Pierre de Ronsard |
Hélas ! je n'ai pour mon objet Qu'un regret, qu'une souvenance ; La terre embrasse le sujet En qui vivait mon espérance. Crue! tombeau, je n'ai plus rien, Tu as dérobé tout mon bien, Ma mort et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, soupirs et pleurs, Douleurs sur douleurs. Que ne vois-je, pour languir mieux, Et pour vivre en plus longue peine, Mon cour en soupirs et mes yeux Se changer en une fontaine, Mon corps en voix se transformer, Pour soupirer, pleurer, nommer Ma mort et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, soupirs et pleurs, Douleurs sur douleurs. Ou je voudrais être un rocher Et avoir le cour insensible, Ou esprit, afin de chercher Sous la terre mon impossible : J'irais, sans crainte du trépas, Redemander aux dieux d'en-bas, Ma mort et ma vie. Mais ce ne sont que fictions ; Il me faut trouver d'autres plaintes. Mes véritables passions Ne se peuvent servir de feintes. Le meilleur remède en ceci, C'est mon tourment et mon souci, Ma mort et ma vie. Au prix de moi, les amoureux, Voyant les beaux yeux de leur dame, Cheveux et bouche, sont heureux De brûler d'une vive flamme. En bien servant, ils ont espoir : Je suis sans espoir de revoir Ma mort et ma vie. Ils aiment un sujet qui vit ; La beauté vive les vient prendre, L'oil qui voit, la bouche qui dit ; Et moi, je n'aime qu'une cendre. Le froid silence du tombeau Enferme mon bien et mon beau, Ma mort et ma vie. Ils ont le toucher et l'ouïr, Avant-courriers de la victoire ; Et je ne puis jamais jouir Sinon d'une triste mémoire, D'un souvenir et d'un regret, Qui toujours lamenter me fait Ma mort et ma vie. L'homme peut gagner par effort Mainte bataille et mainte ville ; Mais de pouvoir vaincre la Mort, C'est une chose difficile. Le Ciel, qui n'a point de pitié, Cache sous terre ma moitié, Ma mort et ma vie. Après sa mort, je ne devais, Tué de douleur, lui survivre : Autant que vive je l'aimais, Aussitôt je la devais suivre ; Et aux siens assemblant mes os, Un même cercueil eût enclos Ma mort et ma vie. Je mettrais fin à mon malheur, Qui hors de raison me transporte, Si ce n'était que ma douleur D'un double bien me réconforte : La penser déesse, et songer En elle, me fait allonger Ma mort et ma vie. En songe, la nuit, je la vois Au ciel une étoile nouvelle S'apparaître en esprit à moi, Aussi vivante et aussi belle Comme elle était le premier jour Qu'en ses beaux yeux je vis Amour, Ma mort et ma vie. Sur mon lit je la sens voler Et deviser de mille choses ; Me permet le voir, le parler Et lui baiser ses mains de rose ; Torche mes larmes de sa main Et presse mon cour en son sein, Ma mort et ma vie. La même beauté qu'elle avait, La même Vénus, et la grâce, Le même Amour qui la suivait En terre apparaît en sa face, Fors que ses yeux sont plus ardents, Où plus à clair je vois dedans Ma mon et ma vie. Elle a les mêmes beaux cheveux, Et le même trait de la bouche, Dont le doux ris et les doux nouds Eussent lié le plus farouche, Le même parler, qui soûlait Mettre en doute, quand il voulait, Ma mort et ma vie. Puis d'un beau jour qui point ne faut, Dont sa belle âme est allumée, Je la vois retourner là-haut, Dedans sa place accoutumée, Et semble aux anges deviser De ma peine, et favoriser Ma mort et ma vie. Chanson, mais complainte d'amour, Qui rends de mon mal témoignage, Fuis la cour, le monde et le jour, Va-t'en dans quelque bois sauvage Et là, de ta dolente voix, Annonce aux rochers et aux bois Ma mort et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, soupirs et pleurs, Douleurs sur douleurs. |
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Pierre de Ronsard (? - 1585) |
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Portrait de Pierre de Ronsard | |||||||||
Biographie1524 - (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher). Orientation bibliographique |
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