mon cour, mon sang, mon esprit et ma vie, Dont la vertu me montre un droit chemin aux deux, Je reçois tel plaisir quand je baise vos yeux, Quand je languis dessus, et quand je les regarde, Que sans une frayeur qui la main me retarde, Je me serais occis, qu'impuissant je ne puis Vous montrer par effet combien vôtre je suis. Or' cela que je puis, je le veux ici faire : Je veux en vous chantant vos louanges parfaire, Et ne sentir jamais mon labeur engourdi. Que tout l'ouvrage entier pour vous ne soit ourdi. Si j'étais un grand Roi, pour éternel exemple De fidèle amitié, je bâtirais un temple Desur le bord de Loire, et ce temple aurait nom Le temple de Ronsard et de sa Mirion. De marbre Parien * serait votre eifigie, Votre robe serait à plein fons élargie De plis recamés * d'or, et vos cheveux tressés Seraient de filets d'or par ondes enlacés. D'un crêpe canelé serait la couverture De votre chef divin, et la rare ouverture D'un reth * de soie et d'or, fait de l'ouvrière main D'Arachne ou de Pallas, couvrirait votre sein. Votre bouche serait de roses toute pleine, Répandant par le temple une amoureuse haleine. Vous auriez d'une Hébé * le maintien gracieux, Et un essaim d'Amours sortirait de vos yeux. Vous tiendriez le haut bout de ce temple honorable, Droite sur le sommet d'un pilier vénérable. Et moi, d'autre côté assis au même lieu, Je serais remarquable en la forme d'un Dieu; J'aurais en me courbant dedans la main senestre Un arc demi-voûté, tout tel qu'on voit renaître Aux premiers jours du mois le repli d'un croissant, Et j'aurais sur la corde un beau trait menaçant. Non le serpent Python , mais ce sot de jeune homme Qui maintenant sa vie et son âme vous nomme, Et qui, seul me fraudant, est Roi de votre cour, Qu'en fin en votre amour vous trouverez moqueur. Quiconque soit celui, qu'en vivant il languisse, Et, de chacun haï, lui-même se haïsse, Qu'il se ronge le cour, et voie ses desseins Toujours lui échapper comme vent de ses mains, Soupçonneux et rêveur, arrogant, solitaire, Et lui-même se puisse à lui-même déplaire. J'aurais desur le chef un rameau de laurier, J'aurais desur le flanc un beau poignard guerrier, Mon épé' serait d'or, et la belle poignée Ressemblerait à l'or de ta tresse peignée : J'aurais un sistre * d'or, et j'aurais tout auprès Un carquois tout chargé de flammes et de traits. Ce temple fréquenté de fêtes solennelles Passerait en honneur celui des Immortelles, Et par voux nous serions invoqués tous les jours, Gamme les nouveaux Dieux des fidèles amours. D'âge en âge suivant au retour de l'année Nous aurions près le temple une fête ordonnée, Non pour faire courir, comme les anciens, Des chariots couplés aux jeux Olympiens, Pour sauter, pour lutter, ou de jambe venteuse Franchir en haletant la carrière poudreuse *, Mais tous les jouvenceaux des pays d'alentour, Touchés au fond du cour de la flèche d'Amour, Ayant d'un gentil feu les âmes allumées, S'assembleraient au temple avecques leurs aimées. Et là, celui qui mieux sa lèvre poserait Dessus la lèvre aimée, et plus doux baiserait, Ou soit d'un baiser sec ou d'un baiser humide, D'un baiser court ou long, ou d'un baiser qui guide L'âme desur la bouche, et laisse trépasser Le baiseur qui ne vit sinon que du penser, Ou d'un baiser donné comme les colombelles, Lorsqu'ils se font l'amour de la bouche et des ailes. Celui qui mieux serait en tels baisers appris, Sur tous les jouvenceaux emporterait le prix, Serait dit le vainqueur des baisers de Cythère, Et tout chargé de fleurs s'en irait à sa mère. Aux pieds de mon autel en ce temple nouveau Luirait le feu veillant d'un éternel flambeau, Et seraient ces combats nommés après ma vie Les jeux que fit Ronsard pour sa belle Marie. O ma belle Maîtresse, hél que je voudrais bien Qu'amour nous eût conjoints d'un semblable lien, Et qu'après nos trépas, dans nos fosses ombreuses, Nous fussions la chanson des bouches amoureuses Que ceux de Vendômois dissent tous d'un accord, Visitant le tombeau sous qui je serais mort : Notre Ronsard, quittant son Loir et sa Gâtine, A Bourgueil fut épris d'une belle Angevine »; Et que les Angevins dissent tous d'une voix : « Notre belle Marie aimait un Vendômois : Les deux n'avaient qu'un cour, et l'amour mutuelle Qu'on ne voit plus ici leur fut perpétuelle; Siècle vraiment heureux, siècle d'or estimé, Où toujours l'amoureux se voyait contre-aimé. » Puisse arriver après l'espace d'un long âge, Qu'un esprit vienne à bas, sous le mignard ombrage Des Myrtes *, me conter que les âges n'ont peu Effacer la clarté qui luit de notre feu, Mais que de voix en voix, de parole en parole, Notre gentille ardeur par la jeunesse vole, Et qu'on apprend par cour les vers et les chansons Qu'Amour chanta pour vous en diverses façons, Et qu'on pense amoureux celui qui remémore Votre nom et le mien et nos tombes honore. Or il en adviendra ce que le Gel voudra, Si est-ce que ce Livre immortel apprendra Aux hommes et au temps et à la renommée Que je vous ai six ans plus que mon cour aimée. |
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Pierre de Ronsard (? - 1585) |
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Portrait de Pierre de Ronsard | |||||||||
Biographie1524 - (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher). Orientation bibliographique |
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