Pierre de Ronsard |
Non, Murets, non, ce n'est pas du jour d'hui Que l'Archerot qui cause notre ennui, Cause l'erreur qui retrompe les hommes; Non Muret, non, les premiers nous ne sommes, A qui son arc d'un petit trait vainqueur, Si grande plaie a caché sous le cour : Tous animaux, ou soient ceux des campagnes, Soient ceux des bois, ou soient ceux des montagnes, Sentent sa force, et son feu doux-amer Brûle sous l'eau les Monstres de la mer. Hél qu'est-il rien que ce garçon ne brûle? Ce porte-ciel, ce tu'-géant Hercule *, Le sentit bien; je dis ce fort Thébain Qui le sangler étrangla de sa main, Qui tua Nesse, et qui de sa massue Morts abattit les enfants de la Nue; Qui de son arc toute Lerne étonna, Qui des Enfers le chien emprisonna, Qui sur le bord de l'eau Thermodontée Prit le baudrier de la vierge domptée; Qui tua l'Ourque, et qui par plusieurs foi* Se remoqua des feintes d'Achelois; Qui fit mourir la pucelle de Phorce, Qui le Lion démachoîra par force. Qui dans ses bras Antée acravanta, Qui deux piliers pour ses marques planta. Bref, cet Héros correcteur de la terre, Ce cour sans peur, ce foudre de la guerre, Sentit ce Dieu, et l'amoureuse ardeur Le mata plus que son Roi commandeur. Non pas épris comme on nous voit éprendre, Toi de ta Janne ou moi de ma Cassandre, Mais de tel taon Amour l'aiguillonnait, Que tout son cour sans raison bouillonnait Au soufre ardent qui lui cuisait les veines. Du feu d'amour elles fumaient si pleines, Si pleins ses os, ses muscles et ses nerfs, Que dans Hercul' qui purgea l'univers, Ne resta rien sinon une amour folle, Que lui versaient les deux beaux yeux d'iole. Toujours d'iole il aimait les beaux yeux, Fût que le char qui donne jour aux deux Sortît de l'eau, ou fût que dévalée Tournât sa roue en la plaine salée, De tous humains accoisant les travaux, Mais non d'Hercul' les misérables maux. Tant seulement il n'avait de sa Dame Les yeux fichés au plus profond de l'âme, Mais son parler, sa grâce, et sa douceur Toujours collés s'attachaient à son cour. D'autre que d'elle en son âme ne pense. Toujours absente il la voit en présence. Et de fortune, Alcid', si tu la vois, Dans ton gosier bègue reste ta voix. Glacé de peur voyant la face aimée. Ore une fièvre amoureuse allumée Ronge ton âme, et ores un glaçon Te fait trembler d'amoureuse frisson. Bas à tes pieds ta meurtrière massue Gît sans honneur, et bas la peau velue Qui sur ton dos raide se hérissait, Quand ta grand-main les Monstres punissait. Plus ton sourcil contre eux ne se renfrogne. O vertu vaine, ô bâtarde vergogne, O vilain blâme, Hercule étant dompté, Après avoir le monde surmonté, Non d'Eurysthée, ou de Junon cruelle, Mais de la main d'une simple pucelle. Voyez, pour Dieu, quelle force a l'Amour, Quand une fois elle a gagné la tour De la raison, ne nous laissant partie Qui ne soit toute en fureur convertie. Ce n'est pas tout : seulement pour aimer, D n'oublia la façon de s'armer, Ou d'empoigner sa masse hasardeuse, Ou d'achever quelque emprise douteuse; Mais lent et vain anonchalant son cour, Qui des Tyrans l'avait rendu vainqueur, Terreur du monde, ô plus lâche diffame, Il s'habilla des habits d'une femme, Et d'un Héros devenu damoiseau, Guidait l'aiguille, et tournait le fuseau, Et vers le soir, comme une chambrière, Rendait sa tâche à sa douce geôlière, Qui le tenait en ses fers plus serré Qu'un prisonnier dans les ceps * enferre". Grande Junon, tu es assez vengée De voir sa vie en paresse changée, De voir ainsi devenu Êlandier Ce grand Alcid' des Monstres le meurtrier, Sans ajouter à ton ire indomptée Les mandements de son frère Eurysthée. Que veux-tu plus? Iole le contraint D'être une femme : il la doute, il la craint. Il craint ses mains plus qu'un valet esclave Ne craint les coups de quelque maître brave. Et cependant qu'il ne fait que penser A s'attifer, à s'oindre, à s'agencer, A dorloter sa barbe bien rognée, A mignoter sa tête bien peignée, Impunément les Monstres ont loisir D'assujettir la terre à leur plaisir, Sans plus cuider qu'Hercule soit au monde. Aussi n'est-il, car la poison profonde Qui dans son cour s'allait trop dérivant, L'avait tué dedans un corps vivant. Nous donc, Muret, à qui la même rage Peu cautement * affole le courage, S'il est possible, évitons le lien Que nous ourdit * l'enfant Cythérien, Et rabaissons la chair qui nous domine, Dessous le joug de la raison divine, Raison qui dût au vrai bien nous guider Et de nos sens maîtresse présider. Mais si l'Amour de son trait indomptable A déjà fait notre plaie incurable. Tant que le mal, peu sujet au conseil, De la raison dédaigne l'appareil, Vaincus par lui, faisons place à l'envie, Et sur Alcid' déguisons notre vie; En cependant que les rides ne font Crêper* encor l'aire de notre front, Et que la neige en vieillesse venue Encor ne fait notre tête chenue. Qu'un jour ne coule entre nous pour néant Sans suivre Amour : il n'est pas malséant. Mais grand honneur au simple populaire, Des grands seigneurs imiter l'exemplaire. |
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Pierre de Ronsard (? - 1585) |
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Portrait de Pierre de Ronsard | |||||||||
Biographie1524 - (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher). Orientation bibliographique |
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